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28 mai 2008

Petite escapade jusqu’à mardi prochain …

Ouf, si tout va bien je devrais laisser Paris demain pour un vrai week-end de dépaysement. A l’étranger, mais cela ne sera ni en Israël ni dans un pays musulman - un vrai dépaysement, tant ces sujets occupent mon temps et mes pensées !

Pas de réactualisation donc jusqu’au mardi 3 juin. Merci d’avance aux visiteurs, fidèles ou occasionnels. Pour tous, un petit conseil : n’hésitez pas à naviguer au moyen des « libellés » en fin d’articles, vous pourrez en découvrir des centaines d’autres, et sur les sujets les plus variés ... 

Bonne lecture, donc et à bientôt !

J.C

Free Kareem !



La liberté d’expression n’est pas un long fleuve tranquille dans le monde arabe, et il faut être bien naïf pour croire que dans des pays relativement sympathiques à nos yeux - parce qu’ils ont été victimes d’attentats islamistes, ou parce qu’ils soutiennent officiellement un règlement de Paix avec Israël - les peuples vivent dans des démocraties à l’occidentale ... Il en va ainsi de l’Égypte, où le Président Hosni Moubarak est à la tête de l’état depuis 1981, année de l’assassinat d’Anouar El Sadate ... et de l’instauration de l’état d’urgence, qui n’a jamais été levé depuis !

Face à cette situation, nos propres démocraties jouent un « pas de deux », toujours craintives devant le risque d’effondrement de régimes amis ; se satisfaisant dans le fond très bien de la situation comme dans le passé un Jacques Chirac, ami de tous les « Raïs » de la région (relire ou découvrir cet article sur le blog) ; ou reculant vite après avoir envisagé un « nouveau Moyen Orient » (l’administration Bush après ses déboires irakiens). Si on ajoute la pression populaire des islamistes (pour qui le Coran seul doit tenir lieu de constitution) et la veulerie des « experts » (tout empreints d’une bonne conscience de « gauche », mais d’extrême droite dans les faits quand, au nom du « relativisme culturel », ils refusent de réclamer plus de libertés en terre arabe), on comprend pourquoi les « refuzniks » locaux sont si isolés ... mais cela est peut-être en train de changer.

Abd El Kareem Soliman (alias : « Kareem Amer ») est en effet l’un de ces courageux « refuzniks ». Ce jeune égyptien de 23 ans a utilisé le seul mode d’expression qui peut faire bouger les choses dans des pays où la presse est sévèrement censurée : un blog. Accusé d’avoir insulté, à la fois l’islam et le chef de l’état, il est emprisonné depuis plus d’un an ! Mais la « blogosphère » s’est mobilisée pour lui, et un blog lui est même consacré ! Vous y lirez - en anglais pour les courageux - toutes les informations sur la campagne menée pour le faire libérer. A noter que de grandes ONG comme « Reporters Sans Frontières », « Amnesty International » ou « Human Rights Watch » soutiennent cette campagne. En colonne droite de ce site, vous pourrez feuilleter aussi une revue de presse très complète à propos de cette affaire, dont on commence à parler dans le monde entier ...
Découvrez le blog sur ce lien : http://www.freekareem.org/

J.C

27 mai 2008

Comment rétablir le dialogue entre jeunes juifs et musulmans ? Raphaël Haddad et Orly Cohen seront mes invités le 1er juin.

Nous allons revenir en France pour cette émission, et parler à nouveau des tentatives de tisser des liens entre Juifs et Musulmans. Mes deux invités seront le président de l’Union des Étudiants Juifs de France, Raphaël Haddad, et Orly Cohen, qui travaille avec lui en milieu scolaire dans le cadre d’un programme qui s’appelle « Coexist », programme dont elle est la directrice.Je serai heureux de recevoir des jeunes responsables juifs dans ma série, d’abord parce que cela me rajeunit : rajeunit de quelques années, car dans les débuts de « Rencontre », j’avais reçu des anciens présidents de l’U.E.J.F, et nous avions évoqué à l’époque les premières passerelles construites vers des jeunes musulmans, à travers notamment une association comme SOS Racisme ; rajeunit hélas aussi de plusieurs décennies, car cela fait plus de trente ans que j’ai quitté le monde universitaire, et j’imagine qu’il a bien changé, à la fois en matière de priorités de la jeunesse, de démographie des populations et d’état d’esprit des étudiants !

Je serai donc heureux de faire un point avec ces invités, car depuis le traumatisme que l’on a vécu suite à la vague d’agressions antisémites du tournant du siècle, et bien on entend beaucoup de critiques vis-à-vis de la stratégie suivie par l’Union des Étudiants Juifs de France, et je m’en ferai l’écho : en gros, ce que j’entends dans certaines franges de la communauté - et c’est aussi un discours développé par un intellectuel comme Shmuel Trigano - , c’est une critique de l’ancrage à gauche de l’U.E.J.F, qui a fait d’ailleurs que certains de ses anciens présidents soient devenus, par la suite, des responsables du Parti Socialiste. Le P.S sous François Mitterrand et après lui, avait eu en effet une stratégie d’instrumentalisation de la menace du Front National, en faisant la promotion d’un « front anti-raciste », rassemblant des jeunes Beurs militant contre Le Pen et pour l’intégration - ce qui était sympathique - mais avec aussi, à leurs côtés, plusieurs générations de jeunes Juifs, qui du coup sont apparus comme une minorité pas tout à fait française. Et, après la belle aventure de SOS Racisme, il y a eu la vague antisémite des années 2000, et on n’a pas vu beaucoup de solidarité de la part de ces jeunes Musulmans ; mais surtout, le reste de la société française a considéré que ce qui se passait ce n’était pas de l’antisémitisme venant d’une partie de la population d’origine maghrébine, mais ce que l’on a appelé des « affrontements inter communautaires » : j’attends donc avec curiosité la réponse de l’U.E.J.F à cette critique de fond ...

Mais bien sûr, cette émission sera aussi l’occasion pour ces deux responsables de nous présenter deux nouveaux programmes destinés à briser les préjugés entre jeunes juifs et musulmans.

Le premier programme s’appelle « Réciprocité », il a conduit ce syndicat étudiant à quitter les campus universitaires pour aller à la rencontre des jeunes des « quartiers sensibles » dans des espaces appartenant à des mairies. Des responsables associatifs ont ainsi été rencontrés « afin de faire circuler la parole et de restaurer une circulation symbolique, géographique aussi bien qu’intellectuelle », pour citer ce projet ambitieux !

Le deuxième programme, dont la direction est assurée à plein temps par Orly Cohen, s’appelle « Coexist » et se déroule en milieu scolaire en direction des classes de 4ème et 3ème des collèges : là où, hélas, et pour citer à nouveau les responsables du projet, « les difficultés de relation à l’autre peuvent entraîner chez les jeunes des attitudes racistes, le milieu scolaire étant particulièrement touché par l’augmentation de la violence verbale » ... un lourd constat d’échec pour lequel (à mon avis personnel) le corps enseignant a une grosse responsabilité !

J’entendrai donc, avec curiosité, les réponses de mes invités à quelques questions :
- Comment amener les élèves à s’interroger et à briser leurs préjugés ?
- Comment amener d’autres que la communauté juive à s’impliquer (à noter que « Coexist » est un programme coopératif impliquant aussi des associations issues de l’immigration) ?
- Pourquoi aucun syndicat enseignant n’a-t-il parrainé le programme « Co-exist » ?

Des questions brûlantes pour lesquelles je vous souhaite nombreux à l’écoute dimanche prochain !

J.C

26 mai 2008

L’Union pour la Méditerranée : déjà un colloque à la Sorbonne



L’Union pour la Méditerranée n’est pas encore née, mais elle a déjà fait couler beaucoup d’encre ... Grand projet annoncé par Nicolas Sarkozy le soir même de son élection, il a certes rencontré des réticences de la part des partenaires européens de la France, qui ont conduit à un projet - parait-il - beaucoup moins ambitieux que « l’Union Méditerranéenne » prévue à l’origine : il n’est plus question de créer un nouveau bloc géopolitique, mais de structurer les échanges entre les rives Nord et Sud de la « Mare Nostrum », en collaborant dans tous les domaines d’intérêt commun. Déjà un vaste programme quand on songe aux conflits non résolus, entre Israéliens et Arabes par exemple, ou Chypriotes grecs et turcs.

... Et c’est justement dans l’île de Chypre, elle-même divisée depuis plus de 30 ans et occupée partiellement par la Turquie, qu’est né un « Think tank », institut indépendant de réflexion nommé « Daedalos » : joli nom, qui évoque bien les « dédales » de l’avenir où il ne faut surtout pas s’égarer ! Créé à la fin 2006 à l’initiative du ministère chypriote des affaires étrangères, il a déjà organisé des séminaires et des colloques entre experts de plusieurs pays de la Méditerrané, sur des sujets bien sérieux comme l’immigration ou le conflit israélo-palestinien. Membre du conseil d’administration de cet institut, mon ami Mezri Haddad (que les lecteurs du blog commencent à bien connaître) vient de m’informer de son prochain colloque qui se tiendra le samedi 31 mai dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, sous le thème : « L’Union pour la Méditerranée, des Acquis aux Défis ».

C’est donc Mezri Haddad qui prononcera le discours d’introduction générale, au nom de « Daedalos » où il a, à nouveau, démontré ses talents d’organisateur et la richesse de ses contacts ! Sans citer toutes les personnalités qui interviendront, je me permets de relever quelques noms qui vous donneront, je l’espère, l’envie d’aller à la Sorbonne samedi prochain : le grand orientaliste Antoine Sfeir, plusieurs fois l’invité de mon émission ; son compatriote d’origine libanaise Antoine Basbous, qui parlera d’un sujet fondamental (« l’avenir de l’intégrisme religieux en Méditerranée ») ; mais aussi Jacques Huntzinger, ancien ambassadeur de France en Israël, ou Hassan Abouyoub, ancien ambassadeur du Maroc à Paris ; et également le professeur Mhamed Hassine Fantar, titulaire de la Chaire Ben Ali pour le dialogue des civilisations et des religions, qui m’avait invité l’année dernière à Tunis !

Nicolas Sarkozy lui-même a accordé son patronage au colloque, auquel je souhaite un plein succès. Le prochain se tiendra à Chypre, les 15 et 16 octobre prochains.

J.C

25 mai 2008

Va-t-on vers une redistribution radicale des cartes au Moyen-Orient ?

Pour ceux qui s’intéressent à la diplomatie, cette semaine aura été particulièrement intéressante au Moyen-Orient. Dans le désordre, nous aurons vu un accord signé entre les factions libanaises sous les auspices du Qatar, l’annonce d’approches du Hamas par la France, la déclaration officielle et simultanée en Syrie, en Turquie, et en Israël de contacts diplomatiques entre Damas et Jérusalem, la médiation égyptienne entre le Hamas et Israël, la rencontre entre le ministre de la Défense israélien Ehoud Barak et le président égyptien Hosni Moubarak accompagné de ses ministres de la Défense et des Affaires étrangères et du chef des services de renseignements égyptien Omar Souleiman. La succession de ces événements aura coïncidé - en diplomatie, il n’est point de coïncidences - avec la visite du ministre des Affaires étrangères français Bernard Kouchner. Dans ce contexte, on ne peut qu’être frappés par la singularité du silence et de l’absence de trois grandes puissances de la région : l’Arabie-Saoudite, les États-Unis et l’Iran. Sans compter l’Autorité palestinienne qui semble enfermée dans un mutisme qui traduit non seulement sa passivité mais sa totale impuissance.

En diplomatie, il est difficile pour ceux qui ne sont pas dans le secret de se faire une représentation de la réalité qui ne soit pas faussée : la diplomatie étant un brutal jeu de poker - le plus souvent mortel - la manipulation des apparences est l’un des instruments qu’elle emploie pour lancer sur des fausses pistes ceux qui tentent de percer ses secrets. Néanmoins, il est toujours intéressant, quand on a la volonté et l’audace d’oser, d’essayer de reconstituer la trame des faits.
La semaine s’est terminée par l’annonce de contacts diplomatiques officiels et directs entre Israël et la Syrie grâce à la médiation de la Turquie. Cette annonce a été diversement reçue en Israël où l’opposition a accusé le Premier ministre Ehoud Olmert de chercher à faire diversion au moment où il est poursuivi par une nouvelle « affaire ». Fait intéressant : Tsipi Livni, la ministre des Affaires étrangères, n’était pas dans la confidence, contrairement à Barak, et donc le ministère de la Défense. Livni a accueilli l’annonce avec beaucoup de réserve, critiquant la démarche indirectement, en rappelant que la condition préalable à l’ouverture d’un canal israélo-syrien était l’engagement de la Syrie à rompre son alliance avec le Hezbollah, les groupes terroristes palestiniens qui siègent à Damas, et l’Iran qui les finance. Autre fait intéressant : la réaction américaine est également venue du côté du ministère des Affaires étrangères - Condolezza Rice - dont le visage crispé masquait mal la colère et le mécontentement. Elle s’est contentée de déclarer que les États-Unis suivaient l’évolution du dialogue - personne ne parle encore de négociations - avec intérêt, tout en insistant sur le fait que les négociations israélo-palestiniennes étaient la priorité de la Maison-Blanche. Rappelons encore que Livni préside l’équipe israélienne chargée des négociations avec l’Autorité palestinienne. Dans ce contexte, le silence de l’Autorité palestinienne se comprend aisément, même s’il faut encore rappeler que Mahmoud Abbas s’est rendu à Damas il y a deux mois, événement tout à fait remarquable quand on connaît les relations traditionnellement détestables entre la Syrie et l’Autorité palestinienne.
L’annonce d’un dialogue diplomatique entre Israël et la Syrie, même s’il est peu probable qu’il se conclue par un accord de paix dans l’immédiat, est incontestablement embarrassante, voire inquiétante, sinon pour le Hezbollah du moins pour le Hamas et l’Iran. La Syrie est en effet un « client » de l’Iran, qui l’utilise pour transférer armes et argent au Hamas et au Hezbollah. C’est pourquoi la Syrie, qui ne peut pas prendre le risque de remettre en cause son fragile équilibre politique, social et ethnique a dû « donner » quelque chose au Hamas et au Hezbollah en échange. Elle a été aidée pour se faire de la pression que l’Égypte et la France ont mise sur le Hamas, et de la pression que la France a mise sur le Hezbollah.

A priori, le Hezbollah et le Hamas se ressemblent : deux mouvements terroristes, l’un chiite, l’autre sunnite, qui cherchent à mettre en œuvre une révolution islamiste. Cependant, il ne faut pas se laisser tromper par les apparences, car si ces deux groupes terroristes nourrissent effectivement le même projet, il n’ont ni la même histoire ni le même développement. En effet, le Hamas a montré l’année dernière qu’il était capable de prendre le pouvoir par la force - et il l’a fait dans la bande de Gaza d’une manière anarchique et incohérente. Il s’apprête maintenant à faire la même chose en Cisjordanie. En revanche, le Hezbollah a montré la semaine dernière qu’il était capable de prendre le pouvoir par la violence au Liban - mais il ne l’a pas fait. Il lui suffisait de montrer qu’il était en position de force pour arriver ainsi aux négociations qui se sont tenues au Qatar le 21 Mai et qui ont abouti, au moins dans le principe, sur un accord entre les factions sunnite, chrétienne, druze et chiite. En fait, les violences de la semaine dernière ont montré qu’il n’existait plus au Liban que deux vraies forces politiques : les sunnites et les chiites. Le Hezbollah a donc obtenu ce qu’il voulait - et fait la preuve de ce qu’il voulait - à moindre frais. La différence entre le Hezbollah et le Hamas s’explique par trois raisons : d’une part, le Hezbollah est devenu familier du jeu parlementaire et de la tenue d’élections. Qu’on le veuille ou non - mais la diplomatie n’est pas le monde du souhaitable, seulement du possible - le Hezbollah est une force politique qui existe au Parlement et qui en connaît d’ailleurs tous les ressorts. D’autre part, le Hezbollah maîtrise parfaitement le jeu diplomatique et des alliances. Enfin, contrairement au Hamas qui choisit toujours la politique du pire, le Hezbollah sait finalement quand s’arrêter. Il faut dire qu’il a connu, lui, la guerre civile et qu’il s’est également frotté aux représailles massives israéliennes. Pour conclure sur ce point : même si la doctrine du Hezbollah est moralement et politiquement indéfendable, le mouvement est sur la voie de devenir une organisation politique. Au contraire, le Hamas ne fait preuve d’aucune maturité. C’est à ce niveau que la France intervient. Et d’une manière il faut dire plutôt spectaculaire.

Les relations que la France entretient avec le Hezbollah ne sont pas un secret. Ces relations, aussi dangereuses soient-elles, car ce genre de mouvement finit toujours par « mordre la main de son maître », donnent un levier aux Français. Ils l’ont utilisé la semaine dernière. Ils l’ont utilisé dans les négociations qui ont eu lieu au Qatar. Ils l’utilisent encore comme instrument stratégique entre Israël, la Syrie, et l’Iran. La politique étrangère française, qui tâtonnait encore il y a quatre mois avec sa nouvelle administration - pour preuve, la bourde de Kouchner qui avait annoncé « qu’il ne quitterait pas le Liban tant que le Liban n’aurait pas de président » - a fait depuis des pas de géant.
En ce qui concerne le Hamas, le Maariv du 20 Mai a publié en partie une traduction d’un article du Figaro dans lequel un haut diplomate français déclarait des contacts entre la France et les dirigeants du Hamas à Gaza. C’est à dire Mahmoud Zahar et Ismäel Haniyé. Rappelons que les deux n’apparaissent plus en public, conscients du fait qu’ils sont parmi les cibles de l’armée et des forces de sécurité israéliennes. Car il est vraisemblable qu’ils seront éliminés dès qu’ils sortiront de leur cachette, en représailles aux attaques constantes de roquettes. Haniyé et Zahar, qui sont également mis sous pression par l’Égypte, qui n’a pas du tout apprécié la violation de son territoire quand la frontière de Rafah a été démolie à coups de bulldozer ; Moubarak apprécie encore moins la propagande anti-égyptienne que le Hamas organise d’une manière quotidienne en s’appuyant sur les Frères musulmans ; Haniyé et Zahar cherchent donc un appui pour sauver leur tête. La main a été tendue par les Français. Reste à savoir à quelles conditions et jusqu’à quel point. Pour conclure également sur ce point : il semble qu’un équilibre soit en train de se créer entre la pression d’Israël, des États-Unis, de l’Égypte et de certains pays de l’Union européenne, et l’intervention des Français. En ce qui concerne le Hezbollah, il a obtenu l’accord signé au Qatar et sa reconnaissance comme acteur politique majeur sur la scène libanaise.
Le Hezbollah et le Hamas ne seront pas rayés de la carte. Ils sont une force électorale trop considérable. La seule chose possible à laquelle il soit possible d’arriver est de les neutraliser par un jeu subtil qui mélange force, pressions, chantages, éliminations ciblées, et « cadeaux ». Le vieux principe de la carotte et du bâton. Il est notable que le sort des soldats israéliens kidnappés n’a pas été abordé par le haut diplomate français si l’on se fie à la traduction partielle de l’article du Figaro.

La Syrie est la carte maîtresse. Non seulement des relations israélo-palestiniennes - point de paix avec les Palestiniens sans la Syrie - mais de toute la région. Il faut s’attendre à une riposte agressive voire même très dangereuse de l’Iran, qui pourra prendre des formes indirectes telles que l’agitation de mouvements terroristes ou de minorités ethniques - du moins dans un premier temps. En tous les cas, le silence de l’Iran ne présage rien de bon ... y compris pour la France.

Isabelle-Yaël Rose 
Jérusalem, le 23 Mai 2008

Le Caire, nid d’espions

Le sourire du mois
- mai 2008


Un peu d’humour pour ce « mois de l’Egypte », et grâce à un des talents les plus prometteurs du cinéma français : Jean Dujardin. Dans «OSS 117, Le Caire nid d’espions» - film de Michel Hazanavicius, 2006 -, il est le héros d’un pastiche des films d’espionnage très «french touch» des années 50 et 60, espion mondain nommé Hubert Bonnisseur de la Bath, digne prédécesseur du Prince Malko (de la série SAS, plus familière à ma génération) et bien sûr des innombrables James Bond ...

Le film se déroule donc dans les décors reconstitués du Caire en 1955, année troublée qui précéda la crise de Suez et où tous les ingrédients de la «cocotte minute» proche-orientale étaient déjà prêts à exploser. La scène que je vous invite à visionner est plus que savoureuse : on y voit Jean Dujardin, déguisé dans un orchestre oriental aux fez impressionnants, nous jouer une version locale de «Bambino», le tube immortalisé par Dalida à qui j’ai rendu hommage il y a quelques jours ... tordant !

J.C
 

24 mai 2008

Communiqué de presse : n’oublions pas Guilad Shalit !


Introduction :
J’ai reçu ce communiqué de presse diffusé vendredi 23 mai par les deux avocats de la famille de Guilad Shalit, Maîtres Emmanuel Altit et Stéphane Zerbib. Pour rappel, Maître Altit avait été mon invité en janvier 2006, et nous avions parlé alors d’autres otages dont il assurait la défense, les infirmières bulgares si souvent évoquées sur mon blog ... C’est donc bien volontiers que je reproduis ici leur appel.
J.C

"Le dimanche 25 mai 2008 aura lieu à Paris , dans les jardins du Trocadéro, une manifestation célébrant les 60 ans d’existence de l’État d’Israël.
En cette heureuse occasion, il conviendra de se souvenir de Guilad Shalit.
Ce citoyen français, installé en Israël, a été enlevé le 25 juin 2006 sur le territoire israélien par un groupe armé palestinien affilié au Hamas, pendant qu’il effectuait son service militaire.
Il avait dix-neuf ans.
Depuis lors, le Hamas exige pour mettre fin à son calvaire que des centaines de détenus palestiniens soient libérés.
Ainsi, la vie de Guilad, comme celle d’Ingrid Betancourt, fait-elle l’objet d’un marchandage.
Les ravisseurs de Guilad Shalit n’ont jamais autorisé quiconque, ni représentant de la Croix Rouge, ni représentant d’Institution Internationale ou d’ONG, à le rencontrer, au mépris des règles internationales.
D’après les informations parvenues à la famille et aux Avocats de Guilad Shalit, ce dernier serait encore en vie et toujours détenu dans la bande de Gaza.

Depuis quelques mois et la mise en place d’une stratégie globale arrêtée par sa famille et ses Avocats français, le sort de Guilad suscite l’intérêt des médias et de l’opinion internationale :
- De nombreux parlementaires français et européens se sont mobilisés, plus de trois cents à ce jour ;
- Les médias internationaux ont été sensibilisés et l’opinion publique s’est émue ;
- Les organisations de défense des droits de l’ Homme et les ONG réclament la libération de l’ otage.
- Des conférences de presse faisant le point de la situation ont été organisées les 26 novembre 2007 et 26 février 2008 à l’Assemblée Nationale Française ainsi que le 5 mars 2008 à Tel-Aviv ;

Une conférence de presse est prévue bientôt en Israël et les parlementaires européens exprimeront leur inquiétude lors d’une prochaine manifestation.

La manifestation du 25 mai 2008 est l’occasion d’étendre cette mobilisation et d’accentuer la pression publique et médiatique sur les autorités étatiques afin qu’elles soutiennent ceux qui œuvrent à la libération de Guilad.
Il est important de redire à tous les participants le destin tragique de Guilad et, alors que cela fera bientôt deux ans qu’il est détenu, de rappeler aux autorités françaises leurs devoirs à son égard.
Il est important aussi de rappeler à l’opinion publique que Guilad est notre concitoyen et que de ce fait, nous français, sommes tous responsables de son sort.

Les parents de Guilad Shalit, leurs Avocats français, toutes les associations et ONG qui les soutiennent (notamment le Comité pour la libération d’ Ingrid Bétancourt, la famille de Guy-André Kieffer, Avocats du Monde, EFI, Otages du Monde, etc.) :
- Appellent les participants à la manifestation du 25 mai 2008 à avoir une pensée pour Guilad Shalit,
- Appellent les autorités françaises, au moment où des discussions avec le Hamas semblent possibles, et les autorités européennes à : ne ménager aucun effort pour obtenir la libération de Guilad Shalit ; prendre toute mesure utile contre ses ravisseurs ; soutenir la famille de Guilad Shalit et ses Avocats,
- Appellent les autorités israéliennes, au moment où les modalités d’un éventuel cessez-le-feu avec les factions palestiniennes sont discutées, à : poser comme condition à tout accord la libération de Guilad Shalit ; délivrer aux Avocats de Guilad Shalit l’autorisation d’entrer dans la bande de Gaza afin de discuter avec ses ravisseurs.
- Appellent les Chefs d’Etat et de Gouvernement en Europe, en Amérique, en Asie, au Proche et au Moyen Orient, les responsables de l’Union Européenne et du Conseil de l’Europe, les Nations Unies et leur Secrétaire Général, les Institutions Internationales, les Organisations de Défense des Droits de l’Homme, les Églises et les Responsables Religieux, à exiger la libération de notre concitoyen Guilad Shalit.

Au cours de la manifestation du 25 mai 2008, Noam Shalit, le père de Guilad, fera une intervention."

23 mai 2008

Recettes du pays des Pharaons

"Assabah", patisserie égyptienne
(photo tirée du blog "Mes parfums d'Egypte")
Bon appétit !

Soyons honnête : je ne connais pas la cuisine égyptienne. N’ayant pas encore eu la chance de visiter ce pays, d’une part, et guère l’occasion d’en connaître la gastronomie d’autre part - les restaurants égyptiens sont très peu nombreux à Paris, contrairement à New York, par exemple (affaire de diasporas différentes) -, je ne peux qu’en deviner les saveurs. Et vous donner un peu l’eau à la bouche, dans cette rubrique devenue maintenant un classique de ces mois à thème.

Première adresse à visiter, celle d’un amoureux de l’Egypte : français, ayant décidé de s’installer là-bas en 1992, il publie un blog très riche joliment intitulé « Mes parfums d’Egypte ». Contrairement à celui d’Aimée Kligman-Dassa dont j’ai déjà parlé la semaine dernière, il s’agit du témoignage sur le terrain de quelqu’un qui y vit : pas de nostalgie et peu d’évocations du contexte politique agité de la région, mais une majorité des jolies photos racontant une vie d’expatrié qui a trouvé le bonheur au pays des Pharaons ... en particulier au niveau de la gastronomie. Les recettes ne sont pas systématiquement données, mais les illustrations sont fort alléchantes, comme celle que je me suis permis de reprendre comme illustration ci-dessus : des pâtisseries consommées pendant le mois de Ramadan, appelées « assabah » (crêpes farcies aux noix, raisins secs, pistaches).


Pour ceux qui voudraient mieux connaitre cette cuisine, voici un site (aller sur le lien) qui donne les recettes des grands classiques (en particulier le « foul », purée de fèves au cumin, et le « riz à l’égyptienne »), ainsi que les adresses des rares restaurants et cafés égyptiens de Paris ... dont un très proche de notre radio Judaïques FM, vers la rue Mouffetard !

J.C

22 mai 2008

André Nahum sur Judaïques FM : Palestiniens et Israéliens ont beaucoup plus de choses à faire ensemble que de s’entre-tuer

Bonjour.

Quel avantage Israël peut-il retirer d’une "Oudna" de six mois, en dehors de la libération éventuelle du caporal Gilad Shalit, retenu dans le secret le plus absolu par ses ravisseurs au mépris de toutes les lois internationale et de la simple éthique humaine ?

La menace que font planer sur Israël le Hamas au sud et le Hezbollah au nord est stratégique et non tactique, c’est à dire qu’elle représente un danger vital. Accorder un répit au Hamas c’est lui permettre de s’armer à outrance, d’entraîner ses miliciens et l’on peut être certain que l’Iran fera un effort particulier pour l’y aider, trop content de renforcer son avant-poste de Gaza. Israël va-t-il accepter cette proposition ou la rejeter et se lancer dans une action militaire de grande envergure qui serait certainement coûteuse en vies humaines ? La question se pose au gouvernement de Ehoud Olmert et la réponse n’est pas évidente.

Une pause dans les hostilités est toujours bonne à prendre et beaucoup de choses peuvent se passer en six mois. Si l’on en croit la radio militaire israélienne,aussitôt démentie pas la Maison Blanche, la situation à Gaza et le coup de force du Hezbollah à Beyrouth pousseraient Georges Bush à attaquer l’Iran avant la fin de son mandat.
D’autres faits récents inciteraient au contraire à un certain optimisme :
1) Les pourparlers de paix entre Olmert et Mahmoud Abbas progressent tant bien que mal, mais ils progressent tout de même sous la houlette des USA.
2) La Conférence du Président à Jérusalem mercredi dernier, celle qui se tient actuellement à Sharm El Sheikh et celle qui va se dérouler à Bethléem peuvent convaincre certains Palestiniens que leur sort peut s’améliorer considérablement à court terme et les amener à préférer la paix à la confrontation

Ce fut un moment d’intense émotion et de grand enthousiasme à la Conférence du Président, lorsque le milliardaire israélien Itshaq Tshuva annonça qu’il était prêt à investir avec un groupe d’hommes d’affaires et de banquiers israéliens et étrangers trois milliards de dollars, pour construire en deux ans un canal de 166 kilomètres reliant la mer rouge à la mer morte. Avec comme résultats, la désalinisation de l’eau de mer, la production d’électricité, la création d’emplois et une coopération régionale sans précédent pour créer dans cette "vallée de la paix" entre Israël, la Jordanie et la Palestine, des hôtels, des pôles touristiques, un des plus grands jardins botaniques du monde, etc. Le roi Abdullah de Jordanie et le prince saoudien Walid bin-Talal auraient déjà donné leur adhésion enthousiaste au projet auquel il ne manquerait que l’approbation des gouvernements.
C’est peut-être là, le seul moyen de briser le cycle de la violence comme l’a dit Itshaq Tshuva. La création d’emplois et la prospérité calmeraient les tensions dans la région et seraient une alternative à la guerre et au terrorisme. La paix se réalisera pense-t-il, reprenant la vision de Shimon Peres, non pas tant par des accords, que par la coopération et la bonne volonté des peuples de la région. C’est peut-être un mince espoir, mais "de sa bouche à Dieu" ! Comme on disait chez nous.

Il est vrai que Palestiniens et Israéliens ont beaucoup plus de choses à faire ensemble que de s’entre-tuer.
Mais qui réussira à faire entendre raison aux fanatiques s’ils ne sont pas mis hors d’état de nuire ?

André Nahum,
Judaïques FM, billet du 21 mai 2008

21 mai 2008

La fabuleuse genizah de la synagogue Ben-Ezra ou : « Le trésor juif du Caire »

Salomon Schechter au travail parmi les reliques
de la genizah, bibliothèque de l'Université de Cambridge, 1898
(photo : site du journal Al-Ahram weeekly)

Si le bus est probablement le moyen de transport le plus adapté pour se familiariser avec le Caire, en ce qu’il propose une rencontre immédiate et totale avec la ville, la variété de ses architectures et de ses quartiers, et les manières remarquablement courtoises de ses habitants, le métro ne doit cependant pas être boudé : construit par les Français (Alsthom), il permet de se déplacer rapidement et en toute tranquillité. A partir de la place centrale du Caire - Midan Tahrir, station Sadate - il se rend directement dans le vieux Caire - station Mar Girgis - dans lequel sont localisées toutes les anciennes églises ainsi que l’une des plus vieilles synagogues. Dix minutes pour passer du Caire musulman au Caire juif et chrétien, pour arriver dans le noyau urbain qui précéda la ville du Caire à proprement parler : car avant que la dynastie des Fatimides ne décide de faire du Caire sa capitale, en y construisant son palais ; avant que Saladin ne prenne la décision d’y construire sa citadelle, déplaçant le centre de gravité du Caire, existait une ville déjà rayonnante et prospère connue sous le nom de Fostat. Elle attirait commerçants, caravaniers, professeurs et étudiants à une époque où les hommes se déplaçaient pour se rencontrer. C’est précisément à Fostat que fut découvert, à l’intérieur de la synagogue Ben Ezra, un trésor qui révolutionna le monde juif et scientifique en bousculant la représentation qu’il s’était faite non seulement de la vie juive au Moyen-âge, mais plus généralement de la vie quotidienne sous le troisième Califat. Ce trésor de textes jette une lumière singulière sur ce que l’on pensait savoir du monde arabe.

L’imagination humaine est toujours excitée par les trésors, plus encore quand se mêlent à eux des légendes. Or, ces deux éléments, auxquels se rajoutent la figure du Juif et l’histoire arabe et musulmane, sont présents dans l’histoire de la genizah du Caire attachée intimement à celle de la synagogue. D’après l’histoire - ou la légende ? - la synagogue aurait primitivement été édifiée, tout près des pyramides de Guizeh, par les Juifs ayant fui Jérusalem suite à la conquête babylonienne. Alors qu’une partie de la communauté avait été exilée par Nabuchodonosor à Babel - où elle se développera jusqu’à devenir une communauté prospère d’un point de vue économique et intellectuel - d’autres, conduits par le prophète Jérémie, étaient venus trouver refuge en Égypte. Dans l’antiquité, l’Égypte fut en effet toujours un lieu d’asile pour les Hébreux comme en témoignent les histoires d’Abraham, de Jacob et de son fils Joseph. Toujours d’après la légende - ou l’histoire ? - la synagogue fut édifiée sur le lieu même où Moïse fut recueilli par la fille de pharaon dans son panier, qui deviendrait ultérieurement un lieu de recueillement, de célébrations et de prières. Il faut noter que le cours du Nil a varié au cours de l’histoire, plus encore depuis le développement de l’irrigation et la construction des grands barrages. Une église a plus tard été construite par les Chrétiens à l’ouest de la synagogue appelée à l’époque synagogue Jérémiah, en mémoire du prophète. Les Chrétiens, en cela héritiers de la tradition juive, ont pointé ce lieu comme étant celui où la Sainte Famille aurait trouvé refuge lors de sa fuite en Égypte, fuyant le décret d’Hérode ordonnant l’exécution de tous les enfants. Pour les Juifs comme pour les Chrétiens, le lieu est donc saturé de sens et de symbolique.
La synagogue Jérémiah aurait été détruite par les Romains lors de leur arrivée en Égypte. Avec l’Hégire et la conquête islamique, les biens et les lieux de culte furent rendus à leurs propriétaires : c’est de cette manière que l’église copte récupéra le terrain sur lequel elle construisit une église pour laquelle elle payait un tribut annuel relativement important au gouverneur musulman. En 1115, le grand rabbin Abraham Ben Ezra « racheta » le terrain et le bâtiment aux coptes, construisant à son emplacement la synagogue qui porterait désormais son nom. On n’entendit plus parler de Ben Ezra et de sa synagogue jusqu’à ce qu’un rabbin et érudit lituanien du XIXè siècle, Jacob Saphir, n’apparaisse au Caire à la recherche d’un trésor qui ne serait finalement trouvé officiellement par le rabbin anglais Salomon Schechter qu’à la fin du siècle : un trésor qui consistait en une genizah riche de 210.000 documents. C’est lui qui redonna à la synagogue toute son importance en mettant à la disposition des chercheurs une source de textes et de témoignages dont la valeur historique était sans précédent. Il faudrait attendre la découverte des rouleaux de la Mer morte pour que les mondes religieux et scientifique soient parcourus par une semblable excitation.
Le XIXè siècle a été le siècle des trésors et des chercheurs de trésors : après les pyramides et leurs tombeaux, après les pharaons et leurs hiéroglyphes, après Mariette et Champollion dont les travaux avaient permis de restituer toute une culture et toute une civilisation, les Juifs tenaient eux aussi leur trésor. Restait à décrypter sa signification et sa langue.

Une genizah [1] est le lieu ont sont entreposés tous les textes qui ne peuvent être détruits parce qu’ils contiennent soit des références sacrées, soit le nom de Dieu. Son contenu - comme celui de tous les trésors - est également entouré de mystères : la genizah du Caire contiendrait une planche de bois relatant les impressions du général arabe Amr Ibn Al-As lors de sa conquête de Fostat en 641, ainsi que la Torah d’Ezra. Si l’on se fie au compte rendu publié de la conférence annuelle de l’International Federation of Library Associations and Institutions (IFLA), année 2000, Jérusalem, sous la direction de Stefan C. Reich, chercheur à Cambridge, on peut dire que les textes couvrent une période allant du IXè siècle au XIXè siècle. Ils consistent en des commentaires religieux (Midrash et Talmud), des décisions rabbiniques relatives à la loi juive (Halacha), des disputes théologiques particulièrement avec la secte des Karaïtes très présente en Égypte, mais aussi le texte du Siracide (l’Ecclésiastique) rédigé en hébreu. La présence de ce texte - en fait, seulement 3/5è du texte grec - est décisive quand on sait qu’il a été écarté du canon juif, précisément parce que les docteurs de la Loi n’en avaient pas une version en hébreu, mais seulement en grec ou en syriaque, au moment où le canon a été fixé à Yavneh [2]. La genizah permet donc d’une part de se faire une idée très précise du Judaïsme et de son évolution au long des siècles. Mais elle contient encore des documents administratifs, des contrats, des courriers, des questions et des transactions opérées depuis ou vers la Palestine, le Liban, la Syrie, la Tunisie, la Sicile et même les Indes. Les villes de Samarkand, Séville, Aden, Constantinople, Narbonne, Marseille, Gênes, Venise, Kiev et Rouen sont citées. La genizah permet donc d’autre part de comprendre la vie quotidienne des Juifs au Moyen-âge au Caire et les échanges entre les communautés. Car il faut rappeler qu’à cette époque il n’était pas rare que l’avis d’un savant - dans les matières halachiques, économiques, juridiques ou profanes - soit réclamé, qu’il ait été particulièrement réputé, ou grâce à cette unité géographique créée par le Califat qui couvrait des territoires aussi éloignés que l’Espagne et le Caucase. La dispersion des Juifs permettait encore ces correspondances, ces transactions, ces échanges d’intérêts et d’idées entre des lieux éloignés.
Si les Juifs, comme les Chrétiens, avaient dans le monde musulman le statut de dhimmi, le matériel de la genizah a en revanche permis d’établir que les échanges entre les trois communautés étaient constants et nombreux, particulièrement pendant la période des Fatimides. Les Juifs s’associaient avec des Musulmans, ils vendaient et achetaient, ordonnaient des transactions. Les trois communautés se rencontraient quotidiennement - les « ghettos » ne furent construit qu’à la période mamelouk, qui marqua le déclin de la culture arabe et musulmane - chacune rendant visite à l’autre au cours des fêtes religieuses. Le règne particulièrement brutal du calife fatimide Hakim, qui détruisit les synagogues et les églises, encourageant ses troupes au viol et au meurtre dans la ville du Caire et à Damas, fut une exception. Il ressort encore des documents de la genizah, qui témoignent largement de la vie juive en Palestine au Moyen-âge, que contrairement à ce que l’on pensait, l’installation des Juifs à Jérusalem fut encouragée après la conquête arabe de la ville au VIIè siècle. Des textes témoignent d’affrontements violents entre les tribus bédouines insurgées et le pouvoir fatimide. Ils font encore état d’une alliance entre les Juifs et les Musulmans contre l’invasion croisée. Contrairement à une idée reçue, la présence juive en Terre Sainte était significative pendant la période croisée. Les Juifs développèrent leur présence à Jérusalem après la victoire de Saladin qui deviendrait également le maître du Caire en 1187.
Max Rodenbeck, journaliste anglais et spécialiste du Caire, fait mention dans son livre « Cairo » publié par l’Université américaine du Caire en 1998, de la présence de textes faisant référence à Maïmonide dans la genizah de la synagogue ; ou de questions posées au grand philosophe juif, médecin particulier de Saladin, chef de la communauté, ainsi que du contrat de mariage de son fils. Maïmonide, originaire d’Espagne, était venu s’installer à Fostat où il enrichit ses connaissances talmudiques en les mettant au contact de la philosophie aristotélicienne telle qu’elle était enseignée par les philosophes islamiques. Les échanges étaient constants entre penseurs juifs, musulmans et chrétiens. Maïmonide, dans son œuvre centrale « le guide des égarés », fut le premier à tenter une synthèse entre la pensée hébraïque et la philosophie grecque qui ouvrit très certainement la voie à Thomas d’Aquin, qui tenterait la même expérience - d’un point de vue chrétien - dans sa « Somme théologique » quelques années après. Les textes de la genizah, dont certains sont écrits en judéo-arabe (en arabe avec l’alphabet hébraïque, ou en hébreu avec l’alphabet arabe) ont également ouvert un immense terrain de recherche pour les grammairiens - Maïmonide lui même a publié des traités de grammaire juive - et les linguistes.

La genizah de la synagogue Ben Ezra ne manque pas de rappeler la fameuse pierre de Rosette de Champollion : comme elle, les textes qu’elle a offert au monde donnent les clés qui permettent de jeter un œil même furtif sur une civilisation, peut-être même un monde. Certains de ses textes ont été vendus par des responsables de la synagogue à des voyageurs du XIXè siècle - comme des pièces de l’Égypte antique sont devenus objets de commerce. C’est de cette manière que l’histoire s’est dispersée à travers de multiples musées et bibliothèques : des documents de la genizah sont conservés à Saint-Pétersbourg, Paris, Londres, Oxford, Philadelphie. En 1897, Schechter obtint l’autorisation de la communauté juive du Caire de transférer 140.000 de ses documents à l’université de Cambridge où ils sont étudiés. 40.000 sont entreposés au Séminaire de théologie juive d’Amérique, et 11.000 fragments à la bibliothèque de l’université John Rylands à Manchester. Des projets de recherches mobilisant des équipes internationales continuent à tenter d’extraire tous les secrets enfermés dans le trésor peut-être pas totalement élucidé de la genizah du Caire.
La synagogue Ben Ezra, de son côté, a été rénovée dans une entreprise ambitieuse de 1982 à 1992. Elle a été classée par le gouvernement égyptien monument historique, tout en restant la propriété de la communauté juive du Caire. Celle-ci, qui comptait des milliers de personnes, n’est pratiquement plus existante. Les difficiles relations entre Israël et les pays arabes, les tensions consécutives à la décolonisation, les fractures internes au monde arabe et musulman sont parmi les raisons de cette disparition. Mais, de la même manière que les Égyptiens ont renoué avec leur passé pharaonique grâce à la redécouverte de la langue inscrite sur leurs temples ; de la même manière qu’ils ont reconstruit la bibliothèque d’Alexandrie - le projet intellectuel, philanthropique et universel - en se mettant à la recherche des vestiges enfouis dans leur port ; sans doute faut-il se permettre d’espérer une relance du dialogue humain, spirituel et scientifique qui s’enracine dans la reconnaissance de trésors partagés, écrits tantôt dans un même alphabet tantôt dans une même langue tout à la fois et totalement arabe et hébraïque.

Isabelle-Yaël Rose,
Jérusalem

[1] Prononcer "guéniza"
[2] Le Siracide n’est un texte canonique ni pour les Juifs ni pour les Chrétiens protestants. Il est en revanche reconnu par les Catholiques, les Orthodoxes et les églises orientales. Le texte était déjà connu de Saint-Jérôme, le traducteur de la Bible du grec en latin. Le document de la génizah est la seule version hébraïque du Siracide qui remonte sans doute à l’ère chrétienne et s’explique par les contacts entre Juifs et Chrétiens en Egypte. Le statut historique du texte est toujours amplement discuté.

20 mai 2008

L'ONU contre les droits de l'Homme : signez la pétition de la Licra

Introduction :
Le 28 février dernier, le journal "Le Monde" publiait une tribune libre signée par plusieurs intellectuels. Il s'agissait d'un cri d'alarme contre la préparation d'une future conférence internationale, prévue en 2009 sous l'égide des Nations Unies, et qui - sous couvert de défense des droits de l'Homme - risque fort de se transformer en opération de propagande des dictatures du Tiers Monde et des États "islamo-fascistes" contre les démocraties occidentales ; avec, cerise sur le gâteau, les mêmes débordements antisémites que la précédente conférence dite de "Durban II" en septembre 2001 ... La Licra (Ligue Internationale Contre l'Antisémitisme) a mis en ligne cette tribune, et centralise les signatures de soutien : c'est bien sûr sans hésiter que je me suis joint à des centaines de noms, les uns connus d'autres moins. Il est, enfin, à noter que c'est cet appel qui avait inspiré une virulente tribune anti israélienne de l'ex-sous préfet Bruno Guigue dans les colonnes du site islamiste "oumma.com" - où il avait "le gite et le couvert" pour vomir l’État juif, et ce depuis bien longtemps avant que le scandale n'éclate, et ne conduise à sa destitution par le Ministre de l'Intérieur ...
Parmi les premiers signataires, c'est sans surprise que j'ai retrouvé plusieurs anciens invités de ma série : Barbara Lefebvre, Jacky Mamou, Frédéric Encel, Albert Memmi et Jacques Tarnero. Et j'ai été fier de noter aussi deux chroniqueurs de ma radio, Judaïques FM : Antoine Spire et le Rabbin Gabriel Farhi !
Bonne lecture, et n'oubliez pas de signer sur le lien en fin d'article.
J.C
 
L’année 2008 verra-t-elle simultanément le soixantième anniversaire de la déclaration universelle des droits de l’homme par l’ONU et la destruction de ses principes par la même ONU ? Tout porte à le redouter, tant depuis un certain nombre d’années, par ses dérives, l’ONU s’est caricaturée.
A Durban, en Afrique du sud, s’est tenue en 2001 la Conférence mondiale contre le racisme, à l’initiative des Nations Unies, dans la ville même où Gandhi avait commencé à exercer son métier d’avocat. C’est au nom des droits des peuples que furent scandés des « mort à l’Amérique » et « mort à Israël » ; et c’est au nom du relativisme culturel qu’on fit silence sur les discriminations et violences commises contre les femmes.
Alarmée par les graves dysfonctionnements ainsi mis en lumière au sein de sa « Commission des droits de l’Homme », l’ONU inaugurait en juin 2006 un tout nouveau « Conseil des Droits de l’Homme » (CDH), censé remédier à de si préoccupantes dérives. Aujourd’hui, le constat est plus qu’amer : c’est à la consécration même de ces dérives que nous assistons dans la perspective du forum dit de Durban 2, qui se tiendra en 2009. Plus gravement encore, l’élaboration officielle de nouvelles normes marquera, si celles-ci sont gravées dans le marbre d’une nouvelle et très particulière Déclaration des droits de l’homme, la mise à mort de l’universalité des droits.
Par sa mécanique interne, les coalitions et les alliances qui s’y constituent, les discours qui s’y tiennent, les textes qui s’y négocient et la terminologie utilisée anéantissent la liberté d’expression, légitiment l’oppression des femmes et stigmatisent systématiquement les démocraties occidentales. Le CDH est devenu une machine de guerre idéologique à l’encontre de ses principes fondateurs. Ignorée des grands médias, jour après jour, session après session, résolution après résolution, une rhétorique politique est forgée pour légitimer les passages à l’acte et les violences de demain.
Une « triple alliance » composée de l'Organisation de la Conférence Islamique (OCI) représentée jusqu’à ce jour par le Pakistan, du Mouvement des Non Alignés où Cuba, le Venezuela et l’Iran ont un rôle central, et de la Chine - avec la complaisance cynique de la Russie - oeuvre ainsi à la mise en place d’une véritable révolution prétendument « multiculturelle ». Ainsi, le Rapporteur spécial de l’ONU sur les formes contemporaines de racisme Doudou Diène déclare d’ores et déjà qu’énoncer une critique contre le port de la Burqa constitue une agression raciste, que la laïcité est ancrée dans une culture esclavagiste et colonialiste et que la loi française contre le port des signes religieux à l’école participe du racisme antimusulman, renommé « islamophobie occidentale ».
La confusion des esprits est à son comble quand est dénoncée comme une attitude raciste toute critique de la religion. C’est une menace radicale contre la liberté de penser qui est en train d’être cautionnée par l’ONU. En assimilant au racisme toute critique des dérives de ceux qui parlent au nom de l’islam, parce que supposée relever d’attitudes néo-colonialistes, les porte-paroles de cette nouvelle alliance serrent un peu plus le garrot qu’ils ont passé au cou de leurs propres peuples et sapent les fondements d’une civilité très chèrement acquise en Europe depuis les guerres de religion.
En septembre 2007, la Haute Commissaire aux droits de l’homme, Mme Louise Arbour, participait à une conférence à Téhéran consacrée aux « droits de l’homme et la diversité culturelle ». Portant le voile, comme la loi de la République islamique l’exige, la Haute commissaire a été le témoin passif de l’énoncé des principes à venir ainsi résumés : « offense aux valeurs religieuses considérée comme raciste ». Bien pire, c’est dès le lendemain de cette visite que 21 iraniens, dont plusieurs mineurs, furent pendus en public. C’est en sa présence que le président Ahmadinejad a renouvelé son appel à la destruction d’Israël, pays membre de l’ONU créé par cette dernière. Interrogée sur son silence, la Haute Commissaire a justifié sa passivité par le respect de la loi iranienne auquel, en tant que juriste, elle s’estimait tenue et par souci de « ne pas offenser ses hôtes ». Charbonnier est maître chez soi ... c’est le Docteur Goebbels qui utilisait cet argument d’opportunité, à la tribune de la SDN (Société des Nations) en 1933, pour se soustraire à toute critique d’une institution internationale impuissante mais dont les principes n’étaient au moins pas dévoyés comme ceux de l’ONU aujourd’hui.
Les grands crimes politiques ont toujours eu besoin de mots pour se légitimer. La parole annonce le passage à l’acte. De Mein kampf à radio Mille Collines, de Staline à Pol Pot, les exemples abondent pour confirmer la nécessaire extermination de l’ennemi du peuple au nom de la race, au nom de l’émancipation des masses laborieuses, ou au nom d’un ordre supposé divin. Les idéologies totalitaires avaient remplacé les religions. Leurs crimes, les promesses non tenues «d’avenir radieux », ont ouvert grande la porte au retour de Dieu en politique. Le 11 septembre 2001, quelques jours après la fin de la conférence de Durban, c’est bien au nom de Dieu que le plus grand crime terroriste de l’histoire fut commis.
Face à cette stratégie, les démocraties, d’abord soucieuses de leur balance commerciale, font preuve d’une extraordinaire passivité. Que pèse le sort du peuple tibétain face aux enjeux des exportations vers la Chine ? Quel est le prix de la liberté pour Ayaan Hirsi Ali, ex-députée néerlandaise, menacée de mort, après l’assassinat en 2004 de son ami le réalisateur Théo Van Gogh, accusé d’avoir blasphémé l’islam dans le film Soumission ? Les exemples s’additionnent, qui de Taslima Nasreen à Salman Rushdie, de Robert Redeker à Mohamed Sifaoui, apportent la preuve que l’intégrisme islamiste impose sa loi par la terreur. Combien d’algériens, de femmes au Maghreb, au Proche-Orient, en Turquie, au Pakistan ont déjà payé du prix de leur vie le refus de se soumettre à l’obscurantisme religieux ?
Si par malheur, l’ONU devait consacrer l’imposition de tels critères, si le blasphème devait être assimilé à du racisme, si le droit à la critique de la religion devait être mis hors la loi, si la loi religieuse devait s’inscrire dans les normes internationales, ce serait une régression aux conséquences désastreuses, et une perversion radicale de toute notre tradition de lutte contre le racisme, qui n’a pu et ne peut se développer que dans la liberté de conscience la plus absolue. L’Assemblée Générale de décembre 2007 a déjà entériné des textes condamnant des formes d’expression considérées comme diffamatoires de l’islam. L’enjeu est clair ; il est mondial : c’est de la défense des libertés de l’individu dont il est question. Soit les démocraties se ressaisissent et, à l’exemple du Canada qui vient d’annoncer son refus de participer à la conférence de Durban 2, estimant qu’elle risquait d’être « marquée par des expressions d’intolérance et d’antisémitisme », cessent de s’abstenir ou de voter des résolutions contraires à l’idéal universel de 1948, soit l’obscurantisme religieux et son cortège de crimes politiques triompheront sous les bons auspices des Nations Unies. Et lorsque les paroles de haine seront transformées en actes, nul ne pourra dire « nous ne savions pas ».
Pour apporter votre signature à cette tribune, merci d’adresser un e-mail ici

19 mai 2008

Salma Ya Salama !

Impossible de parcourir l’Egypte pendant un mois sans évoquer la regrettée Dalida, qui mit fin à ces jours en 1987, il y a déjà plus de vingt ans ...

Née dans une famille italienne d’Egypte, aux temps lointains où Le Caire et Alexandrie étaient des villes cosmopolites, elle fut très influencée par sa terre natale. Son père était premier violon à l’Opéra du Caire, et les sonorités orientales l’avaient fortement marquée, même si beaucoup de ses "standards" inoubliables ( "Bambino", "Gigi l’Amoroso", "Les enfants du Pirée") évoquaient plus les rivages Nord de la Méditerranée. Mais elle eut l’occasion de jouer un personnage purement égyptien dans "Le Sixième Jour" de Youssef Chahine. Et puis elle fut aussi l’interprète de "Salma Ya Salama" ... que je vous invite à déguster dans le petit clip vidéo ci-dessous où vous la retrouverez, se trémoussant en tenue orientale.

Mais il faut dire aussi que cette chanson m’évoque des souvenirs attendrissants : ceux d’un moment quasi magique, où on pensait, naïvement, que la Paix avec l’Égypte allait mettre fin à des décennies de contentieux israélo-arabe. En effet, "Salma ya Salama" fut diffusée sur les radios seulement quelques semaines avant le coup de tonnerre du voyage d’Anouar el-Sadate à Jérusalem, fin 1977. Passant sur toutes les radios en Israël à ce moment là, elle évoquait la Paix ("Salam"), et d’ailleurs Dalida a surfé un moment sur ce rapprochement finalement fortuit entre "Salma" ("je te salue", littéralement "Paix sur toi") ... et cette sacrée Paix, à laquelle on voulait tant croire !

J.C

18 mai 2008

"C'était au temps où un homme était un homme et une livre était une livre" ... par Moïse Rahmani

Introduction :
Un mois sur l'Egypte serait bien incomplet, sur ce blog, si on oubliait la mémoire des Juifs de ce pays. Heureux pendant de longues périodes de tranquillité, ils ont subi de plein fouet le choc des guerres israélo-arabe, devenant "personna non grata" dès 1948 ... Moïse Rahmani m'a semblé un témoin de choix pour parler du sujet. Militant et historien du Judaïsme oriental, il édite en particulier le site "sefarad.org" en lien permanent, que je vous invite à visiter. Il avait été mon invité en même temps que mon ami Jean-Pierre Allali, le 18 juin 2006 pour évoquer l'exil des Juifs des pays arabes (voir la présentation sur le blog). Forcé de quitter sa terre natale à l'âge de 12 ans, il en a gardé des souvenirs impérissables, qu'il a bien voulu accepter de vous faire partager ici. Bonne lecture !
J.C

J'ai la nostalgie de l'Egypte où il faisait si bon vivre lorsque j'étais garçonnet. J'ai la nostalgie de cette Egypte de mon enfance - je suis né en 1944 - où la vie juive battait son plein, où les relations entre gens de la rue semblaient, à mes yeux de bambin, cordiales et fraternelles où, comme le disait mon regretté père « une livre était une livre et un homme était un homme ».

Mes souvenirs d’Égypte ?

D'abord les bruits. Incantations du muezzin de la mosquée d'en face (il y a toujours une mosquée en face !) convoquant à la prière, appels du chiffonnier : robabekia, robabekia , vieilleries, vieilleries, cris des divers vendeurs, rétameurs, aiguiseurs de couteaux, glapissements assourdissants des voitures et taxis jouant de leur klaxon au plus fort sonnant, crissements des rails du tram dans une envolée d'étincelles, confidences de ménagères lancées par les fenêtres, hurlements des enfants jouant à la kora, à la balle dans les rues et dans les cours des immeubles.
Ensuite les odeurs. Odeurs enivrantes des fruits saisonniers : mangues, oranges, figues, pommes, goafas, goyaves et eshtas, corossols ... les dattes, les rouges, un peu dures, les jaunes et les noires, fondantes, dégoulinantes, sirupeuses comme le miel, les grenades écarlates, éclatantes de douceur, du batikh, la pastèque dégustée fraîche avec du fromage blanc salé. Et des jus. Ah les jus ! Jus de réglisse : j’entends les tintements agités du vendeur du « eer e souss » heurtant son gobelet de fer blanc sur le cuivre du récipient attaché à la taille, jus épais de mangue, jus de canne à sucre dégusté encore chaud, coulant du pressoir.
Et la lumière. Un peu crue, un peu trouble, un peu blanche !... le soleil cogne fort. A cause de la chaleur, les immeubles, les voitures, les gens dansent au loin. Mirages sans cesse répétés ...

J'ai la nostalgie des synagogues. Nous fréquentions la nommée Abraham Betesh d'Héliopolis. Je me souviens de sa cour intérieure durant les fêtes de Roch Hachana. Les discussions allaient bon train. Après l'office, à grandes congratulations de « Kol sana wenta tayeb », l'échange des voeux de bonne année, nous allions au café. Les adultes prenaient un zibib, une anisette. Ils nous en versaient quelques gouttes sur la soucoupe que nous dégustions, souhaitant grandir vite pour siroter à notre tour ce breuvage délicieux. Les enfants se réjouissaient d’une Spathis ou un d’un Pepsi. Les mézés couvraient la table, l'apéritif s’abandonnait en un repas pantagruélique.

Le matin vers dix heures, dans un rituel immuable, nous nous rendions, Papa et moi, ma menotte enserrée dans sa forte main toute de tendresse, chez Mansourah, pour manger notre foul dominical, entre hommes. Mais quel foul ! Avec des oeufs durs et de la salade. Et des torchis comme s'il en pleuvait. Papa commandait une bière et m'autorisait à tremper les lèvres dans cette boisson de grande personne. Nous continuions avec un peu de ta’ameya et quelques ba’klawa et konafa. Ensuite nous achetions les hebdomadaires parisiens de mes parents : Ici-Paris, France-Dimanche, Confidences.
Ah ! Que ne donnerais-je pour revivre un seul de ces dimanches ...

1948. La vie bascule. Je me souviens du black-out et des sirènes assourdissantes. D’épaisses d'épaisses tentures bleues couvraient les fenêtres et les lumières en cas d'alerte. Malheur si un rayon lumineux trouait la nuit : tafi el nour, yahudi, ibn kalb, éteins la lumière, Juif, fils de chien !

Avril 1956 : une dernière halte chez Mansourah en chemin pour Almaza, l'aéroport du Caire, « un décollage et un atterrissage toutes les trois minutes », m’enseigne Maman. Le soir est tombé depuis longtemps, il est vingt et une heures. Nous achetons un sandwich de foul, un autre de ta’ameya. Maman me dit d'une voix sourde, les yeux perlés : « Prends Moïsico, nous ne savons pas quand nous pourrons en manger encore, un jour ». Notre avion décolle vers minuit pour le Congo, vers une nouvelle vie.
Nous avons de la chance par rapport à notre famille, à nos amis qui restent. En raison de la situation (et de la prescience de Papa), nous sommes forcés au départ, eux seront jetés hors d’Egypte après Suez. Mais il reste une déchirure définitive, une plaie béante qui ne cicatrisera jamais entièrement.

2008. Les synagogues sont désertes. Mansourah vit à Brooklyn : sa cuisine a conquis les Américains. Le Caire est passé de deux millions d'habitants à près de vingt millions. La mémoire juive subsiste chez quelques vieux, de ci, de là. Le Haret el Yahud ne vit plus. De ces cinq oratoires, seul celui de Beth Moshé, la maison du Rambam, attend d'être restauré depuis des lustres. Les Juifs d'Egypte, une poignée, agonisent. Un homme n'est plus un homme, hélas et une livre n'est plus une livre. L’Égypte d'aujourd'hui a extirpé ma mémoire, notre mémoire. Elle ne subsiste que chez quelques irréductibles mélancoliques.

Égypte, j'ai ta nostalgie. Celle de mon enfance et celle du bonheur. Celle du temps où un homme était un homme et une livre était une livre.

Moïse Rahmani

16 mai 2008

Paysage sur le Nil

"Porteurs d'eau près de l'île de Philae"
Huile sur toile d'Adam Styka

Une toile sur la Toile
- mai 2008

Adam Styka (1890-1959) était un peintre polonais orientaliste, membre d’une illustre lignée d’artistes. La famille Styka leur a d’ailleurs rendu hommage dans un site très riche, où on peut en particulier admirer les œuvres de ce peintre.

Je vous invite naturellement à visiter la galerie virtuelle où vous pourrez découvrir des dizaines de reproductions de ses toiles réalisées au Maghreb (essentiellement au Maroc), et en Egypte : on y découvre une humanité heureuse malgré l’aridité de certains paysages, des jeunes femmes souvent dénudées et peu farouches, et puis parfois, comme sur cette oeuvre, le miracle de l’eau ou des oasis ... Je n’ai jamais eu encore le bonheur de découvrir l’imposante splendeur des temples égyptiens bordant le Nil : mais ce peintre a un tel génie de la lumière que l’on s’y croirait presque ! 

J.C

15 mai 2008

Le bombardement d'Ashkelon : les nuages iraniens planent sur Jérusalem et le monde

Depuis le début de la semaine, tous les journaux israéliens affichaient une grande publicité annonçant la « conférence des présidents ». Celle-ci se proposait de rassembler des ministres, des délégations étrangères, des parlementaires, des personnalités, des donateurs, tous ceux qui ont contribué à la construction de l’État et de la société israélienne réunis autour du président Shimon Peres pour célébrer les 60 ans d'Israël. Parmi les noms français, on citera rapidement le ministre des affaires étrangères Bernard Kouchner, l'ambassadeur en poste à Tel Aviv Jean-Michel Casa, le philosophe et journaliste Bernard-Henri Lévy, le président du FSJU et de l'AMI Pierre Besnainou. Et le prix Nobel de la paix, grand écrivain en langue française, Elie Wiesel. Le sommet de l'événement devait être marqué par la venue et la présence du président américain George Bush et de son épouse Laura. Le titre de la conférence : « Tomorrow », demain en anglais. Le propos était résolument tourné vers l'avenir d'Israël et de la région.Mais le président Peres l'avait annoncé cette semaine en déclarant que « les nuages de l'Iran planent sur Israël et le monde ». Sa déclaration faisait suite aux événements du Liban où le Hezbollah a fait la preuve qu'il pouvait - comme le Hamas à Gaza - prendre le pouvoir quand il le souhaitait, y compris violemment. La semaine dernière a également été marquée par la mort de deux civils de la région de Sderot suite à un tir de roquettes depuis la bande de Gaza. Alors que Bush arrivait à l'aéroport Ben Gourion, le président iranien Ahmadinedjad déclarait que la grande célébration était le signe du déclin et de la faiblesse de l’État juif. Ses propos étaient relayés par ceux de Mahmoud Zahar, l'homme fort de la bande de Gaza depuis que le premier ministre du Hamas Ismaël Haniyé se cache et n'apparaît plus en public (comme son homologue du Hezbollah Hassan Nasrallah, qui ne communique plus que par voie de discours enregistrés depuis l'élimination du numéro 2 du Hezbollah Imad Mougnieh). Zahar, qui dirige l'équipe du Hamas chargée de négocier une trêve avec Israël par l'intermédiaire des Égyptiens, a répété avec agressivité que son mouvement ne reconnaîtrait jamais l'existence d'Israël. Deux heures après, juste avant l'ouverture de la soirée de gala à Jérusalem en présence de Bush, une roquette de type Grad frappait un centre commercial à Ashkelon. Elle a touché de plein fouet l'étage où se tient un centre médical pour enfants. Peres l'avait dit : « les nuages de l'Iran planent sur Israël et le monde ».

En pleine panique, 43 personnes ont immédiatement été évacuées sur l'hôpital Barzilaï. Son nom est devenu célèbre depuis que l'hôpital d'Ashkelon accueille les blessés de Sderot et des environs. Parmi les blessés, trois victimes dans un état grave : une mère et sa petite fille de trois ans ont dû être transportées en hélicoptère vers un hôpital du centre d'Israël en mesure de prendre en charge les grands blessés. Deux enfants en bas âge ont également été touchés. Quelques habitants d'Ashkelon se sont rassemblés pour protester devant le centre commercial où défilaient les ambulances : la ville, qui compte 160 000 habitants, est devenue la cible des lanceurs de roquettes depuis maintenant trois mois. Les habitants ont signifié qu'ils n'entendaient pas subir le même sort que la petite voisine Sderot bombardée quotidiennement. Les cours normal de la vie et de l'économie se sont interrompus depuis longtemps dans le sud d'Israël. Certains prédisent que la future cible sera Ashdod.
L'attentat a immédiatement été revendiqué par le Jihad islamique. Celui-ci est l'un des bras armés du Hamas qui revendiquera probablement l'attentat dans la nuit.
Lors de la cérémonie d'ouverture, les visages étaient particulièrement tendus. Le ministre de la Sécurité intérieure Avi Dichter s'est fait excuser : habitant de la ville d'Ashkelon, il s'est rendu sur place. Une roquette avait explosé près de sa maison il y a deux mois, la caméra de sécurité de sa résidence privée avait même filmé l'explosion. Alors qu'il se rendait à Sderot, suite à une journée particulièrement violente, une roquette était tombée tout près de lui, blessant légèrement l'un de ses gardes du corps. Dichter a prévenu depuis longtemps que les tirs de roquettes allaient continuer en s'intensifiant. C'est pourquoi il s'est fait le partisan des opérations militaires ciblées dans la bande de Gaza et des éliminations qui visent les personnalités du Hamas.
Le ministre de la Défense Ehoud Barak, après s'être entretenu avec la secrétaire d’État américaine Condollezza Rice, a également annulé sa présence à la soirée de gala pour convoquer un cabinet de sécurité d'urgence. Il réunissait les officiers de l'armée et les membres des services de sécurité israéliens.

L'attentat contre Ashkelon intervient à un moment très particulier. D'abord, d'un point de vue symbolique, le jour de l'arrivée de Bush consacré aux célébrations des 60 ans de l’État d'Israël en présence de nombreuses délégations étrangères. Ensuite, comme nous l'avons déjà dit, au moment où le Hezbollah - l'Iran, pour être clair - monte d'un cran ses menaces contre le Liban. Les mouvements chiites extrémistes ont également relancés leurs offensives en Irak contre les troupes américaines, tandis que les Kurdes attaquent la Turquie alliée des États-Unis. Enfin, une « trêve » est actuellement discutée avec le Hamas par l'intermédiaire des Égyptiens. Le chef des services de renseignements Omar Suleiman s'est déplacé cette semaine - fait rare - à Tel Aviv et Jérusalem.
Tous les commentateurs israéliens ont expliqué que la relance des hostilités depuis la bande de Gaza avait une fonction : le Hamas entend ainsi faire pression sur Israël en lui indiquant ce à quoi il s'exposerait en refusant une trêve à ses conditions. D'un autre côté, les positions posées par le Hamas sont tellement insoutenables qu'il est difficile de croire qu'Israël puisse y souscrire. D'une part, la trêve hypothétique ne comporte aucune garantie. D'autre part, le Hamas ne s'engage pas pour les autres groupes terroristes. Enfin, il refuse toujours de libérer Gilad Schalit. Au moment où le premier ministre Ehoud Olmert est particulièrement faible - embourbé dans une nouvelle « affaire » ; tandis que toute la région lance des signaux alarmants dirigés par l'Iran, l'escalade n'a manifestement qu'une fonction : embarrasser un peu plus Israël et l'obliger à une réponse. Il est peu probable qu'Israël se lance immédiatement dans une opération militaire d'ampleur. D'autant qu'il doit se préparer à riposter sur deux fronts. Il est en revanche certain que le gouvernement et les forces de sécurité, qui agissent quotidiennement par des frappes ciblées, sont dans une position extrêmement délicate face à une opinion israélienne exaspérée.

Ce matin, le ministre des Affaires étrangères espagnol a lancé l'idée d'une collaboration entre Israël, les pays européens et les pays arabes modérés pour contrer la menace iranienne de plus en plus réelle et concrète. A la suite de sa visite en Israël, Bush doit se rendre à Sharm El-Sheikh pour rencontrer le président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, le président égyptien Hosni Moubarak et le roi de Jordanie Abdullah. Le président français Nicolas Sarkozy est attendu fin juin en Israël. Tout indique que les pays arabes ne sont pas prêts à agir contre le terrorisme et l'Iran : suite à la tentative de coup d’État au Liban, le sommet de la Ligue arabe réuni au Caire en urgence a renoncé - suivant en cela les recommandations de la Syrie - à envoyer des troupes de stabilisation et d'observation au Liban. L'Arabie Saoudite s'est contentée de déclarations de principes spectaculaires mais peu efficaces concrètement. Il semble que les Arabes, farouchement hostiles aux chiites iraniens, préfèrent cependant laisser le « sale boulot » et les risques qu'il comporte aux autres. Mais si les forces démocratiques ne parviennent pas à mettre en œuvre une diplomatie plus offensive, non seulement elles perdront définitivement le Liban et leur rêve d'une Palestine, mais elles prendront également le risque d'un embrasement dans la région. Car Israël ne peut pas se permettre de « laisser les nuages de l'Iran planer sur la région ». Pour lui, c'est une question de vie ou de mort. Le visage du président américain lors de l'inauguration de la soirée, l'expression tendue des officiels américains, semblaient indiquer que Bush, qui doit quitter ses fonctions en janvier, a compris qu'il n'était pas encore arrivé au terme de son mandat dont rien n'indique qu'il sera sanctifié par la paix. Car les six mois à venir seront manifestement consacrés à la guerre.

Isabelle-Yaël Rose
Jérusalem, le 14 Mai 2008

13 mai 2008

Egypte - Israël - Hamas, la partie à trois : Frédéric Encel sera mon invité le 18 mai

La frontière de Gaza avec l’Égypte dynamitée par le Hamas,
photo AFP du 26 janvier 2008

Comme vous l’avez constaté, ma série radiophonique ne traite pas directement du conflit israélo-palestinien, et ce pour plusieurs raisons. D’abord, l’actualité et les analyses sur le sujet sont traitées de façon quotidienne sur la fréquence juive, et il est bon d’aérer un peu l’information en parlant d’autres sujets. Ensuite, cette série consacrée au monde musulman n’a pas une vocation platement culturelle, et vous avez bien sûr compris que si je consacre tant de lectures et de réflexions à cet univers, c’est bien parce que la montée de l’islam radical constitue une vraie menace stratégique pour le peuple juif, partout dans le monde. Et puis, et cela amène la transition par rapport à ma prochaine émission, il est clair que l’environnement géostratégique d’Israël, bien au-delà des Palestiniens, contribue fortement à sa sécurité - ou plus exactement à son insécurité, et c’est pourquoi par exemple, nous avons souvent traité souvent ces dernières années du Liban ou de l’Iran.

Dimanche prochain, nous parlerons d’un voisin direct d’Israël, l’Égypte : ce sera fort à propos, dans le cadre du mois spécial que vous suivez sur le blog depuis début mai. J’aurai le grand plaisir de recevoir un expert bien connu de notre auditoire, Frédéric Encel. Frédéric Encel est géopolitologue, spécialiste du Proche Orient auquel il a consacré plusieurs livres, pour citer les plus récents, un « Atlas géopolitique d’Israël » aux éditions Autrement, et la « Géopolitique du Sionisme » aux éditions Armand Colin. Les auditeurs fidèles de l’émission dominicale de notre consœur Kim Abramowicz sur RCJ, et j’en fais partie, apprécient son calme et ses analyses non passionnelles, qui contrastent avec ce que l’on entend souvent sur le 94.8 FM ... Avec lui nous évoquerons un sujet plus que brûlant, puisqu’il concerne la frontière de Gaza quotidiennement bombardée, et j’ai intitulé mon émission : « Égypte - Israël - Hamas, la partie à trois ». La dernière fois que je l’avais eu à mon émission c’était en décembre 2004, le retrait de la bande de Gaza venait d’être décidé par Ariel Sharon, et nous avions fait un état des lieux assez optimiste : depuis, le Hamas a pris le pouvoir sur place, les Égyptiens n’ont rien fait pour empêcher d’abord sa montée en puissance militaire, puis l’établissement d’un véritable Califat islamique enkysté entre leur pays et Israël, et on se demande où tout cela risque de mener !

Parmi les questions que je lui poserai :

- des dizaines de tonnes d’armes ont transité par le territoire égyptien vers Gaza : est-ce que cela était du à de la veulerie, ou à une vraie complicité ?
- d’où viennent ces armes ? Vu leur poids, elles ne sont probablement pas transportées à dos de chameau, et si elles viennent d’Iran, l’Égypte devrait être capable de contrôler ses eaux territoriales ? Question connexe, est-ce que cela ne pose pas aussi des questions troublantes sur la complicité des tribus bédouines de la péninsule ?
- une trêve, une «Tadiyé » est proposée par le Hamas, pour une durée plus ou moins longue : pourquoi cette insistance à obtenir un accord avec Israël ? Est-ce que le but c’est acquérir - dans l’intervalle et si la frontière de Rafah reste une passoire -, une capacité militaire redoutable, dans le contexte d’une vraie guerre planifiée par l’Iran ? Ou est-ce que le but n’est pas d’abord politique, en obtenant par la force ce que Abou Mazen n’a pas obtenu, et en triomphant ainsi aux yeux de l’opinion publique palestinienne ?
- pourquoi est-ce que personne ne demande à l’Égypte d’assurer, à la place d’Israël, le ravitaillement à la fois en vivres, en électricité et en carburant, de la bande de Gaza ?

... et plein d’autres questions, qui hélas risquent d’être vite dépassées tant la frontière de Gaza est devenue un volcan en ébullition !

J.C