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11 janvier 2013

Quel monde arabe en 2013 ? par Akram Belkaïd


Avec ce qui passe en Syrie au Bahreïn, mais aussi en en Egypte et en Tunisie, où la transition démocratique réserve encore des surprises, le monde arabe va continuer à faire parler de lui durant l'année qui s'annonce.

Personne ne contestera le fait que le Printemps arabe a été l'événement majeur de 2011. Mais qu'en a-t-il été de 2012? Les avis sont partagés. Dans de nombreuses capitales arabes on parle d'un hiver islamiste et d'une régression sociétale. A l'inverse, il existe un autre point de vue, moins influencé par les péripéties électorales, pour qui l'histoire est loin d'être écrite et qui affirme que nous n'en sommes qu'au début d'un long processus. Une longue séquence dont personne n'est capable de prédire la fin. En tout état de cause, une chose est certaine: le monde arabe va continuer à faire parler de lui durant l'année qui s'annonce.

Les souffrances du peuple syrien vont-elles continuer?

D'abord en Syrie où l'on se demande si 2013 verra la chute du régime d'Assad avec d'incalculables conséquences tant sur le plan local que régional. De plus en plus contrôlée par des groupes islamistes radicaux, la rébellion contre le pouvoir de Damas inquiète la communauté internationale y compris ses principaux soutiens. Dans l'hypothèse de sa victoire – ce qui reste encore à prouver tant le régime semble conserver de la ressource pour se défendre – faut-il craindre des représailles massives contre les communautés ayant soutenu, de gré comme de force, Bachar El-Assad? Au cours des dernières semaines, plusieurs textes ont circulé sur internet mettant en garde contre un génocide – c'est le terme employé – dont les Alaouites mais aussi les chrétiens seraient les premières victimes.
Mais la guerre civile syrienne, car c'en est une désormais, peut aussi s'enliser. C'est, même si personne n'en conviendra, une option qui arrangerait nombre d'acteurs internationaux qui activent dans la région. Une Syrie à feu et à sang constituerait de fait un abcès de fixation susceptible de peser sur le régime iranien et son allié libanais du Hezbollah. Ce serait aussi un conflit susceptible d'attirer des djihadistes du monde entier au grand soulagement des pays dont ils sont originaires. Et puis, plus le temps passera et plus les tensions s'exacerberont au sein des factions islamistes qui combattent le régime d'Assad, ce qui ne manquera pas de les affaiblir. Cela signifie une chose, on peut craindre que les terribles souffrances du peuple syrien vont continuer.

Les Bahreïnis face à l'indifférence généralisée

Le peuple de Bahreïn risque lui aussi de continuer à souffrir et cela dans une indifférence quasi-généralisée. Disparu des radars des médias internationaux dès mars 2011, cette monarchie sunnite, qui se dit constitutionnelle, reste confrontée à un fort mouvement de contestation essentiellement mené, mais pas uniquement, par des forces politiques chiites représentatives d'une part majoritaire de la population. L'une des hypothèses concernant la suite des événements est que cette crise – qui a fait plusieurs morts, des blessés, des arrestations et même des déchéances de nationalité – va nécessairement s'internationaliser. Si l'Arabie saoudite veille et protège la monarchie en place, on sent tout de même que l'opposition chiite marque des points auprès des grandes puissances occidentales et cela même si la propagande officielle l'accuse d'être inféodée à l'Iran.

Le camp islamiste regarde vers Morsi et l'Egypte

Mais le pays arabe qui sera le plus observé est bien sûr l'Egypte. Car ce qui s'y passe depuis plusieurs mois est tout sauf anecdotique. La victoire du Frère musulman Mohamed Morsi à l'élection présidentielle et l'adoption au forceps d'une Constitution rédigée par le camp islamiste figurent parmi les événements majeurs de 2012.
N'en déplaise au Maghrébins, et notamment aux Algériens, qui pensent le contraire, l'Egypte demeure le centre de gravité du monde arabe et ce qui s'y passe influe tôt ou tard sur ses voisins et cousins. Ainsi, la presse arabe transnationale a-t-elle déjà mis en exergue un fait de première importance. La récente radicalisation du Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan – il a notamment appelé à des poursuites contre les producteurs d'une série télévisée sur Soliman le Magnifique – serait due à l'influence de Mohamed Morsi. Des Frères musulmans égyptiens au pouvoir qui incitent leurs homologues turcs de l'AKP à plus de rigorisme et d'orthodoxie, voilà une conséquence possible des événements de 2012 que personne ne semble avoir prévue. Ne disait-on pas, au contraire, que c'est le phénomène inverse qui aurait lieu, le «modèle turc» étant appelé à faire des émules dans le monde arabe?
Reste que la société égyptienne est divisée et que rien n'assure aux «Frères» que leur exercice du pouvoir sera un long fleuve tranquille. Mais l'expérience méritera d'être suivie de près.

La Tunisie et la menace de radicalisation d'Ennahdha

Tout comme sera suivie l'évolution de la Tunisie où la polarisation de la vie politique entre partisans et adversaires d'Ennahdha – c'est d'ailleurs ce que recherche ce parti depuis février 2011 – peut mener au pire.
Des élections devraient se tenir en 2013, dans l'hypothèse où les travaux de la Constituante seront achevés. Dans quel climat le scrutin se déroulera-t-il? Faut-il donner du crédit aux sondages qui affirment que le parti religieux perd, jour après jour, de son audience? Et si tel est le cas, ne faut-il pas craindre de lui une radicalisation plus marquée et un recours plus fréquent à l'intimidation et à la violence?

L'Algérie face à l'«aventurisme démocratique»

Et l'Algérie dans tout cela? On peut prendre le pari que ses dirigeants continueront de se gargariser d'une «exception» qui tend à faire croire que le pays est resté hermétique à l'onde de choc provoquée par le Printemps arabe. Est-ce que cela restera le cas en 2013? Qui sait? Les Algériens sont devenus les champions du monde de l'attente du changement et vivent actuellement dans un environnement à part, presque factice, en raison de la bonne tenue des cours du pétrole. Ils peuvent regarder la situation en Egypte ou en Tunisie comme des repoussoirs et des obstacles à tout «aventurisme démocratique». Mais, ils peuvent aussi se dire qu'il est des pays arabes où, malgré la pagaille politique, les choses bougent et où tout reste permis

La partie est-elle perdue pour les Palestiniens?

On terminera ce tour d'horizon par le sort des Palestiniens. Ces derniers ont désormais un «Etat» admis dans l'antichambre de l'Onu. Il leur reste à avoir enfin leur terre, leur «vrai» pays et leurs droits. On le sait, les Israéliens ont l'intention de ne rien lâcher et continuent même d'annexer Jérusalem-est et ses environs.
Vu à l'instant T, on pourrait penser que la partie est perdue pour les Palestiniens. Mais, ce serait oublier que cette partie du globe, comme le reste du monde arabe, est souvent confrontée à l'inattendu. Cet imprévu salvateur qui rebat les cartes et détruit les certitudes de la veille. Et pourquoi 2013 ne serait-elle pas, elle aussi, l'année de l'imprévu?

Akram Belkaïd (*)
Kapitalis, 31 décembre 2012
*Journaliste algérien basé à Paris.
Source : ''Le Quotidien d'Oran''.