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10 mai 2008

Jacques Hassoun (1936-1999), in memoriam


J'ai en fait très peu connu Jacques Hassoun, dont le nom reste indissociable de la défense du patrimoine des Juifs égyptiens. Contacté à l'occasion d'une des premières quinzaines du Centre communautaire qui leur était consacrée, il avait eu la gentillesse de participer à l'une de mes premières émissions il y a plus de dix ans, le 5 février 1998, et j'avais intitulé ce numéro, justement, "A la recherche des Juifs d’Égypte".

Je viens de réécouter, avec émotion, cette émission dont je conserve heureusement un enregistrement au format mp3. Jacques Hassoun y parlait au bout du téléphone, et dans le studio se trouvait un invité égyptien dont j’ai fait la connaissance, grâce à lui, et qui revint deux fois par la suite, Ahmed Youssef, correspondant à Paris du journal "Al Ahram". S’exprimant abondamment, visiblement passionné par le sujet, Jacques Hassoun évoqua une fresque pluri millénaire qui nous laissa l’impression que les Juifs des bords du Nil ou d’Alexandrie furent toujours heureux, rarement persécutés et en tout cas très tôt émancipés ... Curieuse destinée que celle de cette communauté. Certainement moins « sioniste » que ses sœurs du Yémen ou d’Irak - émigrant, à sa différence, presque en quasi-totalité vers Israël après 1948 - elle subit une expulsion d’une épouvantable brutalité après les diverses guerres impliquant l’Égypte, et singulièrement l’expédition avortée de Suez en 1956. De cela, mes deux invités ne parlèrent pas beaucoup, insistant plutôt sur "les années roses" ... il est vrai, aussi, qu’en ces premières années de ma série nous espérions encore aux suites d’Oslo, et que l’on ne parlait guère "des sujets qui fâchent".

Jacques Hassoun devait disparaître prématurément l’année suivant mon émission, en avril 1999, et ce fut un choc pour mois que de conserver la mémoire d’une voix désormais posthume. J’avoue aussi, avec un peu de honte, avoir découvert seulement après sa mort la richesse et la complexité de son personnage. Psychanalyste réputé, référence sur France Culture, il eut droit à son décès à un hommage dans les colonnes du journal « Le Monde ». On trouvera une évocation de son oeuvre en lien sur le site de Lionel Mesnard. Un site clairement engagé à l’extrême gauche ... comme Jacques Hassoun, et c’est l’autre facette de sa personnalité dont je voudrais parler ici, et que j’ignorais au moment de notre interview.

Ci-dessous, des extraits de sa « bio » publiée sur le site trotskiste « Rouge » :


« Né le 20 octobre 1936 à Alexandrie, il avait à peine 15 ans quand il entra dans le Dror (mouvement marxiste sioniste égyptien) alors clandestin, et qui s'auto dissout peu après.Deux ans plus tard, il est d'un groupe juif minuscule qui tente la création d'une section étrangère (juive) du mouvement de Curici. Bientôt tous arrêtés comme « sionistes communistes », il va connaître quelques mois de prison pendant lesquels il participe aux discussions du « comment poursuivre la lutte », alors que le mouvement communiste se refuse à intégrer les juifs.Un an plus tard, à 18 ans, il peut quitter l'Egypte pour la France. (...)
En 1972, il a penché pour le groupe Révolution lors de sa scission d'avec la Ligue, mais il revient finalement à celle-ci. Sous le pseudonyme de Michel Péret (en référence à Benjamin), il rompt des lances contre le gauchisme pseudo psychanalytique dans la jeune revue Critique communiste. A la fin des années soixante-dix, il cesse de militer dans la LCR, ses activités professionnelles ne le lui permettant plus. Mais il reste un sympathisant, toujours présent à toutes les grandes manifestations.
Lui, très attaché à la culture juive, en particulier celle du monde égyptien et méditerranéen, refusait toute confusion entre judaïsme et sionisme et, ferme critique d'Israël, il soutenait l'OLP, dans la logique de ses engagements envers tous les mouvements de libération nationale, et il dénonça vivement l'attaque des camps palestiniens du Liban en 1983. Dans cette logique, il était membre du Mrap, de la Ligue des droits de l'Homme, de l'Association médicale franco palestinienne, de France Palestine et du Forum des citoyens de la Méditerranée. »

Ainsi donc, cet intellectuel brillant s’était-il (au moins en apparence) positionné en quasi-rupture avec ce qui fait le ciment de la quasi-totalité des Diasporas, à savoir un minimum de solidarité avec Israël. En cela, il était allé même plus loin qu’Henri Curiel, juif égyptien communiste dans sa jeunesse comme lui, mais qui au moins avait aidé les plus pacifistes des Israéliens et Palestiniens à nouer des contacts dans les années 1970 - tentative qu’il paya de sa vie, puisqu’il fut assassiné dans des mystérieuses circonstances, mais ceci est une autre histoire !

Nous ne saurons donc jamais comment Jacques Hassoun aurait réagi pendant la décennie qui suivit, avec le retour de la violence au Moyen Orient et surtout la vague furieuse d’antisémitisme venu de ses rivages ... Sa famille, en tout cas, a symboliquement achevé son rapprochement des dernières années envers sa communauté, en offrant sa très riche collection de livres à la Bibliothèque de l’Alliance Israélite Universelle.


Jean Corcos