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03 mars 2008

"L'islamisme, ce nouveau totalitarisme" par Thierry Wolton

Introduction :
J'ai utilisé récemment et à plusieurs reprises, le terme "islamo-fascistes" pour parler des combattants du Hamas avec qui Tsahal est engagé dans de durs combats. L’utilisation du terme « islamo-fascistes » par le Président Georges W. Bush, à propos de la nébuleuse d’Al-Qaïda et de ses supporters, avait aussitôt suscité une levée de boucliers, aux États-Unis comme en Europe. On peut voir dans ce rejet une allergie globale au personnage, devenu un tel repoussoir que n’importe laquelle de ses propositions (par exemple qu’il fait jour à midi) serait contestée. Mais l’expression a pu paraître, aussi et avec raison, comme maladroite dans la mesure où le fascisme est une idéologie bien ancrée dans une période historique (l’entre deux guerres) et un lieu (l’Europe), ce qui interdirait les extrapolations ailleurs et à une autre époque. Reste par contre la notion de « totalitarisme », qui a été déjà utilisée il y a plusieurs années par l’orientaliste Alexandre Del Valle dans son livre « Le totalitarisme islamiste à l’assaut des démocraties » (Éditions des Syrtes). Cet auteur avait été d’ailleurs mon invité quelques mois après la sortie du livre, le 12 janvier 2003. Auteur de l’ouvrage « Quatrième Guerre mondiale » aux Éditions Grasset, Thierry Wolton a repris ce concept à propos de la mouvance islamiste qui affronte l’Occident. Et il avait donné quelques clés pour démontrer la nature profondément totalitaire de son idéologie, dans un article publié dans « le Figaro » il y a déjà plus de deux ans, le 6 septembre 2006. 
J.C

" Lancé par les néoconservateurs américains avant le 11 Septembre, repris par le président Bush, le débat fait toujours rage aux États-Unis sur la nature totalitaire ou non de l'islamisme. Pour George W. Bush, on assiste aujourd'hui à un combat stratégique du «monde civilisé contre les successeurs des nazis, des fascistes, des communistes et autres totalitaires du XXe siècle».

Peut-on souscrire à une telle analyse ? Parler d'un totalitarisme islamiste nécessite de préciser ce qu'est une idéologie totalitaire, par essence religion séculière ; de voir s'il est possible de parler d'idéologie en ce qui concerne l'islamisme, qui prétend s'inspirer d'Allah et, si oui, en quoi cette idéologie serait totalitaire et quelle fonction remplit-elle auprès de ceux qui y adhèrent ou la subissent.

Pour aller à l'essentiel, le totalitarisme se distingue de la dictature ou du despotisme par l'adhésion populaire qu'il a toujours suscité. Mussolini fut longtemps le héros d'une majorité d'Italiens, Hitler sut mener les Allemands à la guerre, des millions de Soviétiques ont pleuré Staline à sa mort, nombre de Chinois sont toujours en deuil de Mao ... La terreur n'est pas une explication suffisante pour comprendre comment les ressortissants des régimes totalitaires ont fini par aimer leurs bourreaux. L'idéologie est la raison essentielle de ce soutien populaire. Elle a pour fonction d'unir par des sentiments identitaires des citoyens isolés, de donner sens à leur communauté par un mythe absolu et exclusif, de leur faire reconnaître pour chef celui qui sait traduire ces impératifs en émotions collectives. Support du totalitarisme, l'idéologie doit revêtir un caractère utopique et postuler le règlement radical des problèmes de la société. On retrouve ces caractéristiques dans l'islamisme qu'on peut définir comme une interprétation politique de l'islam.

Les idées d'Hassan al-Banna, le fondateur des Frères musulmans et le maître à penser de l'islam fondamentaliste, sont apparues en même temps que les autres idéologies totalitaires du XXe siècle, après la Première Guerre mondiale. On y retrouve le fond commun à toutes les pensées totalitaires : anti-occidentalisme, antilibéralisme, anti-individualisme et une explication globale du monde, de son fonctionnement et de sa destinée, en l'occurrence par la gnose islamiste.

Ce n'est pas un hasard si les islamistes ont embrasé les sociétés musulmanes dans les années 1970 quand les conditions socio-économiques ont été favorables à l'expansion de leur idéologie. Exode rural, urbanisation massive, boom démographique, alphabétisation des jeunes, tous ces bouleversements les ont servis. Ils y ont puisé leur énergie, ils y ont trouvé leurs militants en offrant un débouché idéologique à ceux qui se sentaient déboussolés par la poussée de la modernisation. Comme hier le communisme et le fascisme, l'islamisme sert de refuge dans un moment de transition où sont bousculées les hiérarchies, les solidarités traditionnelles. La religion des oulémas, des docteurs de la loi, avait du mal à suivre les transformations en cours. La nouvelle génération d'islamistes a considéré qu'elle n'avait plus besoin d'eux pour commenter les textes sacrés, et elle a cultivé sa vision politique de l'islam. À l'intérieur des pays musulmans comme à l'extérieur, dans les communautés éparpillées dans le monde, l'expansion de l'islamisme a correspondu au phénomène de globalisation, elle en a été, en quelque sorte, la réponse. Pour faire face à la destruction des sociétés traditionnelles, l'idéologie islamiste propose en effet de refonder une communauté imaginaire (utopique) où les identités qu'elle permet de (re)construire n'ont plus besoin de territoires. Une planche de salut pour des individus déracinés et acculturés.

En tant qu'idéologie totalitaire, le communisme visait à atomiser les individus en les arrachant de leurs racines sociales, politiques, culturelles, voire familiales, pour mieux les dominer, les contrôler. L'islamisme, lui, propose des repères (codes) à des individus déjà déracinés. La démarche est différente mais le résultat est le même : il s'agit dans les deux cas d'unir par des sentiments identitaires - la communauté socialiste, la communauté des croyants - des personnes isolées, de donner sens à leur communauté grâce à un mythe absolu et exclusif, le parti ou la Oumma. Pour cette raison, l'islamisme tient de l'idéologie politique et non de la croyance religieuse.

La conception totalitaire de l'islamisme apparaît pleinement quand l'idéologie s'impose à l'échelle d'un pays. Comme dans les autres variantes du totalitalisme, il se propose de construire une société idéale, de réaliser l'Utopie à partir de l'infaillibilité de l'idéologie, dans ce cas le Coran. Les talibans, qui ont imposé leur loi sur l'Afghanistan de 1996 à 2001, interdisaient notamment les oiseaux chanteurs parce qu'ils pouvaient perturber la prière, les cerfs-volants furent bannis car en allant les décrocher des arbres, on risquait d'apercevoir des femmes non voilées chez elles, la taille des barbes était calculée au centimètre près pour ressembler au Prophète ... En son temps, l'Iran de Khomeyni a offert un sanglant exemple du rôle de l'islam en idéologie totalitaire dans la guerre qui a opposé son pays à l'Irak de Saddam Hussein dans la décennie 1980. Sur le brassard que portaient les jeunes gens ou les enfants envoyés sur les champs de mines pour frayer un passage à leurs aînés, au prix de leur vie, c'est le mot «islam» qui était inscrit. «L'islam est en danger», répétait le régime. Il n'était pas dit que la patrie, l'Iran, le peuple, la liberté étaient en cause. C'était l'islam qui tenait lieu de pays, de famille, d'éthique, ce qu'ont repris ensuite les terroristes islamistes qui ensanglantent le monde. Tout cela est le propre d'une idéologie totalitaire."

Thierry Wolton
« Le Figaro », 6 septembre 2006