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29 octobre 2019

Israël / Palestine, la réponse cinglante de Samir Gharbi au nouveau président tunisien


Introduction :

Le premier tour de l’élection présidentielle en Tunisie a eu lieu le 15 septembre. Dès le 22, je publiais ici un article, où je m’inquiétais de l’extrémisme anti-israélien de Kaïs Saied, un des finalistes dont je disais – et ce fut confirmé – qu’il serait bien élu au final.
Le second tour s’est tenu le 13 octobre, et même si le taux de participation a été médiocre – environ 57% - sa victoire a été nette, avec près de 73% de votants. Je reviendrai plus tard, dès que cela me sera possible, à la fois par un article et surtout dans une émission, sur le bilan politique que l’on peut tirer à la fois de cette présidentielle et des législatives tenues à la même période. Mais faisons un zoom sur l’obsession anti-Israël du « Robocop » promu président. A l’entendre, et c’est clair, l’objectif pour la minuscule Tunisie est de déclarer la guerre à un Etat illégitime ; c’est le retour aux fameux « trois non » du sommet de Khartoum au lendemain de la Guerre des Six Jours, donc une position absurde et contraire à la position de nombre de pays arabes, qui ont presque normalisé leurs relations avec Israël ! 
Heureusement, nombre de Tunisiens, sur les réseaux sociaux voire même dans des médias, ont trouvé ridicule la partie de son discours inaugural consacrée à la Palestine. Je tiens à saluer, en particulier, ce qu’a écrit Samir Gharbi sur le site d’information Leaders le 25 octobre.

Bonne lecture !
J.C

(…)
Votre lexique politique n’a pas cité une seule fois Bourguiba, ses sacrifices, son combat, ses erreurs, mais vous avez cité la Palestine « chère à votre cœur ». Qu’elle solution pourrez-vous apporter à part ses paroles emphatiques ? Oui, je pense à ce que vous avez déjà dit en campagne électorale : vous allez criminaliser ceux qui veulent « normaliser » les relations avec Israël. C’est bien ça ?
Cette solution est celle de l'impuissant qui, par infirmité, ne négocie pas avec l'adversaire plus fort que lui. On pense le punir en interdisant tout contact avec lui. On le boycotte (on ne lui achète rien et on ne lui vend rien). Cette politique de l’autruche a été testée après 1973... Mais qu'a-t-elle donné ? Elle s'est effilochée, comme les milliers de roquettes lancées depuis Gaza (une sur 1 000 fait mouche).
Monsieur le Président, pour faire la guerre, il faut s’y préparer et se lancer en position de force. Israël s'était préparé pendant cinquante ans (de 1900 à 1948), formant dans la clandestinité des soldats d'élite et accumulant armes et munitions au nez et à la barbe de l'occupant britannique. Et quand les Arabes l’ont attaqué en 1948, ils ont été platement battus. Ils appellent cet épisode de leur triste histoire : la « nakba » (intraduisible, mais le mot « catastrophe » me semble convenir même s’il est moins intense).
Réécoutez les archives ou relisez Bourguiba à propos de la technique de la guerre, du harcèlement et de la négociation : en position de force, il faut gagner une étape, ne pas flancher, passer à l'étape suivante, négocier, arrêter de négocier, être prêt à tout, unir les rangs face à l’adversaire, parler d’une seule voix, la victoire devient alors inéluctable :1907 (déclenchement du Mouvement jeune tunisien, lutte politique, manifestations, grèves, prisons, mobilisation du Destour, du Néo-Destour, fellaghas, attentats, négociations, prisons, négociations, autonomie interne en 1954 ; aucun retour en arrière, mais accélération du mouvement par la négociation Face to Face, égal à égal, et indépendance en 1956. République en 1957. Monnaie nationale en 1958. Solidarité avec la lutte algérienne (bombardement de Sakiet Sidi Youssef en 1958. Evacuation partielle des troupes françaises. Bataille de Bizerte en 1961. Evacuation du dernier soldat français le 15octobre 1963 à15h. Fin d’une occupation militaire française qui aura duré 82 ans. Nationalisation des vastes et fertiles terres coloniales en 1964. Début de l’indépendance économique…
La guerre n'est pas une boutade, à la Nasser ou à la Kaddafi. La guerre est une affaire sérieuse, à confier à des gens sérieux, irréprochables, sûrs et patriotes.
Les armées arabes ont été souvent trahies, de l'intérieur, parce qu’elles étaient infiltrées par des traitres. L'ennemi les a terrassées au sol, avions compris (1967). La guerre de 1973 était un peu plus sérieuse. Mais l’armée égyptienne n’est pas allée jusqu’au bout de ses efforts, absence de stratégie ferme, compromis avec l’allié soviétique en accord avec le rival américain.
Monsieur le Président. Le monde a changé. La guerre n’est plus envisageable, parce que les rapports de force sont trop disparates. Israël détient la bombe atomique. Et a empêché l’Irak de la faire (bombardement préventif du réacteur Osirak par Israël en 1981 et achevé par les Etats-Unis en 1991). L’Iran, qui est un des pays à avoir reconnu l’Etat d’Israël en 1948, se voit aujourd’hui interdit de pousser plus loin sa quête de la bombe atomique…
Soyez réaliste, pragmatique, faites comme Bourguiba à Jéricho. Israël est un Etat reconnu mondialement, légal depuis 1948. L’écrasante majorité des pays membres de l’Onu le reconnaissent.
Reconnaître Israël ne veut pas dire tolérer ce qu’il fait d'abject aux Palestiniens, ni être ami, ni avoir des échanges commerciaux, etc. Reconnaître, c'est admettre la légalité internationale de 1947-1948. C'est gagner une place définitive dans la table des négociations. C'est pouvoir dire non face à l’injustice et à la colonisation, c'est reprendre la voie de la guerre si nécessaire (en l'ayant bien et longuement préparée).
Pour négocier avec un Etat quelconque, il faut donc le reconnaître d’abord. Et c’est là le drame des Palestiniens, depuis 1948, aggravé par le jusqu’au-boutisme de Nasser et du Hamas qui est au pouvoir à Gaza et qui prône officiellement la « destruction » de l’Etat d’Israël et la création sur l’ensemble de la Palestine d’un Etat islamique…
Créé grâce aux accords d’Oslo (1993-1995), l’Etat de Palestine ne peut avoir, à cause du Hamas, qu’un statut d’observateur à l’Onu. Dix-huit pays arabes ne reconnaissent pas officiellement Israël (mais certains ont des relations ouvertes ou cachées avec lui).
Le drame palestinien n’aura jamais de solution tant qu’on aura pas admis la légalité de l’existence d’Israël. Et que les Palestiniens (et tous les Arabes derrière eux) se lèvent comme un seul homme, avec une seule voix, celle de leur juste cause, celle de l'union, celle de la force de conviction.
Même si cela me fait mal au cœur de voir la brutalité de l’occupant israélien et de me dire qu’il faut se préparer, un jour ou l’autre, à négocier avec lui, sur la base des résolutions de l’Onu et de la Realpolitik (concept allemand pratiqué en 1866). La vie est ainsi faite. Elle avance et ne recule pas.
Les Arabes et les Palestiniens paient, depuis la guerre de 1973 et l’embargo pétrolier, les erreurs commises dès l’origine : la vente par les Palestiniens de leurs terres aux Juifs depuis les années 1890-1900, l’aveuglement et la complicité des Ottomans et des Britanniques, le refus arabe du Plan de partage du territoire proposé par l’Onu en 1947, les défaites arabes dans toutes les guerres menées contre Israël (1948-1967-1973… Ces échecs ont ouvert un large boulevard aux revenants israéliens pour expulser et coloniser les terres et les maisons palestiniennes.
A quoi cela sert-il de dire « la Palestine est dans notre cœur », si ce n’est pas de la démagogie. Ça plait au peuple, ça l’endort.
Non, il faut dire la vérité aussi amère soit-elle. Face à l’extrémisme arabe et palestinien, il y a, depuis l’assassinat de Rabin en 1995 (le seul dirigeant et militaire israélien à avoir signé un pacte de paix), un extrémisme israélien en face… plus puissant que celui du Hamas et autres zélés du verbe. Cet extrémisme sioniste a produit Netanyahu et celui qui va lui succéder.
L’enclave de Gaza (sous contrôle du Hamas) vit depuis des années sous blocus israélien. La vie de millions de Palestiniens y est atroce, mais nous fermons les yeux et les oreilles. L’Etat de Palestine (qui reste debout autour de Ramallah) survit grâce à l’aide étrangère, notamment européenne.
Personne n’a aujourd’hui la capacité de négocier avec les Israéliens, encore moins de les bouter à la mer… Il y a eu deux Intifada de l’intérieur et il y en aura une autre et une autre… Les dirigeants Palestiniens sont pris dans la routine de la survie. Les Palestiniens qui le peuvent ont quitté le pays depuis belle lurette. Ils vivent bien là où ils sont en Amérique et en Europe. Sauf les éternels réfugiés au Liban et en Jordanie.
Les Arabes préfèrent se faire la guerre entre eux : au Yémen, en Irak, en Syrie, en Libye… C’est plus facile que d'affronter Israël sur la table des négociations.
Alors, Monsieur le nouveau Président, quelles sont vos réelles priorités, celles qui vont changer la vie des Tunisiens ? Je veux parler de leur vie dans les hôpitaux, dans les écoles, dans les transports en commun, dans les palais de Justice (…)

27 octobre 2019

Que devient le Soudan ? Jacky Mamou sera mon invité le 3 novembre

Populations déplacées au Darfour

Nous allons parler dimanche prochain d’un pays qui ne fait pratiquement jamais la une des grands médias, et pourtant il a été le théâtre de guerres, de massacres et de famines depuis plus d’une trentaine d’années. 

Ce pays, c’est le Soudan, dont le territoire immense se situe au carrefour du monde arabe et de l’Afrique Noire. Pendant plusieurs décennies, il y a eu la révolte des populations chrétiennes et animistes du Sud, qui ont enfin fondé en 2011 un nouvel état, la République du Sud Soudan. Mais dans le reste du pays et depuis le début des années 2000, il y a eu une autre révolte, celle du Darfour, où des populations africaines et de religion musulmane ont fait l’objet d’une terrible répression. Enfin, le Soudan a connu au mois d’avril, avec plusieurs années de retard sur les « Printemps arabes », une révolte populaire qui a renversé le général Omar El Bachir, dictateur depuis le coup d’état de 1989. Alors, pour parler de tout cela, j’aurai le plaisir d’avoir comme invité Jacky Mamou. Jacky Mamou est médecin, il a été président de l’ONG Médecins du Monde et il préside le collectif Urgence Darfour.

Soyez nombreux à l’écoute !

J.C


 

25 octobre 2019

« Il faut qu’il paye » : au Mali, les femmes violées par des djihadistes demandent justice


Abdoulaziz Al-Hassan, commissaire de la police islamique de Tombouctou en 2012, est poursuivi par la CPI et est accusé d’avoir mis en place une politique de viols, tortures et mariages forcés qui a réduit les femmes à l’état d’esclaves sexuelles. 
 
C’est dans une ancienne banque transformée en commissariat islamique que des femmes de Tombouctou ont été parquées par dizaines. Enfermées de longs jours dans cette prison de fortune, elles ont été régulièrement violées pour avoir manqué aux règles imposées par les djihadistes. Les associations de défense des droits humains parlent même de « viols systématiques » pendant l’occupation de cette région reculée du nord du Mali, en 2012, par les groupes armés Ansar Dine et Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI).
Sept ans après les faits, la Cour pénale internationale (CPI) a annoncé l’ouverture prochaine du procès de l’ancien commissaire de la police islamique de Tombouctou, le Touareg malien Abdoulaziz Al-Hassan. Lundi 30 septembre, les juges de la CPI ont confirmé les charges de « crimes de guerre » et « crimes contre l’humanité » à son encontre. Entre autres, il est accusé d’avoir mis en place une politique de viols, tortures et mariages forcés qui a réduit les femmes de la ville à l’état d’esclaves sexuelles.
« Celles qui ne s’étaient pas bien couvertes, celles qu’on voyait en compagnie d’un homme qui n’était pas leur mari, celles qui étaient prises en train de faire le commerce des produits de beauté… Toutes ces femmes étaient arrêtées, battues et envoyées à la prison pour femmes. Et dans cette prison, elles étaient violées », explique Bintou Samaké, la présidente de l’association Wildaf (Women in Law & Development in Africa), qui fournit du soutien aux femmes victimes de violences.

« Récompenser » les djihadistes

Mariama* se souvient de sa colère contre les groupes djihadistes arrivés à Tombouctou, qui bouleversaient son quotidien par leur violence et leurs règles arbitraires. « Il n’y avait pas de divertissements, pas de loisirs, pas d’éducation », raconte la jeune femme, alors âgée de 15 ans. Un jour qu’elle part chercher de l’eau, elle décide d’ignorer ces règles et sort tête nue. C’est une course rapide, elle espère passer inaperçue. Mais les extrémistes l’arrêtent et la traînent au commissariat islamique. Pendant son emprisonnement de quarante-huit heures, deux gardes l’emmènent dans une pièce reculée, où elle est violée. « Lorsqu’ils ont fini, ils m’ont demandé de m’habiller. Je n’avais même pas la capacité de me lever », raconte-t-elle tout bas. A son retour dans la maison familiale, elle ne dit rien de ce qu’elle vient de subir.
A Tombouctou, beaucoup ont aussi été forcées au mariage pour « récompenser » les soldats du djihad et autoriser des relations sexuelles « dans le respect de la religion », selon la procureure de la CPI, Fatou Bensouda. Parfois, ces mariages étaient collectifs, les extrémistes se cotisant pour payer une dot à plusieurs. Une fois la nuit tombée, l’époux officiel laissait place à d’autres qui, tour à tour, abusaient de leur « femme », racontent les enquêteurs qui se sont rendus sur place. Dans certains cas, les mariages forcés ne duraient que quelques heures et, aussitôt consommés, se concluaient par un divorce.
En 2012 et 2013, Wildaf a recensé 173 femmes victimes de violences sexuelles et dont les séquelles physiques, psychologiques ou les grossesses résultant des viols auraient nécessité une assistance immédiate. Mais le vrai nombre des victimes, selon les associations, serait de plusieurs milliers. La plupart se sont tues pendant des semaines, des mois voire des années, de peur d’être mises à l’écart et blâmées par leurs familles. Des années plus tard, les langues se délient peu à peu, dans l’espoir que justice soit rendue.
Après l’arrivée de ceux qu’elle appelle « les occupants », Ada*, alors âgée de 20 ans, est restée terrée dans sa maison. Finalement sortie faire des courses pour sa famille, elle est fouettée en plein marché pour n’avoir pas porté de voile. Elle doit utiliser l’argent des courses pour acheter de quoi se couvrir. Puis, après une autre visite au marché, elle reçoit deux demandes en mariage, qu’elle refuse. La troisième demande n’en est plus une. « Ils sont venus de force, parce que c’est la loi du plus fort », se souvient-elle. Amenée dans une nouvelle maison avec le mari qu’elle n’a pas choisi, enfermée pendant deux semaines, elle est violée tous les soirs. Puis, un matin, le djihadiste divorce et se remarie aussi vite. « Ça m’a encore déchirée de l’intérieur », dit-elle, meurtrie à l’idée qu’une autre femme vive son calvaire.

Aucun homme n’a été inculpé

Ada n’a plus revu son bourreau, qui a quitté la ville au moment de l’intervention des forces françaises pour libérer le nord du Mali du joug des extrémistes, en janvier 2013. Beaucoup d’autres n’ont pas eu cette chance : aucun homme n’a été inculpé pour les viols commis pendant l’occupation de Tombouctou ; victimes et agresseurs se croisent régulièrement dans les quartiers centraux de cette cité de 50 000 habitants.
Très peu de femmes ont reçu une assistance médicale ou psychologique. La Commission vérité, justice et réconciliation (CVJR), mise en place par le gouvernement malien pour enquêter sur les crimes de guerre commis depuis l’indépendance, ne dispose que d’un seul psychologue, basé à Bamako, pour assister des milliers de personnes affectées. Le procès d’Al-Hassan est le premier à entendre des victimes de ces crimes. Au Mali, deux plaintes collectives de victimes de violences sexuelles, déposées en 2014 et 2015, n’ont jamais abouti après que les juges chargés d’enquêter ont quitté le nord du pays pour garantir leur propre sécurité.
Malgré un accord de paix signé à Alger en 2015, les femmes du nord n’ont pas connu de répit. L’année dernière, Alioune Tine, expert indépendant sur la situation des droits humains au Mali, déclarait : « Aucune femme ne peut monter dans un bus entre Gao et Bamako sans risque de violence physique ou sexuelle. » A mesure que les violences contre les civils se déplacent vers le centre du pays, les viols se multiplient.
Sept ans plus tard, Mariama essaye toujours de reprendre une « vie normale » et de retrouver l’insouciance qui lui a été volée. Le procès d’Al-Hassan, espère-t-elle, lui apportera un début de répit : « Il faut qu’il paye, dit-elle. S’il n’avait pas ouvert le commissariat islamique, tout ça ne serait pas arrivé. »

* Les prénoms ont été changés

Anna Pujol-Mazzini
Le Monde, 1er octobre 2019