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27 février 2018

Solidarité avec les Kurdes, 3/4. Relations d'Israël avec les Kurdes d'Irak

Mustafa Barzani 

Introduction :


Ci-dessous la deuxième partie de ma conférence, donnée à Saint-Mandé le 8 janvier 2018, dans le cadre de la soirée de solidarité judéo-kurde évoquée au 1 / 4


J.C

Deuxième partie : l’alliance stratégique d’Israël avec les Kurdes irakiens

Pourquoi y a-t-il eu cette alliance-là, et pas l’équivalent avec les Kurdes de Turquie ou ceux d’Iran ?

A la chute de l’Empire Ottoman, les grandes puissances, et en premier lieu les Anglais, vont créer plusieurs Etats se définissant comme « arabes » dont l’Irak, conçu comme un « pays tampon » entre la Turquie et la Perse. Le nationalisme arabe était quelque chose de récent, mais partout il va chercher à gommer les identités culturelles qui étaient gérées avec une certaine souplesse dans l’ancien Empire. Dans ce nouveau pays, l’Irak, vivaient Chiites, Sunnites et Kurdes. Au départ, la Société des Nations prévoyait une zone autonome autour de Mossoul, mais le pouvoir central irakien ne respectera pas cet engagement ; et cela va déclencher la première révolte kurde menée par Mustafa Barzani dans les années 30. 

Ensuite va naitre l’Etat d’Israël, immédiatement envahi par les pays voisins. Pour briser cet isolement, David Ben Gourion va essayer de mettre en œuvre la fameuse stratégie de « l’alliance de revers » avec trois pays non arabes, l’Ethiopie, l’Iran et la Turquie, trois pays qui étaient à l’époque alliés des Occidentaux. Avec le régime du Shah, l’alliance militaire bien que secrète se développa dans les années 70 ; avec la Turquie, il faudra attendre la fin des années 90 pour nouer une vraie relation stratégique ; et pour ces deux pays, l’arrivée au pouvoir des islamistes a brisé ces alliances.  Donc la « real politik » commandait de soutenir les Kurdes d’Irak, et pas les autres.

On vous l’a rappelé tout à l’heure, il y a eu plusieurs révoltes armées au cours des années 60, 70 et 80. C’est en 1959 qu’un envoyé de Mustafa Barzani commença à contacter les Israéliens. A ce moment-là, l’Iran avait une attitude ambiguë vis-à-vis des Kurdes, soutenant ceux de l’Irak - pays voisin et potentiellement ennemi -, mais avec la crainte que leur révolte ne s’étende sur son propre territoire. Ben Gourion autorisa cette aide au début des années 60, à condition qu’elle reste secrète et donc coordonnée par le Mossad. Ce soutien consista en des livraisons d’armes et en la formation des combattants kurdes, les Peshmergas. Et elle se poursuivit au cours des décennies suivantes, alors que l’Iran allait lâcher les Kurdes d’Irak par deux fois, d’abord lors des accords d’Alger signés en 1975 par le Shah avec Saddam Hussein ; et puis bien sûr dans les années 80, alors que la nouvelle République Islamique d’Iran devait successivement mater une nouvelle insurrection kurde, puis subir une guerre très dure entre 1980 et 1988, guerre lancée par Saddam.

C’est la troisième insurrection, déclenchée par les Kurdes en 1983 qui va provoquer la répression la plus horrible. Au cours des huit opérations militaires de l’armée de Saddam Hussein baptisées « Anfal », on a vraiment eu affaire à un génocide des populations civiles. Et cela m’amène à vous parler de deux émissions de ma série. En décembre 2002, à quelques mois de l’invasion américaine de l’Irak, je recevais le professeur Halkawt Hatem, lui-même réfugié kurde irakien. On a évoqué le massacre de Halabja, où un bombardement à l’arme chimique a tué plus de 5.000 personnes et laissé 12.000 handicapés à vie. Et voici ce que mon invité a dit à propos du silence du monde arabe : « Les Kurdes disent souhaiter autant de droits et de liberté que les Arabes en Israël. Les Palestiniens ont la possibilité de mener une Intifada : en deux ans, il y a eu 2.000 tués palestiniens. En un quart d’heure, Saddam Hussein, le chantre du nationalisme arabe, a tué 5.000 personnes, et contrairement aux Palestiniens dont la cause est défendue à travers le monde, personne n’a rien dit. » En décembre 2005, nous avons parlé d’un ouvrage de 700 pages, « Le livre noir de Saddam Hussein » ; et je recevais un des contributeurs, le docteur Françoise Brié qui avait souvent été en mission là-bas pour des associations humanitaires. Dans son introduction, Bernard Kouchner chiffrait à plusieurs centaines de milliers de mort le bilan du régime irakien ; et d’après mon invitée, ce livre - qui dénonçait la complicité passive des grandes puissances dans ces massacres, et en premier lieu de la France -, avait eu un faible écho médiatique. On a donc là un élément évident de la communauté de destin entre les Juifs et les Kurdes : les deux ont failli être totalement exterminés de manière horrible, et avec la complicité du monde. 

Jean Corcos

25 février 2018

Solidarité avec les Kurdes, 2/4. Kurdes et Juifs, une relation millénaire



Introduction :

Ci-dessous la première partie de ma conférence donnée à Saint-Mandé le 8 janvier 2018, dans le cadre de la soirée de solidarité judéo-kurde évoquée au 1/4.

J.C 

Première partie : l’histoire millénaire des relations entre Juifs et Kurdes

Au moment de l’indépendance de l’Etat d’Israël - qui va précéder partout dans le monde musulman le départ, forcé ou volontaire, de pratiquement tous les Juifs -, on estime leur nombre à environ 25.000 dans le Kurdistan irakien. Ce sont de loin les plus nombreux par rapport aux autres territoires peuplés de Kurdes, puisqu’on y dénombre 146 communautés, vivant dans des villes ou des petits villages, contre seulement une vingtaine en Iran ; seulement 150 juifs vivaient en Syrie, dans la localité kurde de Qamichli à la frontière turque ; et très peu dans les zones kurdes de la Turquie.

Mais quelle était l’origine de ces communautés ? Comme dans tous les pays de la Diaspora, il est impossible de définir une histoire linéaire. Il y a bien sûr les descendants des exilés, et pour l’Irak on sait qu’ils ont été déportés suite à la conquête assyrienne du Royaume d’Israël. Dans le deuxième livre des Rois, il y a un passage qui dit : « le Roi d’Assyrie prit Samarie ; et amena Israël captif en Assyrie ; il leur assigna pour séjour Hala, les rives du Habor, fleuve de Gosan et les villes des Mèdes ». Elément indiscutable, la tradition orale des Juifs du Kurdistan irakien les fait descendre de ce premier exil. Cette tradition situe dans cette région les tombeaux de Prophètes bibliques, Nahum, Daniel et Jonas. Mais il y a eu aussi, comme ailleurs, des mélanges de population. C’est ainsi que dans un petit royaume dont la capitale était Erbil – siège actuel du gouvernement autonome du Kurdistan – la maison royale et beaucoup de sujets se sont convertis au Judaïsme au 1er siècle après J.C. Il y a eu aussi en sens inverse beaucoup de conversions au christianisme. Au Moyen-Orient comme en Europe, les Juifs ont parfois dû fuir : or les montagnes du Kurdistan ont toujours servi de refuge, on l’a vu il y a deux ans quand des dizaines de milliers de Yézidis ont fui les troupes du Daech ; et ainsi, beaucoup de Juifs vivant dans les régions conquises par les Croisés sont venus se réfugier au Kurdistan irakien.

Alors comment vivaient-ils ? On a les témoignages de voyageurs juifs, Benjamin de Tudèle au 12ème siècle, et Petachiah de Ratisbonne au 13ème siècle. Ils décrivent des communautés prospères, et jouissant même d’une forme d’autonomie à Mossoul. Ensuite, il va y avoir une période moins brillante pendant deux siècles avec les invasions mongoles, jusqu’à ce que toute cette région passe sous contrôle ottoman, ce qui a apporté une forme de stabilité. Un autre voyageur juif, Zekariah al-Zahiri, a rapporté l’existence de communautés qui avaient une vie religieuse très intense, avec des Yeshivot, et une dynastie de Rabbins dont le nom était Barzani. Ces Juifs kurdes étaient commerçants ou artisans, mais aussi paysans ou éleveurs dans les villages. Dans l’ensemble correctement traités, ils étaient quand même dans une situation de sujets à maitre. Les Juifs négociaient leur existence au quotidien avec les chefs tribaux kurdes, jusqu’à la création de l’Etat irakien par les Anglais. Et là deux choses vont se passer : les débuts de la rébellion kurde dans les années 30 ; et puis l’hostilité suscitée par le Sionisme, qui va entrainer une hostilité vis-à-vis des Juifs, et même un pogrom de grande ampleur à Bagdad en 1941. Par ailleurs, l’attachement à la Terre Sainte était très vivace en Irak, et on sait que c’est une communauté qui a fait une Alya de masse et durable.

Mais ceux qui vivaient en zone kurde l’ont fait dans des conditions vraiment particulières : d’après les témoignages de leurs descendants vivant en Israël, « c’est le seul endroit au monde où les juifs sont sortis dans les rues pour célébrer leur retour après 2.700 ans, tandis que leurs voisins non juifs pleuraient leur départ. ».
Ces communautés kurdes sont ainsi toutes parties en 1950-1951.

Jean Corcos