Introduction :
Une nouvelle rubrique cette semaine sur le blog !
Tous les mardi ma correspondante Isabelle-Yaël Rose nous écrira, depuis la capitale d'Israël, un "vrai journal juif français de Jérusalem". Je ne doute ni de son talent ni de sa persévérance pour alimenter cette série, et ce alors que l'actualité politique, dans l’État juif et tout le Proche-Orient, risque d'être particulièrement agitée. Une petite précision à propos du titre : "le Marocain" dont il sera question à la fin est Amir Peretz, ancien Président du Parti Travailliste qui eut une carrière éphémère de Ministre de la Défense dans le gouvernement Olmert, ayant démissionné suite aux ratés de la guerre de 2006. Il est d'origine marocaine, et fier de l'être ! Je l'ai ainsi entendu discourir en hébreu parmi les invités d'honneur de la "Quinzaine du judaïsme marocain" (voir sur le blog, entrée du 3 février), en parlant des "Marokim" sans qui Israël n'aurait pu être construit ... et cela, sous le regard amusé de l'Ambassadeur du Maroc à Paris, qui devait prononcer la conférence inaugurale.
J.C
J.C
L’échiquier politique israélien est singulièrement déroutant pour tous les étrangers : à la traditionnelle distinction droite-gauche, telle qu’on la connaît par exemple en France, se superposent d’autres lignes de fractures inconnues en Occident. Ainsi, les partis dit « religieux » se déclinent non seulement selon leurs options politiques, mais aussi selon leurs choix « idéologiques et religieux » : Yahadout Ha-Torah est le parti des religieux traditionnels (haredim) ashkénazes. Le Shas est le parti des haredim séfarades. L’Union nationale - parti national religieux - est celui des religieux non haredim nationalistes. Si les différences sont déjà abyssales au niveau du simple rite, elles le sont plus encore au niveau idéologique et politique.
Cependant, il serait très difficile, voire abusif, de tenter d’appliquer la grille de lecture droite-gauche au niveau de ces partis. Par exemple, si le Shas est un parti conservateur socialement, il fait en revanche preuve de pragmatisme quand on aborde les autres questions. Inversement, les partis religieux nationalistes, qui ont mis la main sur toutes les questions sociales « chaudes », font montre d’une idéologie butée dès qu’on aborde la question palestinienne. Pour faire court, le Shas est à droite socialement, tandis que les partis religieux nationalistes - qui sont à l’extrême-gauche socialement - sont à l’extrême-droite dès qu’on aborde les thèmes politiques liés aux Arabes. Le conflit palestinien étant le catalyseur de toutes les tensions en Israël, on comprend alors comment les partis religieux nationalistes ont pu faire une alliance avec le Likoud et surtout le parti Israël Beitenou. Celui-ci étant favorable à des réformes laïques de la société - en gros, son objectif est de ramener à une peau de chagrin l’influence des rabbins sur la vie sociale en Israël - la seule chose qui maintienne son alliance avec les partis religieux nationalistes est la vision qu’ils partagent sur le conflit israélo-palestinien. Israël Beiténou est la face laïque des partis religieux nationalistes. Les deux sont utilisés par le Likoud de Benyamin Netanyahou pour porter des coups contre la coalition qui gouverne Israël.
Netanyahou est très proche d’Israël Beiténou culturellement. Lui même ashkénaze, il est plutôt favorable à une laïcisation de la société israélienne. Sa manière de comprendre le monde arabe - en Israël ou dans le Moyen-Orient en général - ressemble comme deux gouttes d’eau à celle d’Avigdor Lieberman. Ce qui est somme toute logique, si on se rappelle que Lieberman est un ancien du Likoud et qu’il ne l’a quitté qu’à cause d’un conflit personnel et d’ambition avec Netanyahou : il n’y avait pas de place pour ces deux fortes personnalités dans un même parti. Tout en étant favorable à une laïcisation et une modernisation de la société, Netanyahou a cependant fait une alliance avec les partis religieux nationalistes : d’une part, parce qu’ils partagent la même approche du conflit israélo-palestinien. D’autre part, parce que les partis religieux nationalistes se sont accaparés tous les mouvements sociaux populaires en Israël : celui des réservistes après la Seconde guerre du Liban, celui des enseignants, celui du « panier de santé », et surtout, tous les problèmes auxquels sont confrontés les habitants de Sdérot et du sud d’Israël. Comme toujours dans l’Histoire, l’extrême-droite se faufile dans les brèches de l’État - dans ses échecs - et prend possession des questions sociales.
Ce qui nous amène au parti travailliste. Contrairement aux socialistes français, que l’on peut en gros qualifier de « pacifistes », les travaillistes israéliens ne sont pas des colombes : d’abord, leurs dirigeants sont souvent issus de l’armée mais aussi des services secrets. Ils ont donc une très forte formation sécuritaire et sont tout à fait sensibilisés aux dangers qui menacent Israël. Ensuite, la ligne de partage droite-gauche ne se fait plus d’emblée sur les questions de sécurité : c’est ce qui permet à la coalition du premier ministre Ehoud Olmert de persévérer. Sans doute doit-on y voir l’un des effets « positifs » de l’échec des accords d’Oslo : les travaillistes ont compris leur leçon. Si la distinction ne se fait plus sur les questions de sécurité, où passe la ligne de partage qui distingue la droite de la gauche ? La ligne de partage est maintenant sociale. Parce que les questions de société sont devenues la seconde priorité des Israéliens, quand ces problématiques étaient encore quasi-inexistantes il y a encore quelques années (toute la vie politique israélienne était alors totalement absorbée par les questions sécuritaires ).
Avant la seconde guerre du Liban, Amir Peretz avait réussi non seulement un coup de génie, mais surtout une première historique : il a été le premier chef d’un parti politique à se faire élire sur un agenda exclusivement social. Peretz avait compris que les Israéliens étaient maintenant préoccupés par les questions de société, et non plus seulement par celles touchant à leur sécurité. Sa faute capitale a été de l’oublier et de se laisser enfermer dans le rôle de ministre de la Défense. Actuellement, Ehoud Barak lui a succédé au parti travailliste mais aussi au poste de ministre de la Défense. Son passé militaire - il fut chef d’état-major - lui a valu cette promotion en pleine après guerre. Vécue d’une manière très traumatique par les Israéliens. Mais Barak, responsable des questions de sécurité, embarqué dans ce qu’il faut bien appeler une « guerre » dans le sud d’Israël, est en train, malgré lui, de préparer l’enterrement de son parti aux prochaines élections, détruisant toute possibilité de coalition centre-droit ou centre-gauche. Dit autrement, il prépare à son insu la venue au pouvoir d’une coalition d’extrême-droite conduite par Benyamin Netanyahou. Comment ?
Benyamin Netanyahou a appris de Peretz que la société israélienne était soucieuse d’elle même et de son bien être. Les partis religieux nationalistes sont sa carte sociale auprès de l’opinion publique. Il a aussi appris de Peretz que les Israéliens doutaient d’eux même d’un point de vue sécuritaire. Son alliance avec Lieberman a pour objectif de les rassurer. Il cherche maintenant la caution morale du Shas pour atteindre les traditionalistes et les séfarades. Mais le Shas résiste à ses manigances - parti conservateur, il a en horreur la laïcité et les réformes sociales telles que le mariage civil, l’adoption des enfants par les couples homosexuels, la liberté sexuelle.
De son côté, Barak est enfermé dans les problématiques touchant à la sécurité d’Israël. Contrairement à Olmert, plus doué pour la diplomatie, Barak est l’homme fort du gouvernement qui a la confiance de l’establishment militaire et sécuritaire. Mais le point faible de ce gouvernement sont les problèmes sociaux : le terrain est quasiment abandonné à l’opposition, les tentatives du Shas étant stoppées net par le caractère conservateur du parti qui n’atteindra jamais tout un secteur de la population.
La radio Kol Israël a rapporté dimanche 2 mars une entrevue entre Barak et Peretz grâce à l’initiative de Marciano. Olmert à la diplomatie, Yishaï aux affaires morales, Barak à la défense, Peretz aux affaires sociales - la perspective est intéressante pour tous ceux qui aiment l’équilibre, la démocratie, la pluralité, la tolérance. Pour tous ceux qui aiment un Judaïsme sans complexe et qui va de l’avant.
Isabelle-Yaël Rose,
Cependant, il serait très difficile, voire abusif, de tenter d’appliquer la grille de lecture droite-gauche au niveau de ces partis. Par exemple, si le Shas est un parti conservateur socialement, il fait en revanche preuve de pragmatisme quand on aborde les autres questions. Inversement, les partis religieux nationalistes, qui ont mis la main sur toutes les questions sociales « chaudes », font montre d’une idéologie butée dès qu’on aborde la question palestinienne. Pour faire court, le Shas est à droite socialement, tandis que les partis religieux nationalistes - qui sont à l’extrême-gauche socialement - sont à l’extrême-droite dès qu’on aborde les thèmes politiques liés aux Arabes. Le conflit palestinien étant le catalyseur de toutes les tensions en Israël, on comprend alors comment les partis religieux nationalistes ont pu faire une alliance avec le Likoud et surtout le parti Israël Beitenou. Celui-ci étant favorable à des réformes laïques de la société - en gros, son objectif est de ramener à une peau de chagrin l’influence des rabbins sur la vie sociale en Israël - la seule chose qui maintienne son alliance avec les partis religieux nationalistes est la vision qu’ils partagent sur le conflit israélo-palestinien. Israël Beiténou est la face laïque des partis religieux nationalistes. Les deux sont utilisés par le Likoud de Benyamin Netanyahou pour porter des coups contre la coalition qui gouverne Israël.
Netanyahou est très proche d’Israël Beiténou culturellement. Lui même ashkénaze, il est plutôt favorable à une laïcisation de la société israélienne. Sa manière de comprendre le monde arabe - en Israël ou dans le Moyen-Orient en général - ressemble comme deux gouttes d’eau à celle d’Avigdor Lieberman. Ce qui est somme toute logique, si on se rappelle que Lieberman est un ancien du Likoud et qu’il ne l’a quitté qu’à cause d’un conflit personnel et d’ambition avec Netanyahou : il n’y avait pas de place pour ces deux fortes personnalités dans un même parti. Tout en étant favorable à une laïcisation et une modernisation de la société, Netanyahou a cependant fait une alliance avec les partis religieux nationalistes : d’une part, parce qu’ils partagent la même approche du conflit israélo-palestinien. D’autre part, parce que les partis religieux nationalistes se sont accaparés tous les mouvements sociaux populaires en Israël : celui des réservistes après la Seconde guerre du Liban, celui des enseignants, celui du « panier de santé », et surtout, tous les problèmes auxquels sont confrontés les habitants de Sdérot et du sud d’Israël. Comme toujours dans l’Histoire, l’extrême-droite se faufile dans les brèches de l’État - dans ses échecs - et prend possession des questions sociales.
Ce qui nous amène au parti travailliste. Contrairement aux socialistes français, que l’on peut en gros qualifier de « pacifistes », les travaillistes israéliens ne sont pas des colombes : d’abord, leurs dirigeants sont souvent issus de l’armée mais aussi des services secrets. Ils ont donc une très forte formation sécuritaire et sont tout à fait sensibilisés aux dangers qui menacent Israël. Ensuite, la ligne de partage droite-gauche ne se fait plus d’emblée sur les questions de sécurité : c’est ce qui permet à la coalition du premier ministre Ehoud Olmert de persévérer. Sans doute doit-on y voir l’un des effets « positifs » de l’échec des accords d’Oslo : les travaillistes ont compris leur leçon. Si la distinction ne se fait plus sur les questions de sécurité, où passe la ligne de partage qui distingue la droite de la gauche ? La ligne de partage est maintenant sociale. Parce que les questions de société sont devenues la seconde priorité des Israéliens, quand ces problématiques étaient encore quasi-inexistantes il y a encore quelques années (toute la vie politique israélienne était alors totalement absorbée par les questions sécuritaires ).
Avant la seconde guerre du Liban, Amir Peretz avait réussi non seulement un coup de génie, mais surtout une première historique : il a été le premier chef d’un parti politique à se faire élire sur un agenda exclusivement social. Peretz avait compris que les Israéliens étaient maintenant préoccupés par les questions de société, et non plus seulement par celles touchant à leur sécurité. Sa faute capitale a été de l’oublier et de se laisser enfermer dans le rôle de ministre de la Défense. Actuellement, Ehoud Barak lui a succédé au parti travailliste mais aussi au poste de ministre de la Défense. Son passé militaire - il fut chef d’état-major - lui a valu cette promotion en pleine après guerre. Vécue d’une manière très traumatique par les Israéliens. Mais Barak, responsable des questions de sécurité, embarqué dans ce qu’il faut bien appeler une « guerre » dans le sud d’Israël, est en train, malgré lui, de préparer l’enterrement de son parti aux prochaines élections, détruisant toute possibilité de coalition centre-droit ou centre-gauche. Dit autrement, il prépare à son insu la venue au pouvoir d’une coalition d’extrême-droite conduite par Benyamin Netanyahou. Comment ?
Benyamin Netanyahou a appris de Peretz que la société israélienne était soucieuse d’elle même et de son bien être. Les partis religieux nationalistes sont sa carte sociale auprès de l’opinion publique. Il a aussi appris de Peretz que les Israéliens doutaient d’eux même d’un point de vue sécuritaire. Son alliance avec Lieberman a pour objectif de les rassurer. Il cherche maintenant la caution morale du Shas pour atteindre les traditionalistes et les séfarades. Mais le Shas résiste à ses manigances - parti conservateur, il a en horreur la laïcité et les réformes sociales telles que le mariage civil, l’adoption des enfants par les couples homosexuels, la liberté sexuelle.
De son côté, Barak est enfermé dans les problématiques touchant à la sécurité d’Israël. Contrairement à Olmert, plus doué pour la diplomatie, Barak est l’homme fort du gouvernement qui a la confiance de l’establishment militaire et sécuritaire. Mais le point faible de ce gouvernement sont les problèmes sociaux : le terrain est quasiment abandonné à l’opposition, les tentatives du Shas étant stoppées net par le caractère conservateur du parti qui n’atteindra jamais tout un secteur de la population.
La radio Kol Israël a rapporté dimanche 2 mars une entrevue entre Barak et Peretz grâce à l’initiative de Marciano. Olmert à la diplomatie, Yishaï aux affaires morales, Barak à la défense, Peretz aux affaires sociales - la perspective est intéressante pour tous ceux qui aiment l’équilibre, la démocratie, la pluralité, la tolérance. Pour tous ceux qui aiment un Judaïsme sans complexe et qui va de l’avant.
Isabelle-Yaël Rose,
Jérusalem le 3 mars 2008