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23 janvier 2013

Yaïr Lapid, faiseur de Roi



Mes amis lecteurs commencent à le savoir : mon émission, comme ce blog associé, ne sont pas centrés sur Israël, mais bien sûr la sécurité, la prospérité et le devenir du pays restent au premier plan de mes pensées ; et, à moins d'être un esprit obtus ou un incurable raciste, la "connaissance du monde musulman" fait partie aussi des données de base pour décrypter son avenir, tant il reste menacé dans ses étroites frontières ; mais lorsque les projecteurs de l'actualité se braquent uniquement sur le pays, lorsque heureusement les Israéliens et eux-seuls font l'évènement - et ce fut le cas hier, avec les élections -, c'est mon devoir d'analyser cette actualité et de partager mes impressions avec vous.

Pourquoi le cacher, d'abord ? Je suis soulagé bien qu'imparfaitement heureux. Soulagé que le "coup de barre à droite" annoncé ne se soit pas produit, loin s'en faut ; et imparfaitement heureux, car aucun parti d'opposition n'est parvenu à "doubler" la coalition sortante.

Je n'ai jamais dissimulé mon manque de confiance vis à vis du Premier Ministre sortant et de son équipe, qui ont poussé le pays à s'isoler, à se "bunkeriser" alors même que sa fragilité ne le lui permettait pas. A cet égard, le choix désastreux d'Avigdor Lieberman comme Ministre des Affaires Etrangères - le rapprochement de la personnalité et du poste en fait presque un oxymore - annonçait de mauvaises relations avec l'allié américain, dirigé aussi il est vrai, par un Président peu chaleureux envers l'état juif. Cette alliance avec Lieberman s'est traduite au final par une liste commune face aux électeurs, qui inspira à l'opposition de la gauche pacifiste l'affiche "Bibierman" - le visage de "Bibi" partagé pour moitié par celui de son colistier : or l'affiche à la sortie, tirée de la presse israélienne, mixe le visage de Netanyahou avec celui de Yaïr Lapid, vrai vainqueur des élections avec 16 % des voix et 19 sièges selon les premières estimations ... d'où mon illustration et bien sûr le titre choisi.

Selon les estimations basées sur 99,5 % des votes, les résultats sont les suivants (les deux sièges de Kadima restant sujets à caution) :


-         Likud-Yisrael Beiteinu: 31

-         Yesh Atid (centristes, parti de Lapid) : 19

-         Travaillistes : 15

-         Shass (orthodoxes séfarades) : 11

-         Habayit Hayehudi ("La maison juive, parti de Naphtali Bennet) : 11

-         United Torah Judaism (orthodoxes ashkénazes) : 7

-         Hatnua (parti de Tzipi Livni) : 6

-         Meretz : 6

-         United Arab List-Taal: 5

-         Hadash (parti arabe) : 4

-         Balad (parti arabe) : 3

-         Kadima: 2


Les journaux parlent donc d'un pays "coupé en deux", avec si on compte le total des partis "de droite" 60 députés, et ceux "de gauche ou du centre" 60 également : cela ouvrirait, en théorie, le choix du Premier Ministre ; or en réalité, les listes arabes - qui auront 12 députés - ne sont pas intégrables dans une majorité, car ces partis sont hélas "antisionistes" ; la vraie opposition "de gauche" représente en vérité 21 députés, soit 17,5 % des voix (la faiblesse récurrente des Travaillistes n'étant pas compensée par la bonne santé des "pacifistes" du Meretz). 


Tzipi Livni, avec 5 % des votants, aura raté son objectif de reprendre les suffrages du parti qu'elle mena aux élections en 2009, Kadima aujourd'hui presqu'entièrement laminé : or c'est la seule qui, avec le Meretz, avait mis comme priorité la reprise des négociations avec les Palestiniens, contrairement par exemple à Yaïr Lapid et à Shely Yachimovich chez les Travaillistes ; preuve donc que les questions de sécurité ou de diplomatie n'étaient pas la question centrale pour les électeurs. Et deux éléments supplémentaires viennent le confirmer : par contraste, Naphtali Bennet et sa liste ultra-nationaliste dont on nous faisait croire qu'il serait le troisième, voir le second parti, n'arrive qu'au même niveau des religieux du Shass ; et les enquêtes d'opinion montraient bien que les questions sociales (coût du logement, érosion du pouvoir d'achat des classes moyennes) étaient en tête des priorité pour les électeurs ...


Soulagement donc, hier soir, car parmi les consultants qui se sont exprimés sur les ondes de Judaïques FM pour notre émission spéciale, Jacques Bennillouche l'a parfaitement résumé : "La société israélienne est beaucoup moins de droite qu'on le pensait" ; j'ajouterais : "que l'on aurait pu le penser en lisant ce qu'écrivent la blogosphère et les Israéliens francophones dans les réseaux sociaux" ; et j'ajouterais aussi "qu'auraient espéré les journalistes militants de la presse française, toujours ravis de donner une image fascisante du pays". Mais inquiétude aussi en entendant ce qu'a dit Dominique Moïsi, toujours fin analyste à la fois des société démocratiques et de la géopolitique internationale - les deux étant plus souvent liées qu'on l'imagine : "Soumis à une majorité fragile" (et il est vrai qu'unir par exemple les laïcs de Yesh Atid et les religieux orthodoxes tiendra de la quadrature du cercle), "Netanyahou se sentira plus faible ; or les dirigeants faibles se replient sur eux-mêmes, et n'ont pas le courage de bouger".


L'avenir seul nous dira ce que fera "Bibi 3" ; mais, déjà, il ne sera pas l'otage des extrémistes sur sa droite, et c'était inespéré !


Jean Corcos