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28 septembre 2017

Kurdistan vs Palestine



François Margolin, le producteur des films «Peshmerga» et «La Bataille de Mossoul» de Bernard-Henri Lévy, pose la question : pourquoi tant de gens sont-ils contre l’indépendance du Kurdistan mais pour un Etat palestinien?

Il est tout de même très étonnant que l’ensemble de la communauté internationale s’insurge ces dernières semaines contre le référendum qu’organise le gouvernement du Kurdistan irakien pour son indépendance, alors que, depuis des années, la même communauté internationale se bat pour imposer la création d’un Etat palestinien. C’est encore plus étonnant quand on constate que l’ensemble des pays arabes s’opposent eux-aussi à la création d’un Etat kurde, et que les centaines de milliers de militants pro-palestiniens à travers le monde ne lèvent pas le petit doigt pour les Kurdes.
Or, il s’agit, après tout, de deux causes tout-à-fait semblables: deux peuples sans Etat, dans la même région du monde, le Moyen Orient. Deux peuples qui ont été victimes de la répression des Etats sous la domination desquels ils vivaient: Egypte, Israël et Jordanie pour les Palestiniens, Irak pour les Kurdes, les Kurdes l’emportant haut la main pour avoir été, durant les années 80, victimes d’une véritable tentative de génocide de la part du régime de Saddam Hussein.
Deux peuples dont on sait pertinemment qu’en cas de vote, ils se prononceront à la quasi-unanimité pour leur indépendance.
Deux peuples chez qui le sentiment national existe depuis des décennies, les Kurdes ayant même une certaine avance puisque, si l’OLP (l’Organisation pour la Libération de la Palestine) a été créée au début des années soixante, la volonté d’acquérir un Etat de la part des Kurdes date, au minimum, de la fin du 19ème siècle et que cet Etat leur fut même promis durant quelques années par le Traité de Sèvres de 1920.
Pourquoi alors ce sentiment de “deux poids, deux mesures”? Pourquoi ce silence assourdissant? Pourquoi ces pressions de toutes sortes pour essayer d’empêcher l’organisation de ce référendum?

Le premier argument qui est avancé est que les Kurdes seraient divisés. Ce n’est pas totalement faux car les haines sont tenaces entre les deux grands partis qui tiennent le Kurdistan irakien, le PDK des Barzani et le PUK des Talabani, et je ne parle pas des problèmes – qui tournent parfois aux affrontements armés – entre le PDK et le PKK, le parti le plus influent chez les Kurdes de Turquie, et du nord de la Syrie (où il se nomme YPG). Mais, honnêtement, on ne peut pas dire qu’il règne un grand amour entre le Hamas, qui dirige Gaza, et le Fatah de Mahmoud Abbas, qui est à la tête de l’Autorité palestinienne de Cisjordanie. Et il est extrêmement probable que, si un Etat palestinien voyait le jour, cela tournerait à la guerre civile entre les deux factions.

Le deuxième argument est que les Kurdes d’Irak ne représentent qu’une minorité du peuple kurde, qui est lui-même réparti entre l’Iran, la Turquie, la Syrie et l’Irak. C’est aussi parfaitement vrai mais aujourd’hui il y a plus de Palestiniens dans le reste du monde (Jordanie, Liban, Syrie, pays du Golfe, Etats-Unis même…) que sur le territoire que revendiquent ces mêmes Palestiniens.

Le troisième argument est que la création d’un Etat kurde indépendant viendrait bouleverser l’équilibre déjà très instable des autres pays de la Région. Or, pense-t-on sérieusement que la création d’un Etat palestinien, qui réunirait des portions des territoires de l’Egypte, de la Jordanie et d’Israël ne transformerait pas radicalement la donne géopolitique et militaire, et l’équilibre précaire qui règne dans la zone?

Le quatrième argument est que cet Etat kurde créerait un précédent inacceptable en défaisant un Etat, l’Irak, qui existe depuis près d’un siècle, et qu’avaient souhaité les grandes puissances d’alors, France et Grande-Bretagne en tête, avec les accords Sykes-Picot. Mais, la création d’un Etat palestinien diviserait lui-aussi un Etat qui date de la même époque, la Jordanie, et surtout remettrait en cause un accord entre grandes puissances beaucoup plus récent – puisqu’il date de 1948 –, le vote de l’ONU, qui est à l’origine de la création de l’Etat d’Israël.

Le cinquième argument, sorti tout récemment de la poche de Donald Trump, est que la création de cet Etat favoriserait le développement du terrorisme (de Daech) dans la zone. Au-delà du caractère grotesque de l’accusation – les combattants kurdes irakiens, les Peshmergas, ont été longtemps les seuls à résister à l’Etat Islamique et même à en venir à bout, avec le soutien de la Coalition internationale – et au-delà de son caractère presqu’insultant pour un pays qui connaît moins d’attentats terroristes que la France, on peut, hélas, parier que la création d’un Etat palestinien, non seulement ne ferait pas disparaître le terrorisme au Moyen Orient, mais, au contraire, le renforcerait, vu l’état d’esprit d’un certain nombre de jeunes Palestiniens à l’égard d’Israël.

Ce n’est donc pas cela le véritable problème.
Pour beaucoup, dans les pays arabes, il est clair que les Kurdes ne sont pas des Arabes et qu’ils n’ont donc droit à aucun autre statut que celui d’un peuple soumis à l’arabisation de la Région, comme c’est le cas depuis des siècles. On peut même dire, sans trop de risque de se tromper, qu’après avoir participé à la disparition de la plupart des minorités dans la région, qu’elles soient chrétiennes, yézidis, zoroastriennes, turkmènes, etc. et à l’uniformisation de la plupart des pays de la zone sous la bannière de l’Islam, les gouvernements arabes ne soutiennent le peuple palestinien que parce qu’il est arabe, comme eux, et de plus en plus influencé par l’Islam, souvent radical. Et encore, on évitera de revenir sur une épineuse et lancinante question: l’utilisation, parfaitement hypocrite, de la “lutte du peuple palestinien” dans la propagande de ces mêmes gouvernements – depuis des décennies – pour éviter que soient abordés les problèmes de toutes natures qui hantent leurs sociétés.
Pour les grandes puissances, il est clair que le soutien permanent à la création d’un Etat palestinien est un facteur de stabilisation de la Région. Il permet de maintenir une pression politique et militaire sur Israël, sur le voisin égyptien et, bien sûr, sur les deux rivaux que sont l’Iran et l’Arabie Saoudite. N’oublions pas, par exemple, que le but (officiel) du régime mis en place en Iran par l’ayatollah Khomeiny est la conquête de Al Qods (Jérusalem, en arabe), qui ne peut se faire qu’avec la création de ce fameux Etat de Palestine.
Enfin, pour les militants de la “cause palestinienne”, il est malheureusement de plus en plus évident – même si cela n’a pas toujours été le cas et si ce ne l’est pas pour tous ses militants– que la revendication palestinienne et l’adhésion à leur cause n’est souvent que le cache-sexe d’un antisémitisme qui n’ose s’avouer et qui permet de lutter contre Israël sans penser être “contre les Juifs”.
Mais, de façon consciente ou inconsciente, il y a, bien sûr, l’idée que les Juifs n’ont rien à faire dans cette région – alors qu’ils s’y trouvaient déjà il y a 3000 ans – et qu’ils n’ont qu’à retourner dans leurs ghettos d’Europe Centrale d’où ils n’auraient jamais dû partir, s’il n’y avait eu le nazisme et la Shoah.

Le plus étonnant dans toute cette affaire est que le peuple kurde est le seul peuple de la Région qui a conservé – tout en étant très majoritairement musulman – une tradition de tolérance et d’authentique respect envers les autres religions et les minorités de toutes sortes. C’est au Kurdistan irakien, par exemple, que se sont réfugiés les Chrétiens qui fuyaient l’Etat Islamique. Ils étaient plusieurs millions.
Les Kurdes sont ainsi les seuls véritables héritiers de ce qui a fait la force, la renommée et la gloire de ce Moyen Orient qui fut – on a tendance à l’oublier – la partie du monde la plus développée quand s’y mélangeaient religions, minorités diverses et cultures venues de partout.
Il serait peut-être temps que, s’il veut réellement penser à l’avenir, le monde prenne les Kurdes en exemple, et les aide à reconstruire un Moyen Orient qui a terriblement besoin de retrouver sa splendeur d’antan.

François Margolin
La Règle du jeu, 20 septembre 2017

26 septembre 2017

Les Libanais affrontent les tabous de leur guerre dans “L’Insulte”



Le film est l’histoire d’une simple querelle de rue dans le Liban d’aujourd’hui entre Tony, Libanais et nationaliste chrétien, et Yasser, un réfugié palestinien, qui devient une affaire nationale

Vingt-sept ans après avoir pris fin, la guerre civile est revenue hanter les Libanais le temps d’une soirée : le film de Ziad Doueiri visionné mardi en avant-première à Beyrouth dans des salles combles, dépeint avec un réalisme inédit les tabous du conflit.
Le succès du film à la Mostra de Venise (prix du meilleur acteur au Palestinien Kamel El Basha) a été éclipsé par la brève arrestation le weekend dernier de Doueiri en raison d’un long-métrage qu’il a filmé en 2012 en Israël, contrevenant à la législation libanaise.
Le Franco-libanais, qui a quitté le Liban pour les Etats-Unis en pleine guerre civile (1975-1990), s’attaque avec « L’Insulte » pour la deuxième fois au thème de ce conflit, après « West Beirut » (1998, prix François Chalais).
« La guerre du Liban m’a accompagné jusqu’à Los Angeles », explique Doueiri dans un entretien à l’AFP la veille de l’avant-première du film, produit par la Française Julie Gayet.
« La division de Beyrouth entre Est et Ouest est restée vive dans ma mémoire malgré la fin de la guerre et la réunification de la capitale », poursuit-il.

 ‘Chapitres interdits’

« L’Insulte » est l’histoire d’une simple querelle de rue dans le Liban d’aujourd’hui entre Tony, Libanais et nationaliste chrétien, et Yasser, un réfugié palestinien.
La bagarre devient une affaire nationale, ravivant les divisions qui ont déclenché le conflit.
Dans les années 1970, l’établissement de factions armées palestiniennes au Liban était rapidement devenue la pomme de discorde dans ce petit pays. La guerre oppose au départ milices chrétiennes et factions palestiniennes, avant de dégénérer en conflit armé entre chrétiens d’une part et musulmans et factions de gauche favorables à la cause palestinienne de l’autre.
Le film a été salué par les critiques libanais car il aborde de manière franche et sans clichés le thème de la réconciliation, dans un pays où il n’y jamais eu après la guerre d’enquête officielle, de travail de mémoire ou de commissions nationales de réconciliation.
« L’Insulte », ou « Procès N°23 » dans la version originale en arabe, « ouvre des chapitres interdits dans la mémoire collective des Libanais », affirme à l’AFP le critique de cinéma Nadim Jarjoura.
Mais au-delà de la division, le film « explore la nécessité de la réconciliation avec soi-même, sans laquelle il n’y a pas de réconciliation avec autrui », poursuit-il.
« Il faut revenir au passé pour pouvoir en sortir ».
Le script du film, qui commence dûment par une insulte, est d’une audace rarement ressentie dans le cinéma libanais abordant la guerre.

‘Toujours en guerre’

« Sharon aurait dû vous annihiler », lance Tony, incarné par l’acteur libanais Adel Karam, à l’adresse du Palestinien Yasser (Kamel el-Bacha).
Une référence au massacre dans les camps palestiniens de Sabra et Chatila (1982), perpétré par des milices chrétiennes mais au vu et au su de l’armée israélienne qui venait d’envahir Beyrouth-Ouest, sous la direction d’Ariel Sharon, alors ministre de la Défense.
Tony, lui, est traité de « chien sioniste » : un autre tabou de la guerre au Liban lorsque des factions chrétiennes ont collaboré avec l’Etat juif, pour repousser la menace que représentaient selon elles les Palestiniens pour le Liban.
« Aucune faction ne peut dire qu’elle seule a été persécutée, qu’elle seule a été lésée ou qu’elle seule a versé du sang durant la guerre, assure Ziad Doueiri. Je suis entré autant que j’ai pu dans l’Histoire, mais sans exagérer. »
Dans « L’Insulte », les Libanais n’ont pas encore tourné la page de la dissension, alors que le pays est toujours fortement divisé, notamment sur le conflit dans la Syrie voisine ou les armes du Hezbollah, groupe terroriste chiite.
A son avocat qui lui demande s’il prendrait les armes aujourd’hui, Tony réplique « on est toujours en guerre ».
Mais si les séquelles sont encore vivantes, le chemin vers le purgatoire est possible, semble suggérer le film, avec les personnages se rapprochant au fil du scénario.
Un silence empreint d’émotion s’installe dans la salle à la fin du film, avant que les langues ne se délient, notamment avec des discussions entre générations.
« Tu ne peux plus penser comme ça papa, la guerre est finie », lance un jeune homme à son père grisonnant.

AFP, 15 septembre 2017

Article trouvé sur le « Times of Israël »

24 septembre 2017

Quand le président turc Erdogan fait campagne pour les législatives allemandes



Le portrait du président turc Recep Tayyip Erdogan 
sur une affiche électorale de l'Alliance des démocrates allemands (ADD) 
dans une rue de Cologne, le 7 septembre 2017 en Allemagne 


Dans les rues de Cologne, à quinze jours des législatives, un portrait plein d'autorité illustre les affiches électorales de l'Alliance des démocrates allemands (ADD). Celui du président turc Recep Tayyip Erdogan.

L'homme fort d'Ankara n'est bien sûr pas candidat au scrutin du 24 septembre, mais l'intention est claire : s'ingérer dans le jeu politique allemand quitte à envenimer la crise avec la chancelière Angela Merkel que tout destine à un quatrième mandat.

Depuis le coup d'État raté de juillet 2016, les relations sont au plus bas, M. Erdogan estimant que l'Allemagne protège des conjurés. En retour, Berlin le taxe de dérive autoritaire en muselant partis et médias d'opposition.

En août, M. Erdogan a de nouveau sonné la charge en appelant les 1,2 millions d'électeurs germano-turcs -- travailleurs invités des années 1960-70 et leurs descendants notamment-- à voter en masse contre la dirigeante conservatrice, les sociaux-démocrates (SPD) et les Verts. Tous qualifiés d'"ennemis" de la Turquie.

L'ADD, dont tous les candidats sont d'origine turque, n'a certes aucune chance d'être représentée au Parlement, mais le fait que ce parti fasse campagne avant tout dans la partie occidentale de l'Allemagne n'est pas anodin.

- L'écho positif d'Erdogan -

Il veut ainsi surfer sur l'amertume de Turcs considérés des décennies durant comme de la simple main d'œuvre pour le bassin industriel de l'ouest du pays. Mme Merkel a d'ailleurs reconnu que cette population avait été méprisée, l'Etat ne leur ayant proposé aucune forme d'intégration jusque dans les années 1990.

"Ce message qu'Erdogan défend une Turquie forte et les Turcs d'Allemagne trouve un écho positif en particulier auprès de ceux qui ont un sentiment d'exclusion, de discrimination", relève le chercheur Yunus Ulusoy, de l'Université de Duisburg-Essen.

Tarik, employé dans un café et qui vit en Allemagne depuis 15 ans, est de ceux qui du coup s'abstiendront donc le 24 septembre.

"Jusqu'ici je votais SPD, mais tous sont des menteurs. Ce coup-ci je ne voterai pas", explique ce Berlinois de 45 ans, martelant que grâce à Erdogan "la Turquie est devenue mille fois mieux, aussi bien que l'Europe".

Jusqu'ici cependant les Turcs d'Allemagne ont largement fait la part des choses. Issus pour beaucoup des classes populaires, ils ont voté majoritairement pour le camp islamo-conservateur de M. Erdogan lors des scrutins turcs, tout en étant fidèles à la gauche en générale et au SPD en particulier lors d'élections allemandes.

Néanmoins, les ministres des Affaires étrangères et la Justice, Sigmar Gabriel et Heiko Maas sont inquiets. Ils ont appelé à stopper la "propagande" diffusée notamment à travers les centaines de mosquées contrôlées par Ankara en Allemagne.

"Nous ne devons pas (...) sous-estimer les dangers qui émanent des organisations étatiques d'Erdogan", ont-ils écrits dans une tribune, craignant que "les communautés musulmanes d'Allemagne ne tombent (...) sous l'influence du président" turc.

- Une communauté déchirée -

Les services de sécurité allemands se sont eux alarmés de l'exacerbation en Allemagne des conflits politiques turcs.

"Le profond fossé qui divise la Turquie traverse aussi la communauté germano-turque", confirme le chercheur Yunus Ulusoy.

"Le paysage politique turc a toujours été déchiré - entre gauche et droite, laïcs et religieux, kurdes et nationalistes. La nouveauté, c'est l'intensité de la division et l'importance qu'y prend une seule personne : Erdogan", poursuit-il.

Face à ces tensions, les représentants des Turcs se veulent rassurant.

M. Erdogan devrait cesser d'avoir "une attitude paternaliste envers les Turcs installés en Allemagne", dit ainsi à l'AFP, Gökay Sofuoglu, président de la Communauté turque, la principale organisation germano-turque. "Nous n'avons pas besoin de leçons de démocratie".

Dilmar Yilmaz, jeune vendeuse de Baklava à Berlin lui donne raison, exprimant à la fois de l'admiration pour le président turc et son intention de voter selon des considérations politiques allemandes.

"Il a mis la Turquie à une bonne place dans le monde. La Turquie n'est plus pareille : les routes sont meilleures, tout est meilleur", relève-t-elle.

"Mais tout ce qu'il dit n'est pas bon", dit la jeune femme de 24 ans dont le cœur penche pour le SPD.


(©AFP 15 septembre 2017
Trouvé sur le site Romandie.com