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31 mars 2019

Une mosquée utopique ? Eva Janadin et Anne-Sophie Monsinay seront mes invitées les 7 avril


C’est une émission bien originale que je vous proposerai dimanche prochain, car nous allons parler du projet vraiment révolutionnaire de développer en France un courant résolument moderne de l’islam. Je l’ai découvert en apprenant que Fondapol - la fondation pour l’innovation politique dont j’ai déjà reçu à mon émission le directeur général, Dominique Reynié – éditait une brochure, intitulée « Une mosquée mixte pour un islam spirituel et progressiste ». On peut télécharger ce document sur le site de Fondapol, et pour présenter ce projet j’aurai le plaisir de recevoir ses deux co-auteures, Eva Janadin et Anne-Sophie Monsinay. Ce sont deux jeunes femmes, musulmanes, et cofondatrices de « Voix d’un islam éclairé ». Eva Janadin a aussi cofondé en 2017 « l’association pour la renaissance de l’islam mutazilite ». Et toutes les deux administrent un groupe Facebook nommé « Soufisme progressiste », groupe qui a eu beaucoup de succès ce qui leur a donné l’idée de créer une mosquée tout à fait originale dont nous allons parler.

Parmi les questions que je poserai à Eve Janadin et Anne-Sophie Monsinay :

-          Vous avez des patronymes tout à fait français, comment s’est fait votre cheminement vers l’islam : est-ce que c’est la mystique soufie qui vous a attiré – et c’est vrai que beaucoup d’intellectuels français ont suivi cette voie ? Dans votre brochure, un des fils rouges est le refus du communautarisme et l’ouverture aux autres traditions spirituelles : est-ce que vous auriez pu, par exemple, être attirées par le Judaïsme ?
-          Eve Janadin, vous avez soutenu la renaissance du Mutazilisme en France, c’est une école de théologie musulmane apparue au VIIIème siècle, très minoritaire aujourd’hui. Un courant qui a en quelque sorte fait la synthèse entre le rationalisme grec et le message du Coran : quel rapport avec le Soufisme qui inspire principalement votre projet ? En quoi le rationalisme est-il directement lié à « l’islam éclairé » dont vous parlez ? Est-ce un outil de compréhension ou autre chose ?
-          Vous présentez ce qui doit être selon vous un « islam progressiste », et vous évoquez en particulier le statut de la Femme et l’esclavage. Vous dites que le Coran était moderne pour le VIIème siècle mais que maintenant ses commandements doivent être revus. Cela met votre démarche en opposition frontale avec le Salafisme, où justement l’exemple des « anciens », les « Salafs » sert de modèle ; mais vous déviez du sunnisme classique, en laissant de côté tout le corpus des « Hadith » : que répondez-vous à ces critiques ?
-          Vous abordez un domaine très important, à la fois dans l’islam et dans le judaïsme qui est celui du rituel. Vous évoquez les « nouveaux penseurs de l’islam » qui depuis le 19ème siècle ont revu les outils de spéculation théologique, mais n’ont pas osé toucher au domaine rituel, « ibadat » en arabe. Vous écrivez que ce sont des normes, sociales, culturelles, qu’on applique par conservatisme mais qu’il faut interpréter : pourriez-vous en dire plus ?
-          Vous présentez donc un projet de mosquée avec plusieurs nouveautés révolutionnaires par rapport au culte musulman, d’abord la mixité, le mélange hommes-femmes lors de la prière ; la possibilité pour des femmes d’être imam ; et puis l’usage du français, non seulement pour les sermons mais aussi pour certaines prières : n’est-ce pas trop de bouleversements pour les musulmans pratiquants dans notre pays ?
-          Ce projet n’a pas encore donné naissance à une vraie mosquée. Pourtant, vous lui avez déjà donné un nom, Simorgh, qui est un oiseau de la mythologie perse : pourquoi ce nom ? Et concrètement, quel est l’horizon pour votre projet, quelques mois, quelques années ? Avez-vous déjà reçu suffisamment de soutiens ?

Une émission vraiment originale, que j’espère vous serez nombreux à suivre !

J.C

29 mars 2019

Ils ont parlé du Maroc à mon émission



En haut, de gauche à droite : 
Raouf Oufkir, Lamia Ait El Haj
Au milieu, de gauche à droite : 
Mustapha Tossa, Pierre Vermeren
En bas, de gauche à droite : 
Yolande Amzallag, Simon Skira

Comme déjà écrit en clôturant mes deux derniers « mois de » (sur l’Iran et la Syrie), impossible de finir un nouveau "voyage en Orient" sans revenir à mon émission, dont le blog est d'abord le support et le prolongement.

J'ai donc examiné la liste complète des numéros de "Rencontre", dont le nombre atteint maintenant le nouveau cap de 438 : 16 émissions depuis mai 1997 ont concerné directement le Maroc. Cela représente moins de 4% du total. Pays globalement stable, ayant eu la chance d’éviter des conflits extérieurs ou une guerre civile au cours des dernières décennies, il aurait été logique qu’on en parle encore moins ; mais en fait, si nous avons eu un nombre conséquent de numéros « marocains », c’est en raison du nombre de livres ou d’évènements culturels associés à ce Royaume si proche de chez nous. Et encore, j’ai exclu des émissions dont on va parler celles traitant du Maghreb dans son ensemble, ou celles dont l’invité était marocain ou franco-marocain mais le sujet pas lié directement au pays.

Commençons par parler des Juifs du Maroc, de leur patrimoine et de leur histoire.

Dans une interview assez récente (avril 2016), Simon Skira a parlé du grand exode qu’il a lui-même vécu avec la presque totalité de sa communauté : « Marocains juifs, destins contrariés », c’était le titre et d’un film et d’une émission. Je n’y reviendrai pas, car dans le cadre de ce dossier je vous ai donné le lien pour l’écouter. L’année précédente, en juin 2015, je recevais Yolande Amzallag pour un numéro intitulé « Samy El-Maghribi, un chanteur, une fondation » ; et ce fut l’évocation émouvante par sa fille du grand interprète disparu, maître de la chanson arabo-andalouse. En août 2010, deux invités, Arrik Delouya et Kamal Hachkar, ont parlé de « Juifs et Berbères, une mémoire à retrouver », à partir du film du second et des recherches historiques du premier, sur ce sujet encore mal connu. En remontant beaucoup plus dans le temps et pour finir, il y a eu deux émissions en 1999. En novembre, et dans un numéro intitulé « Le Maroc et le processus de Paix : hommage à Hassan II », nous avons parlé avec Ygal El Harrar du Roi disparu quelques mois auparavant, de son rôle dans les négociations secrètes israélo-arabe mais aussi de la communauté juive du pays. Il fut aussi question des Juifs marocains en décembre de la même année à propos d’une exposition au nouveau Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme, avec son président, Claude-Gérard Marcus, et Mohammed Kenbib, historien et à l’époque attaché culturel de l’Ambassade du Maroc.

Plusieurs émissions ont évoqué ce qu’on a appelé « les années de plomb », avec notamment les personnages de Mohamed Oufkir et Mehdi Ben Barka. En juin 2005, l’historien israélien Ygal Bin Nun a parlé des « Relations secrètes Israël-Maroc », et des contacts noués avec les deux hommes. En novembre et décembre de la même année, je vous ai proposé deux émissions avec Raouf Oufkir, fils du célèbre général : je n’y reviendrai pas, puisqu’un article de ces « mois du Maroc » en parle, avec des liens-audio.

Bien entendu, et au-delà de cette Histoire plus ou moins lointaine, nous avons eu des émissions faisant le point sur l’actualité marocaine. Simplement, et comme déjà dit plus haut, si on l’a évoquée moins souvent c’est parce que ces dernières décennies n’y ont pas été trop troublées. En septembre 2003, et après les attentats qui avaient secoué Casablanca quelques mois avant, j’ai eu comme invitée, par téléphone depuis le Maroc, la journaliste Nadia Salah. 2011 fut, on le sait, l’année des « Printemps arabes », qui ne devaient au final pas voir de bouleversements profonds dans le pays : j’ai eu comme invité le journaliste franco-marocain et militant amazigh Louhssain Azergui, pour un numéro intitulé « Le Maroc, déstabilisation ou démocratisation ? ». Enfin, émission beaucoup plus récente de février 2018 intitulée « Que devient le Maroc ? », j’ai fait un point complet avec le journaliste Mustapha Tossa : je vous ai donné le lien sur l’émission dans le cadre de ce dossier.

Autre émission, celle-là « intemporelle » et consacrée à la condition de la femme dans ce pays, mon interview de Lamia Aït El Haj diffusée en octobre 2016 et intitulée : « Les femmes marocaines, une liberté surveillée ? ». Là encore, j’ai donné dans un article de ces « mois du Maroc » le lien sur l’émission en ligne sur Youtube.

Mais j’ai réservé à la fin de cet article l’évocation d’une série d’entretiens avec l’historien Pierre Vermeren. Normalien, arabisant, amoureux du Maghreb dont il est devenu un spécialiste maintenant reconnu, il connait particulièrement le Maroc où il a longtemps enseigné et qui lui a inspiré plusieurs ouvrages. Vous les trouverez en cliquant sur les couvertures de livres, disposées en bas de la page d’accueil du blog, citons les ici : « Le Maroc de Mohammed VI », « Le Maroc » (collection « idées reçues), « Histoire du Maroc depuis l’indépendance ». Et ceci, bien sûr, sans parler des chapitres si documentés sur le pays, écrits dans des ouvrages traitant du Maghreb dans son ensemble. J’ai donc eu le plaisir de parler spécifiquement du pays avec lui en février 2007, mars 2008, mars 2010 et avril 2010.
Merci à tous les lecteurs qui ont été présents à quelques-uns de ces rendez-vous radiophoniques, en espérant faire encore de belles émissions sur le Maroc !

J.C

28 mars 2019

Zainab Fasiki : l'illustratrice marocaine qui parle de sexualité


Zainab Fasiki n'aime pas dessiner quand elle est en colère. Mais c'est finalement ce qu'elle a fait.

Cet été, deux vidéos montrant des femmes marocaines agressées sexuellement dans l'espace public sont devenues virales. Dans la première, à Tanger, une jeune femme est traquée par un groupe d'hommes en pleine rue. La deuxième a été filmée dans un bus à Casablanca, on y voit une agression par plusieurs hommes.
Depuis, une vague d’indignation a traversé le pays et des sit-in ont été organisés dans de nombreuses villes marocaines.
Outre la violence des images, ces vidéos révèlent une réalité : au Maroc, se déplacer seule dans l’espace public est synonyme de danger. 
#sitin à #Casablanca Les activistes féministes défendent leurs droits. pic.twitter.com/8K6VwU6MMI
— Ghalia Kadiri (@ghaliakadiri) 23 août 2017
En cette rentrée littéraire, Leïla Slimani, prix Goncourt 2016, publie d'ailleurs "Sexe et Mensonges", un livre-choc sur la vie sexuelle au Maroc.

J’ai été harcelée sexuellement toute ma vie

A 23 ans, Zainab Fasiki cumule de son côté plus de 10 000 followers sur les réseaux sociaux. Fraîchement diplômée de l’École nationale supérieure d'électricité et de mécanique, cette jeune Marocaine n’a pas sa langue dans sa poche.
« Moi, j’ai été harcelée sexuellement toute ma vie, que ce soit dans les rues, le taxi ou à la plage », confie-t- elle.
Elle se sent féministe. Et elle a choisi de dire le quotidien des femmes marocaines en dessin. Pourquoi ? C'était naturel, son plus ancien mode d'expression. La jeune femme dompte crayon et tablette graphique depuis l'enfance.
« Quand j’ai vu les vidéos, je me suis dit qu’il fallait que je fasse un truc. Je n’aime pas dessiner et être en colère en même temps mais là je ne pouvais pas m’empêcher », explique-t- elle. 
Son illustration a fait le tour des réseaux sociaux.



Quant à son témoignage recueilli par Brut, il a été vu près de 300 000 fois. On l'y entend notamment raconter :
"En tant que jeune fille marocaine, j'ai toujours peur. J'ai toujours peur d'utiliser les transports en commun. J'ai 23 ans et j'ai toujours dû affronter le harcèlement sexuel. "

Le corps d’une femme est un objet sexuel

Le Maroc se définit comme un pays moderne et ouvert, pourtant la réalité de terrain est bien plus complexe. Tiraillée entre modernité et traditionalisme, la société additionne les paradoxes. Alors que les relations sexuelles hors mariage sont interdites et punies d’emprisonnement, les agressions sexuelles sont monnaie courante.
Par ailleurs, selon des données publiées par Google, le Maroc se classe à la cinquième place des pays les plus adeptes de sites pornographiques. Sur les réseaux sociaux, il arrive que Zainab Fasiki publie des illustrations de femmes en partie dénudées.
« J’essaye de changer les mentalités, en montrant que le corps féminin peut être un objet artistique pas seulement un objet sexuel. »
A chaque publication, ses milliers de followers ne manquent pas de réagir. Une première catégorie de personnes la félicite tandis que l’autre n’hésite pas à la harceler de messages négatifs lui rappelant que son travail est « haram » (interdit).
Selon l’Observatoire national de violence à l’égard des Femmes, en 2014, 66.4 % des agressions sexuelles ont été commises dans l’espace public. L’Enquête nationale sur la prévalence de la violence à l’égard des femmes publiée en 2011, dans les lieux publics, révèle qu’une femme sur quatre est aussi victime de violence psychologique.
Les chiffres sont alarmants d’autant plus que les chiffres pourraient être plus élevés puisque comme l’explique l’illustratrice :
« Au Maroc les filles hésitent énormément à déclarer leur viol pour leur réputation, leur famille. »  


"Au niveau du gouvernement, c'est compliqué"

Le harcèlement sexuel au travail constitue un délit pénal défini par le Code pénal. Pour ce qui est des victimes agressées dans l’espace public, elles font face à un flou juridique.
Saâdeddine El Othmani, chef du gouvernement au Maroc, a promis « une stratégie contre les violences faites aux femmes ». Ce projet de loi est attendu depuis plusieurs années.
« Au niveau du gouvernement marocain, c’est vraiment compliqué, on a perdu l’espoir de voir un changement. La société civile doit prendre les choses en mains. »
Dans les mois qui viennent, la jeune femme va participer à un colloque consacré au harcèlement, elle travaille également sur un projet de brochures préventives qui seront distribuées dans les écoles et les entreprises.

Omor, la bd féministe

Autodidacte, c’est en contribuant au collectif de bande dessinée marocain Skefkef, que Zainab Fasiki a appris à scénariser les problématiques sociétales.
« Les filles étaient vraiment en minorité au sein du collectif, j’étais la seule à défendre les droits des femmes. Du coup, depuis toujours, je rajoute une touche féministe à tous les sujets », s’amuse-t- elle.
« Moi-même je suis victime de la société patriarcale. Je n’étais pas spécialement féministe avant, mais le jour où j’ai commencé mes études en génie mécanique, j’ai découvert que les hommes avaient l’habitude d’être les seuls à prendre des initiatives. Je me disais que c’était bizarre… Après, j’ai compris que les inégalités étaient une réalité. Les expériences désagréables se sont répétées. »

Dans sa première bande dessinée Omor ("Des choses"), elle explore les difficultés de la vie d’une femme au Maroc. Elle dénonce au fil des cases les inégalités homme-femme à travers les personnages de trois jeunes marocaines.
La première a arrêté ses études pour pouvoir se consacrer à son mari et fonder une famille. La deuxième est étudiante, contrainte par ses parents de consentir à un mariage arrangé. La troisième est célibataire et compte bien le rester.
L’album sera disponible fin septembre au Maroc et dans les mois qui viennent en France. 

Jehanne Bergé

L’Obs, 31 août 2017