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23 mars 2008

Pour une métaphysique volontaire de la politique en Mauritanie, par El Arby Ould Saleck (première partie)

Tribune libre
Introduction :
On ne parle pas assez de la Mauritanie, ce grand pays charnière entre le Maghreb et l’Afrique Noire. Pourtant, le terrorisme d’Al-Qaïda l’a mis sous les projecteurs de l’actualité il y a quelques mois : j’avais eu peu avant la chance de faire la connaissance d’El Arby Ould Saleck, un politologue mauritanien vivant en France, qui a été mon invité le 27 janvier (lire sur le blog). Il m’a envoyé récemment le texte d’un article publié dans la presse et sur des forums Internet mauritaniens : il s’agit d’un plaidoyer vibrant, à la fois pour un état de droit et pour la laïcité, et je le publie avec plaisir, ce journal en ligne servant aussi à faire entendre le courant libéral et démocrate existant dans le monde musulman. Il contient aussi des passages très critiques vis-à-vis du gouvernement actuel de Nouakchott, et c’est pourquoi je le reproduis ici sous la rubrique « Tribune Libre ». Cette contribution étant par ailleurs assez longue, je la publie en deux parties, la suite étant mise en ligne demain.
Bonne lecture !

J.C

L’islamisme renferme la plupart des signes d’inquiétude d’une Mauritanie qui se cherche et vacille entre la quête d’une modernité politique et l’attachement à une identité contestée et contestable par son instrumentalisation aux fins du pouvoir. Dans la constitution de ce qui ressemble à un Etat, la Mauritanie apparaît sous les traits imprécis d’une sous-banlieue lointaine du monde arabe et d’un faubourg gris de l’Afrique; point besoin n’est, donc, d’en recenser les handicaps à la naissance !

Les événements de ces derniers mois, avec l’assassinat de touristes français en décembre et les tirs d’armes sur la façade de l’ambassade d’Israël en janvier, suivis de la revendication, par une partie de l’opposition institutionnelle, de rompre les relations diplomatiques avec cet état, dévoilent l’impératif, pour notre génération et celle en devoir de forger une modernité transversale dans ce pays, d’une vigilance sans relâche. Ici, la nécessité a, pour préalable, une sortie de la religion-carcan pour qu’enfin se lève et marche un peuple mauritanien « métaphysiquement démocratique ».. Pour reprendre une idée d’André Malraux, « Dieu n’est pas fait pour être mis dans le jeu des hommes comme un ciboire dans la poche d’un voleur ! »

En effet, dans le monde arabe en général et la Mauritanie en particulier, il ne nous échappe que les dirigeants, faute de légitimité populaire ou historique, ont toujours été enclins à en rechercher, de substitution ; leur choix, comme souvent chez les paresseux incapables d’originalité, se portait sur la religion. L’alibi-bouclier-prétexte confessionnel- ici l’Islam comme fondement de l’Etat, un concept étranger à la première Constitution en 1959 - recelait une trouvaille pour asseoir la médiocrité politique au sommet et permit, à partir du 10 juillet 1978, de vulgariser le recrutement des cadres publics en fonction des critères de piété, de charité et de notoriété religieuse. Le tribalisme aidant et l’arabisation conçue dans un esprit d’exclusivité facilitèrent le glissement vers une révision des codes de valeur, au détriment de la compétence, du mérite, de l’intégrité, conditions à caractère laïc et universel, nettement plus en vigueur sous le régime civil de Maître Mokhtar Ould Daddah, cette époque aujourd’hui lointaine où un fonctionnaire corrompu échouait en prison et rendait compte de son forfait, bon croyant ou pas.

Aujourd’hui, nous pensons que nul parmi nous ne peut se concevoir en tant que citoyen commandé par l’au-delà ! Quelles que soient nos divergences d’idéologie - nombreuses au demeurant -nous oeuvrons, en qualité d’hommes en situation, à créer et entretenir une communauté de destin sur le seul espace où nous pouvons vivre. Un mauritanien qui s’est empli les poumons de l’air et de la poussière de chez soi ne peut que survivre ailleurs. La cité de Dieu sur terre est étrangère à notre besoin congénital de liberté. Ceux d’entre nous qui la réfutent justement au nom de l’authenticité n’acceptent pas de quitter le navire ; avec les barbus et leurs épigones, il nous faudra alors trouver une solution par quoi cohabiter. Hormis la démocratie pluraliste et apaisée, je n’entrevois d’autre formule viable. Reste la guerre ; en ce monde, nul n’a le monopole des armes, surtout pas la « maraboutiquerie » locale. Entre mauritaniens, nous savons nos limites historiques. Notre mémoire est encore verte d’où la limpidité de son legs.

Mêler l’idée d’un Dieu à l’ordre de l’ici-bas semble un sacrilège au regard de la relativité humaine et un frein aux efforts déployés, ici et là, pour la libération de l’individu pionnier, novateur ou simple architecte d’un devenir indéterminable. Il y’a, dans l’idée de satisfaire aux injonctions du Ciel sur terre, une insolence et une vanité égales. Par bonheur, la vie et ses joies auront toujours le dernier mot, face aux censeurs ; ici, avant d’élever un minaret de la dérision - il suffit de les voir minuscules par le hublot d’un avion - à la gloire de la Toute Puissance, il importe de se demander quel crime l’on ne commet pas à oublier la subvention d’une école, d’un dispensaire, d’une salle de cinéma. Nous étions nomades, pasteurs ou cultivateurs sobres ; l’Orient Arabe nous empoisonne depuis plus de deux décennies. Notre complication vient de ce mimétisme du mauvais goût. La Hassanité linguistique et esthétique est en train de s’y fondre, dérivant vers une copie consumériste où le discernement s’estompe sous le faix de la Marchandise. L’on s’endette pour rejoindre la Mecque et un tour à Dubaï rapporte de quoi racheter la créance. La norme conditionnelle - pas de pèlerinage sous crédit - se dissout dans cette négociation permanente entre la foi intime et le flot d’images des chaînes satellitaires arabes. Notre complication est une complexité qui puise dans la fertilité du complexe de ne pas être des sémites garantis. La seule manière de guérir d’une telle névrose, c’est finalement de se l’avouer.

El Arby OULD SALECK ,
Docteur en Science Politique, Paris, France