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31 mai 2016

Encore de nouveaux liens !



Quelques modifications apportées au menu de liens permanents, proposés sur la colonne de gauche du blog.

Tout d'abord, j'ai supprimé trois sites vraiment peu actifs, afin de faire de la place aux "nouveaux".

Trois nouveaux liens, donc, et j'ai essayé de rester éclectique dans mes choix : l'important est de vous aider à trouver des informations, même à des adresses un peu éloignées de la sensibilité des uns ou des autres : vous le savez, "Rencontrejudaïquesfm" est à l'image de mon émission, un lieu d'échanges et d'ouverture ; même si cette ouverture ne me conduira jamais à promouvoir, directement ou indirectement, ici ou sur nos ondes, des discours racistes, antisémites ou antisionistes radicaux.

Premier site, "Info Hallal", placé juste sous le site du CFCM. A ne pas confondre avec "Hallal  Book", clairement islamiste et anti israélien enragé. C'est un média en ligne de sensibilité clairement musulmane, ce qui y est publié ne correspond pas forcément à ce qui me plairait, mais il me semble plus équilibré dans le discours que de nombreux autres sites musulmans engagés.

Second site, "Ikhwaninfo". Ce n'est pas un hasard si vous le trouverez juste sous celui de Caroline Fourest, qui a été souvent l'invitée de ma série. C'est l'observatoire des Frères Musulmans "("Ikhwan", justement) et de l'islam politique. Et on y retrouve une belle équipe de journalistes et contributeurs, de diverses origines et dont plusieurs ont été aussi mes invités.

Troisième nouveau lien, mis sous le précédent, le site d'Isabelle Kersimon, journaliste indépendante qui a été mon invitée au début de l'année. Son nom est en fait "islamophobie", mais je craignais en mettant ce titre de rebuter de nombreux lecteurs potentiels : en fait, auteure d'un livre sur le sujet, elle rejette justement ce concept "d'islamophobie", et elle réalise en temps réel des analyses très critiques des discours et actions du CCIF ("Collectif contre l'Islamophobie en France").

Bonne découverte de ces nouveaux liens !

J.C

29 mai 2016

La haine sur Internet, comment la combattre ? Philippe Coen sera mon invité le 5 juin



C'est une émission tout à fait particulière que je vous présenterai dimanche prochain : j'aurai le plaisir, comme d'habitude, de vous faire entendre un invité, mais vous m'entendrez plus longuement qu'à l'accoutumé en deuxième partie, car je vais vous parler d'un problème réellement inquiétant, et pour lequel j'ai lancé une mobilisation à laquelle j'espère vous associer. J'ai intitulé ce numéro de "Rencontre" : "La haine sur Internet, comment la combattre ?". Ce n'est pas la première fois que nous abordons ce sujet, on a en parlé en particulier avec mon ami Marc Knobel, directeur des Etudes au Crif, et on avait déjà évoqué les horreurs que l'on rencontre sur Facebook, Twitter et Youtube. Le 5 juin, j'aurai le plaisir de recevoir Philippe Coen. Philippe Coen est un avocat international, il connait parfaitement les Etats-Unis où sont nés ces géants des réseaux sociaux ; mais il est surtout le président fondateur de "Respect Zone". C'est une ONG tout jeune, puisque fondée il y a environ un an et demi, et qui a déjà obtenu des beaux résultats : disons, en résumé, que au delà de la surveillance par des tiers, qui reste indispensable, et de la suppression de publications haineuses - souvent difficile à obtenir -, il propose une approche positive avec une "auto modération". On en parlera donc en première partie d'émission. Et puis en deuxième partie, j'évoquerai pour mes auditeurs un problème tout à fait spécifique mais très inquiétant : l'utilisation du réseau social Facebook pour la propagande négationniste. C'est une horreur qui véhicule un antisémitisme ignoble, or tous les signalements faits à la modération de ce réseau social se heurtent à un refus. C'est pourquoi - mes lecteurs fidèles le savent déjà - j'ai lancé à titre personnel une pétition il y a trois mois, pétition rapidement signée par des milliers de personnes ; et je ferai un point sur ce sujet, en demandant aussi son avis à mon invité.

Parmi les questions que je poserai à Philippe Coen :

-        Lors du dernier séminaire organisé par le Crif sur ce sujet, j'ai retenu le chiffre de deux messages haineux à la seconde : est-ce que cela est confirmé par d'autres enquêtes ? Est-ce que cette haine s'adresse plus aux Juifs qu'aux autres minorités, ou est-elle devenue quelque chose de général et de banalisé ? Est-ce qu'on la trouve plus sur les réseaux sociaux que sur les forums de lecteurs des sites d'information ?
-        Comment expliquer cette situation : est-ce qu'il faut considérer l'expression publique sur Internet comme le reflet de quelque chose qui a toujours existé mais qu'on ne réalisait pas, à savoir que beaucoup de gens sont potentiellement racistes, haineux voire potentiellement violents ? Est-ce que ne vont s'exprimer de préférence que les plus extrémistes ? Est-ce qu'en fait, on n'a pas affaire à une manipulation des réseaux sociaux par des minorités agissantes ? Ou alors est-ce que c'est le mode d'expression, le fait non pas de parler mais d'envoyer des messages devant son écran d'ordinateur qui libère les pulsions les plus agressives ?
-        A propos de "Respect Zone", c'est  "une initiative associative issue de la société civile, sans but lucratif, apolitique et non religieuse, qui propose un label éthique simple d'usage et d'affichage, sans frais, auto certifiant, accessible à tous ceux qui souscrivent au principe de respect sur Internet ainsi qu’à la charte Respect Zone" : expliquez nous comment cela fonctionne. Et surtout, dites-nous quelle est la Charte que s'engagent à respecter ceux qui acceptent volontairement votre label.
-        Vous venez de publier aux éditions "Le bord de l'eau" un livre intitulé "Pour en finir avec Main Kampf", pour rappel le livre programme d'Adolf Hitler est revenu dans le domaine public et vous avez travaillé à ce que son édition ne soit pas banalisée et livrée sans précautions : pensez-vous qu'Internet permettra de réécrire l'Histoire, et finalement de réhabiliter le nazisme ?
-        Notre pétition a été officiellement remise à Facebook France, mais nous ne les avons pas encore rencontrés ; les Autorités sont informées, un dossier a été remis à la DILCRA. Vous connaissez bien les Etats-Unis, ces géants d'Internet, riches à milliards de dollars, est-ce qu'on arrivera à gagner ce combat là ? Est-ce que c'est un choc de culture, la culture américaine n'ayant pas du tout notre mémoire historique ? Et est-ce qu'ils accepteront un réelle auto modération de ce qu'ils publient ?

Un sujet qui me tiens particulièrement à cœur, comme vous le savez ... j'espère donc que vous serez très nombreux à l'écoute !

J.C

27 mai 2016

« Assimiler la radicalisation islamiste à un phénomène sectaire pose problème », par Fethi Beslama (3/3)

Abdelhamid Abaaoud, un des terroristes du 13 novembre 2015 à Paris

Crainte récurrente

L’angoisse de beaucoup de musulmans est de vivre dans un monde où la sécularisation, dont ils consomment par ailleurs les objets, leur fait vivre le sentiment de devenir autres, de ne plus être eux‑ mêmes. Le malheur de se percevoir comme un soi inauthentique est le ressort du désespoir musulman. Se voir emporté inexorablement vers l’exil occidental sans Dieu est une crainte récurrente qui s’exprime dans les discours et dans les actes visant à planter partout des minarets comme des clous pour empêcher le sol de s’en aller. D’où la recherche désespérée d’arrêter la dérive, en convoquant le pieux ancêtre au présent. Or l’islamisme a produit une fiction qui séduit ce qui est plus grand qu’un moi, essentiellement inauthentique : un surmoi d’origine, incarné par la figure du surmusulman. Comme toute figure, elle se décline et revêt des éditions plus au moins typifiées, parmi lesquelles celle de se retirer du monde, mais la plus flamboyante est d’en finir avec lui, de participer à sa fin. C’est celle qui attire des jeunes engagés dans le djihadisme.
Comment le surmusulman a‑t‑il été enfanté historiquement ? Les traumatismes historiques ont une onde de propagation très longue, surtout lorsqu’une idéologie les relaie auprès des masses, pour constituer un idéal préjudicié. C’est l’œuvre principale de l’islamisme. Dès lors, les générations se transmettent le trauma et le préjudice, de sorte que des individus se vivent en héritiers d’infamies, sachant les faits ou pas. L’année 1924 marque la fin du dernier empire islamique vieux de six cent vingt‑quatre ans, l’abolition du califat, autrement dit du principe de souveraineté en islam, et la fondation du premier État laïque en Turquie . Le territoire ottoman est dépecé et occupé par les puissances coloniales ; les musulmans passent de la position de maîtres à celle de subalternes chez eux. C’est l’effondrement d’un socle vieux de mille quatre cents ans, la fin de l’illusion de l’unité et de la puissance. S’installe alors la hantise mélancolique de la dissolution de l’islam dans un monde où il ne gouverne plus.
Le symptôme de cette cassure historique est la naissance, en 1928, des Frères musulmans, qui est la traduction dans une organisation de la théorie de « l’idéal islamique blessé » à restaurer , à venger . L’islamisme promet le rétablissement du califat par la défaite des États nationaux. Il véhicule le souvenir du traumatisme et le projette sur l’actualité désastreuse de populations souffrant du sort qui leur est réservé par leurs gouvernements, les expéditions militaires occidentales et les guerres civiles. L’effondrement historique s’est accompagné d’un clash inédit dans le modèle du sujet musulman. C’est un fait que les Lumières arrivent en terre d’islam avec des canonnières. Pour autant, des élites musulmanes deviendront des « partisans des Lumières » et de leur émancipation politique , considérant que les Lumières occidentales permettent une remémoration de celles oubliées de l’islam, au nom d’une alliance universelle contre « les armées des ténèbres ». S’opposeront à eux des « anti‑Lumières », qui revendiquent la restauration de la souveraineté théologique et le retour à la tradition prophétique, au nom de la suffisance de l’islam à répondre à tous les problèmes. Le mot d’ordre des Frères musulmans est : « L’islam a réponse à tout. »
Une discordance systémique apparaît alors dans le rapport du sujet de l’islam au pouvoir. Les uns veulent être citoyens d’un État, musulmans mais séparés de l’ordre théologique, c’est ce que j’appelle les « musulmans séparés », les autres veulent au contraire s’affirmer davantage musulmans, encore et encore plus. D’où l’émergence du surmusulman. L’islamisme apparaît alors comme une défense de l’islam, si acharnée qu’elle veut se substituer à lui. Elle a mobilisé tous les anticorps d’un système se percevant en perdition. Mais la défense est devenue auto‑immunitaire, au sens où elle détruit ce qu’elle veut sauver. C’est pourquoi le surmusulman a deux ennemis : l’ennemi extérieur, l’Occidental, et l’ennemi intérieur, l’Occidenté, qui est le musulman définitivement disjoint du califat, celui qui refuse la soumission de la politique à la religion, qui se veut citoyen d’une nation. Le surmusulman le considère comme un islamoïde, pire qu’un Occidental, un répliquant à débusquer, à éliminer.

Fethi Benslama,

Le Monde, 10 mai 2016

26 mai 2016

« Assimiler la radicalisation islamiste à un phénomène sectaire pose problème », par Fethi Benslama (2/3)



Idéal blessé

La justice identitaire est la clé de voûte de la construction radicale. Elle touche au cœur des failles de l’identité des jeunes. Elle opère comme une soudure des parties du soi menacé en le fusionnant avec un groupe de pairs, pour former une communauté de la foi, vivant de concert les mêmes émotions morales. L’effet du groupe est de procurer l’illusion qu’ensemble on peut jouir du même corps. La justice identitaire repose sur une théorie de « l’idéal islamique blessé » et du tort fait aux musulmans au présent et au passé. L’idéal blessé est celui de la perte du principe de souveraineté politico‑théologique de la communauté musulmane avec l’abolition du califat et le dépeçage par les puissances coloniales du dernier empire musulman, l’Empire ottoman, en 1924.
Notons ici que la première organisation islamiste, celle des Frères musulmans, est fondée en 1928. On peut dire que les mouvements islamistes sont nés du traumatisme de cette période et en ont propagé l’onde de choc auprès des masses. Quant aux torts faits aux musulmans, ce sont les guerres anciennes et récentes au Moyen‑Orient : Palestine, Afghanistan, Irak, etc. Des images de destruction, de massacres, d’enfants morts et mutilés viennent à l’appui, assorties de l’appel à devenir justicier. Il y a des jeunes non‑musulmans qui répondent à cet appel. Mais, pour la majorité, l’offre djihadiste consiste ici à superposer le tort fait à la communauté musulmane au vécu d’un préjudice individuel dans l’existence du sujet. Elle vise à ce que l’idéal blessé absorbe le sujet et que la blessure parle et agisse à travers lui comme une revenante dans le corps d’un zombie. Il est appelé à devenir le vengeur de l’idéal, ou bien, ce qui revient au même, le vengeur de la divinité outragée. Le cas des frères Kouachi dans l’attentat contre Charlie Hebdo est paradigmatique à cet égard. Il y a des jeunes que la déficience de l’idéal du moi conduit à rechercher une incarnation de l’idéal collectif, dont la plénitude est donnée dans le devenir martyr. (…)
J’appelle « surmusulman » la contrainte sous laquelle un musulman est amené à surenchérir sur le musulman qu’il est par la représentation d’un musulman qui doit être encore plus musulman. (…) Surmusulman est un diagnostic sur la vie psychique de musulmans imprégnés par l’islamisme, hantés par la culpabilité et le sacrifice. Il doit expier et se repentir, se purifier et chercher la vie homogène. Si, en principe, il y a lieu de distinguer entre la tendance au surmusulman et son accomplissement, en réalité leurs frontières sont poreuses et les passages imprévisibles, même si la tendance est plus fréquente que l’incarnation du surmusulman.
Concrètement, on peut observer les conduites du surmusulman chez des croyants pour lesquels il n’est plus suffisant de vivre la religion dans le cadre de la tradition, fondée sur l’idée de l’humilité. En effet, l’une des significations majeures du nom « musulman » est l’humble. C’est le noyau éthique fondamental de l’islam. Avec le surmusulman, il s’agit au contraire de manifester l’orgueil de sa foi à la face du monde : Islam pride. Elle se traduit par des démonstrations publiques : stigmate sur le front, prière dans la rue, marquages corporels et vestimentaires, accroissement des rituels et des prescriptions témoignant de la proximité continuelle avec Allah, évoqué à tout bout de champ.
Les surmusulmans se veulent les bouches ouvertes de Dieu dans le monde , proférant leur haine de ceux qui n’ont pas leur croyance de feu et de flamme. On pourrait les nommer aussi les « allahants », tant ils ahanent sans cesse Allah akbar. Cette invocation, qui devait en principe rappeler à celui qui la prononce sa petitesse apaisante, voici qu’elle est devenue la manifestation d’une suffisance, d’un pouvoir de tout se permettre. Ils tuent en allahant. Ils ne se soumettent à Dieu qu’en le soumettant à eux.
C’est pourquoi la figure du surmusulman attire les délinquants ou ceux qui aspirent à le devenir ; ils se convertissent par désir d’être des hors‑la‑loi au nom de la loi, une loi supposée au‑dessus de toutes les lois, à travers laquelle ils anoblissent leurs tendances antisociales, sacralisent leurs pulsions meurtrières. Le surmusulman recherche une jouissance que l’on pourrait appeler « l’inceste homme‑Dieu », lorsqu’un humain prétend être dans la confusion avec son créateur supposé au point de pouvoir agir en son nom, devenir ses lèvres et ses mains. Ce n’est pas l’union mystique avec Dieu qui n’est jamais permanente et loin de toute arrogance, comme dans le soufisme. Si le musulman cherche Dieu, le surmusulman croit avoir été trouvé par lui.

Fethi Benslama,
Le Monde, 10 mai 2016

25 mai 2016

« Assimiler la radicalisation islamiste à un phénomène sectaire pose problème », par Fethi Benslama (1/3)

Fethi Benslama

Fethi Benslama est psychanalyste, professeur de psychopathologie à l’université Parie-Diderot et membre de l’Académie tunisienne. Le 12 mai, il publie « Un furieux désir de sacrifice. Le surmusulman ». Dans la lignée de ses précédents ouvrages « La Psychanalyse à l’épreuve de l’islam » (Flammarion, 2004) ou « Déclaration d’insoumission. A l’usage des musulmans et de ceux qui ne le sont pas » (Flammarion, 2011), il se demande comment penser le désir sacrificiel des jeunes au nom de l’islam.

La grande majorité des travaux font l’impasse sur la dimension psychologique et a fortiori psychopathologique dans la radicalisation, considérée phénoménalement comme un fait qui appartient à la conscience et à la volonté de l’acteur, ce qui exclut la dimension de l’inconscient. (…)
Essayer de penser ce qui arrive à quelqu’un pour qu’il en vienne à choisir des voies périlleuses de traitement de lui‑même et des autres nous oblige à ne pas en rester à un niveau comportemental, ni à la langue de bois des radicalisés, mais à prendre en considération ce qui conduit quelqu’un à s’enflammer et à embrasser tout autour de lui. De même que la psychanalyse nous montre que le symptôme est une solution de compromis qui a une fonction dans l’économie d’un sujet, la tentative de résorption des symptômes dans la radicalisation a également sa raison : obtenir une guérison par un circuit très particulier, celui qui requiert d’affronter le danger interne par une mise en danger externe plus importante, dût‑elle conduire à la mort. C’est un fait que j’ai constaté cliniquement : le symptôme est effacé par l’effet d’une saturation de l’idéal qui place le sujet dans une mission divine. (…)
Cette approche nous permet aussi de comprendre le succès de l’islamisme radical auprès des convertis. Les failles identitaires ne sont pas l’apanage des enfants de migrants ou de familles musulmanes, c’est ce qui explique que 40 % des radicalisés soient des convertis. Je dirais que ces sujets cherchent à se radicaliser avant de trouver le produit de la radicalisation. Peu importe qu’ils ignorent de quoi est fait ce produit, pourvu qu’il apporte « la solution ». La presse a rapporté le cas de djihadistes qui avaient commandé par Internet des ouvrages tels que L’Islam pour les nuls. Il faut une dose importante d’ignorance pour que les fantasmes se drapent dans l’innocence et cherchent leur réalisation sans crainte ni doute. Le juge d’instruction Marc Trévidic, du pôle antiterroriste de Paris, a déclaré, à plusieurs reprises, que certains revenants des zones de combat qu’il a interrogés ne connaissaient pas les cinq piliers de l’islam ! Il est possible que cette catégorie dite « des convertis » comporte beaucoup de born again, ces personnes qui retrouvent la foi délaissée par eux‑mêmes ou par leur groupe familial à la génération précédente.
Notons, toutefois, que certains engagés sur les zones de combat ne cherchent pas de prime abord la dimension spirituelle ou la conversion religieuse. Ils veulent s’insurger contre l’oppression cruelle subie par les Syriens du fait du régime de Bachar Al‑Assad . Pour d’autres, le départ vers l’Orient mystérieux fait office d’un passage initiatique et romantique. J’ai été frappé, en lisant des textes sur l’histoire des croisades, de constater de nombreuses similitudes avec l’équipée subjective de ces départs au djihad. Le djihadisme serait‑il une croisade inversée ? Aujourd’hui, l’islamisme radical est le produit le plus répandu sur le marché par Internet, le plus excitant, le plus intégral. C’est un passe‑partout de l’idéalisation à l’usage des désespérés d’eux‑mêmes et de leur monde.
L’assimilation de la radicalisation islamiste à un phénomène sectaire pose problème. Il y a certes quelques aspects comparables, comme le phénomène dit « de l’emprise mentale », mais des différences essentielles sont patentes. Dans la secte, l’individu s’assujettit aux fantasmes ou à la théorie délirante du gourou, à son exploitation économique, voire sexuelle. Le djihadiste, quant à lui, adhère à une croyance collective très large, celle du mythe identitaire de l’islamisme, alimentée par le réel de la guerre, à laquelle on lui propose de prendre une part héroïque, moyennant des avantages matériels, sexuels, des pouvoirs réels et imaginaires. Le mélange du mythe et de la réalité historique est plus toxique que le délire.
L’offre radicale va donc se saisir des impasses du passage juvénile et se modeler sur les possibilités d’une traversée à la fois individuelle et collective, physique et métaphysique, mythique et historique, dont je voudrais relever les principaux motifs.
Sans être exhaustif, on peut dégager quelques opérateurs fondamentaux de la séduction narcissique des idéaux dans l’offre de radicalisation. Cette séduction constitue une dimension fondamentale dans l’attirance qu’elle exerce sur les jeunes, comme le souligne à juste titre Philippe Gutton [in Adolescence et djihadisme, L’Esprit du temps, 2015].

Fethi Benslama,

Le Monde, 10 mai 2016