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18 décembre 2006

La Syrie et l’Iran, ou : « quand la souris mange l’éléphant »

Introduction :
A côté des bruits de bottes qui montent de tout le Moyen-Orient, de Téhéran à Beyrouth en passant par Gaza, un curieux message d'ouverture vient d'être envoyé par la Syrie. Le gouvernement israélien semble bien partagé sur la question, d'autant plus que l'administration Bush ne semble pas pressée de desserrer l'étau autour de Damas ...
Isabelle-Yaël Rose m'envoie de Jérusalem une analyse très "pointue" sur ces développements, et qui apporte une bouffée d'optimisme en cette période troublée !
J.C

La semaine dernière, un officier des Renseignements Militaires israéliens expliquait comment la Syrie menait parallèlement des initiatives militaires et diplomatiques qui pouvaient sembler a première vue contradictoires : en même temps qu’elle s’armait de missiles longue-portée, et que l’on pouvait observer un " mouvement de troupes" à sa frontière commune avec Israël, la Syrie, au dire de l’officier, développait une intense activité diplomatique depuis les dernières semaines.

Hier, le Ministre des Affaires Étrangères syrien, qui parlait officiellement au nom du Président Assad, fit une déclaration qui permet de comprendre que la contradiction n’était en fait qu’une apparence. D’une certaine manière, il nous a donné le code : le Président Assad se déclare prêt à une reprise des négociations de paix avec Israël sans que la restitution du Golan fasse partie des conditions préalables. Est-ce à dire que les Syriens renoncent au Golan ? Non. Cela signifie seulement - et telle est la nouveauté de cette dernière déclaration - que la Syrie ne considère plus la question du Golan comme une condition à la discussion. Comment expliquer ce revirement ? Pourquoi maintenant ?

La Syrie faisait partie de cet "Axe du mal" définit par le Président Bush. Or, son amitié avec l’Iran commence à devenir pour le moins embarrassante. Ce n’est pas seulement qu’elle aura eu pour effet de l’isoler diplomatiquement, c’est aussi que le Président iranien est de plus en plus en difficulté : un sondage annonce des résultats catastrophiques aux élections municipales et à celles de "l'Assemblée des Experts" - institution religieuse capitale dans le mécanisme du pouvoir en Iran. Les déclarations toujours provocatrices d’Ahmadinejad rendent de plus en plus inévitables des sanctions de la Communauté Internationale, qui auront pour effet de l’isoler encore un peu plus du monde occidental mais aussi des pays arabes, tels que l’Égypte, la Jordanie, l’Arabie Saoudite. Bref, Ahmadinejad est probablement en train de perdre de l’influence, aussi bien dans son propre pays que dans le monde. D’où son repliement sur les organisations terroristes, telles celles qui sévissent en Afghanistan, qui ne fait qu’accélérer sa chute. Assad n’a donc pas intérêt à persévérer dans cette alliance : une alliance avec un perdant qui se met le monde à dos n’est pas intéressante. Les événements du Liban lui fournissent une autre raison pour retirer la caution de son nom.

Il semble que le coup d’État prémédité par le Hezbollah uni avec les forces chrétiennes de Michel Aoun soit en train d’avorter. Le gouvernement de Siniora ne plie pas. Or, que le Hezbollah soit de nouveau en train de subir un revers - le premier ayant été la guerre de cet été ; ou, qu’il soit amené à reconquérir une influence dans un futur gouvernement à constituer, de toutes façons, le mouvement chiite a davantage d’affinités avec Téhéran qu’avec Damas. Sans doute Assad souhaite-t-il voir le Hezbollah échouer - aujourd’hui - même s’il ne veut pas pour autant sa disparition : dans l’hypothèse d’un affaiblissement d’Ahmadinejad, la Syrie pourrait récupérer un Hezbollah placé pleinement sous son contrôle. C’est pourquoi Ehoud Olmert a répondu d’une manière relativement froide à la déclaration du Ministre des Affaires étrangères syrien : d’abord, il a exigé que Damas cesse le transfert d’armes au Liban ; ensuite, plus généralement, qu’elle mette un terme à son soutien au terrorisme.

Khaled Meschaal suit les événements qui agitent la bande de Gaza depuis ... Damas. Il est la carte palestinienne et sunnite de la Syrie. La guerre entre le Fatah et le Hamas est montée d’un cran cette semaine : assassinat par le Hamas des enfants d’un officiel Fatah des Services de Renseignements, tentative d’assassinat d’Ismaël Haniyé qui a conduit à la mort de l’un de ses gardes du corps. La concurrence entre Haniyé et Meschaal au sein du Hamas est grande. Au moins autant que celle qui oppose Mohammed Dahlan (Fatah) au Hamas à l’intérieur de Gaza. Pourtant, pour des raisons évidentes, Haniyé aura préféré faire porter la responsabilité de la tentative d’assassinat sur Dahlan : une condamnation à mort a été « validée ». Elle est d’autant plus à prendre au sérieux qu’en quinze jours à peine le discours d’Ismaël Haniyé s’est notablement durci tout en prenant un caractère religieux. C’est pourquoi hier soir, suite à des affrontements violents qui étaient comme une réponse du Hamas à la déclaration d’Abou Mazen (avancer les élections parlementaires et présidentielles), 5.000 hommes du Fatah se sont rassemblés à Gaza devant la maison de Mohammed Dahlan : l’homme est devenu une cible de premier ordre. Celui qui a tout à gagner de cette rivalité entre Haniyé et Dahlan est naturellement Meschaal qui tire les ficelles depuis sa retraite syrienne. Vu son pouvoir de nuisance sur la stabilité de la société palestinienne, et sur le processus de paix en son entier, la Syrie, si elle veut vraiment rejoindre le camp de la paix, aurait donc tout intérêt à ne plus l’héberger : il est une épine sous son pied.
Deux leçons peuvent dès aujourd’hui être tirées des violences qui ont eu lieu ces derniers jours : si Abou Mazen n’est pas un "homme fort" dans le sens oriental du terme, le Hamas a perdu beaucoup de terrain, lui aussi, dans la rue palestinienne. On se souviendra de ce qui avait fait le succès du Hamas : un réseau d’œuvres de charité, d’écoles, d’hôpitaux, etc. Or, grâce au boycott de la Communauté Européenne et des États-Unis, le Hamas n’a plus autant d’argent pour acheter et les hommes et les votes. Même si Haniyé est allé faire le tour de tous les pays-voyous de la planète - de l’Iran au Soudan en passant par la Syrie - il n’a pas pu collecter autant de fonds que ce qu’il aurait pu recevoir des États-Unis, d’Israël, et de l’Europe, dans le cadre d’accords internationaux. D’autant plus qu’Israël ne lui a pas permis de revenir à Gaza avec son trophée. Et, les Palestiniens, s’ils accusent Abou Mazen d’impuissance, sont maintenant également désabusés par un Hamas qui n’a pas plus fait la preuve qu’il était capable d’apporter la paix sociale, le développement économique, la prospérité. Tout cela montre deux choses : d’une part, qu’une réaction unie et cohérente du monde démocratique produit ses effets. D’autre part, que les Palestiniens sont en train de faire l’apprentissage - très lentement - du principe de réalité dont aucun peuple ne peut faire l’économie s’il veut exister durablement.

Grâce à la pression conjuguée des Américains et des Français, Assad est donc en train de changer son fusil d’épaule. La perspective d’une enquête internationale sur les circonstances de la mort de Rafik Hariri - et de six autres personnes - ne lui laisse pas beaucoup de choix. Pas plus que le suicide politique programmé du dictateur iranien qui s’en ira rejoindre son illustre prédécesseur en empruntant la même porte. Sans doute Assad a-t-il intérêt à renouer un dialogue avec Israël. Sans doute est-il en train de chercher une porte de sortie pour sauver son régime fragilisé. A chaque fois qu’un chef d’État arabe s’apprête à négocier avec Israël, il commence toujours par faire la démonstration de son pouvoir militaire. C’est pourquoi, à défaut de le prendre au mot quand il parle de paix, les pays démocratiques ont-ils intérêt à le sonder pour voir jusqu’où il est prêt à aller. Y compris dans les réformes intérieures d’un pays trop longtemps maltraité. Le petit Royaume de Jordanie est naturellement un exemple à indiquer. Il a payé le prix de la crédibilité : très cher.

Isabelle-Yaël RoseJ
érusalem, le 17 décembre 2006