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22 janvier 2013

Une présentation du M.N.L.A touareg.

Mossa Ag Attaher, porte-parole du M.N.L.A


Introduction :


Mes amis de Primo Info avaient pris contact, dès l'année dernière, avec le Mouvement National de Libération de l'Azawad, organisation touareg non djihadiste revendiquant l'indépendance de la partie nord du Mali. Ceux-là ont été balayés par d'autres touaregs, islamistes ceux-là (la milice Ansar Dine, elle-même épaulée par les djihadistes de toutes nationalités combattant dans l'AQMI) Complexe situation ... les moins islamistes des rebelles se retrouvent quand même en opposition frontale avec la France, qui défend avec les états africains le principe de l'intangibilité des frontières issues de l'ancien ordre colonial. Quant aux Touaregs, bien que constituant un même peuple, ils apparaissent bien divisés selon les pays, voir cette interview.

Pour en savoir plus sur ces populations qui ont tant fasciné l'imaginaire occidental, une introduction ici.


J.C

Le MNLA (Mouvement National de Libération AZAWAD) a fait la Une de l'actualité lors des événements du Mali. Bien des choses ont été dites sur ce drame et les médias français se sont tordus les mains devant la prise de Tombouctou et la fuite éperdue de l'armée malienne. Mais tout n'est pas aussi simple.
Cet entretien a été mené par Josiane Sberro, Sophie Chauveau et Richard Rossin, pour Primo. Fidèle à sa vocation, Primo propose un autre éclairage. Il était important de comprendre ce qui se passe dans cette partie de l'Afrique, dans ce pays du Mali et connaître un peu mieux les protagonistes de cette affaire, dont le MNLA. Nous vous proposons cet entretien en deux parties.

Primo : Merci de nous accorder cet entretien. Tout d’abord, votre mouvement n’étant connu en France que par des raccourcis médiatiques, pouvez-vous vous présenter et nous dire quelle est votre fonction ?

Mossa Ag ATTAHER : Je suis le porte parole du MNLA de l’ancien Nord Mali. Cette appellation subsistera jusqu’à notre reconnaissance par l’ONU au nom du droit des peuples.

Primo : Pouvez vous nous expliquer le mouvement, son histoire et son combat ?

Mossa Ag Attaher : Le combat du MNLA ne date pas de janvier 2012. C’est un processus enclenché depuis 1960. Depuis l’indépendance du Mali.
Dès 1958 avant l’indépendance du Mali, l’ensemble des chefs Touareg ont adressé une lettre à la France.
En 1960, la France cède les territoires AZAWAD au Mali. Sur le plan de la sensibilité, le régime qui s’instaure avec Modibo Keita est entre PC et PS.
Les terres sur lesquelles les Touaregs nomades faisaient paître leurs troupeaux, leur sont retirées pour les redistribuer à des agriculteurs sédentaires maliens. Cette décision ne tient aucun compte des contraintes et traditions culturelles et éducatives des Touaregs. L’équilibre sociétal est ainsi rompu.

Primo : Il y a ensuite eu des événements dramatiques.

Mossa Ag ATTAHER : Tout à fait. En 1963, une révolte Touareg est bien vite écrasée par le pouvoir malien car les armes sont inégales. Sabres contre armement lourd. Les révoltés sont massacrés en public devant femmes et enfants ; les familles sont tenues d’applaudir au massacre des leurs.
Ce traumatisme ne s’effacera jamais. Les jeunes qui ont assisté à ce massacre ont pris en nombre les routes de l’exil vers l’Algérie et les camps militaires de la Libye de Kadhafi.
Leur passage dans les troupes libyennes leur permet d’acquérir la solide formation militaire qui leur a fait défaut en 63.Cette formation et participation se déroulent sous statut de soldats libyens et non de mercenaires.

Primo : affrontements, massacres mais aussi catastrophes naturelles.

Mossa Ag ATTAHER : Bien sûr. Tous les 10 ans. En 1963, 1973, 1983 : trois périodes d’une terrible sécheresse qui déciment les troupeaux. Les disettes de 1974 et 1984 ont par ailleurs augmenté l’émigration des jeunes.
En 1990, il y a une deuxième rébellion. Les jeunes rejoignent la Libye. Le Front unifié de l’AZAWAD concerne Tombouctou, Gao et Kidal.
Les consignes maliennes de répression sont terribles. Formation d’équipes d’élites de « Nettoyage » les Kocadiens. Les puits des pastoureaux sont empoisonnés. Les troupeaux sont décimés. Les troupes maliennes ont employé des moyens de guerre totale : avions et blindés contre les Touaregs.

Primo : Sur le plan politique, quelle a été l’évolution ?

Mossa Ag ATTAHER : En 1991, Traoré est évincé. En 1992 a lieu la signature du Pacte National. La paix est signée avec le concours de l’Algérie et de la France.
Les Touaregs seront intégrés à la Fonction Publique et à l’armée malienne. C’est du moins une promesse. En fait, les touaregs intégrés ne gravissent pas les échelons, ne bénéficient pas des formations et n'ont jamais de postes de commandement. Le pacte promet la décentralisation des pouvoirs, la création d’une route Transsaharienne reliant les trois régions du Nord. A ce jour, la route est toujours la piste des origines.
Bien que cautionnés par la France et l’Algérie, ces engagements n’ont pas été tenus. Tout juste quelques Touaregs enrôlés dans l’armée malienne. Les postes importants sont tous confiés à des Bambaras.
Aucun accès pour les Touaregs aux secrets, à la promotion. Ils sont même toujours et partout appelés « les rebelles ».

Primo : Quel a été le rôle de la France et de l’Algérie dans le suivi du déroulement des accords ?

Mossa Ag ATTAHER : Strictement aucun ! Rien, malgré les cris de détresse. De 92 à 97 en dépit du Pacte National, la milice des Kocadiens continue les massacres. En 1996 à Gao où vit la tribu la plus pacifique, le village est détruit, la population décimée.150 morts.
La tombe du plus grand Marabout Touareg à 150 km de Gao est détruite, et le Marabout jeté en fosse commune. Depuis l'indépendance du Mali, on compte près de 100 000 morts par les milices du gouvernement malien.

Primo : cet accord s’engageait pourtant dans la durée.

Mossa Ag ATTAHER : Bien entendu, mais de 1996 à 2004, aucune promesse n’a été tenue.
En 2006 ont eu lieu de nouvelles rébellions. Il y a eu un arrêt des massacres et une demande d’autonomie. C’est un soulèvement qui a touché tout le Nord (Kidal / Gao/ Tombouctou). Les Touaregs ne s’attaquent qu’aux symboles de l’Etat. Jamais aux civils.

Primo : existe-t-il une solidarité de clan entre les Touaregs du Mali et du Niger ?

Mossa Ag ATTAHER: Ce sont de simples soutiens informels. Par contre, il faut bien noter que les Touaregs du Mali n’ont aucun rapport avec les Sahraouis ou le Polisario, car eux ont déclaré une république arabe, ce qui n’entrait pas dans notre orientation.

Primo : Les Touaregs passés aux côtés de Kadhafi sont tout de même des mercenaires, c'est-à-dire d’une identité autre que celle du territoire défendu ?

Mossa Ag ATTAHER : Non, ils ne sont pas des mercenaires. Ils n’ont violé aucune identité propre ! N’ayant ni passeports ni carte d’identité au Mali, ils ont pris la nationalité libyenne.
Le Mali n’a jamais fait de nous des citoyens maliens. Sans papier ni droits civils, nous sommes en exil sur notre propre territoire !
2006 est l’année de la 3ème rébellion menée par Ibrahim Bahanga. Les accords d’Alger prévoient la démilitarisation du Nord et l’implication des Touaregs contre le narcotrafic et le terrorisme islamique qui traverse tout le territoire Touareg. Il nuit violemment à nos ressources touristiques et nomades. Mais cet accord n’a eu aucun résultat sur le terrain.
En 2010, tous les jeunes Touaregs se réunissent à Tombouctou pour lancer le MNA. Ce sont de jeunes Touaregs qui ont fait des études. Ils constituent un parti politique et rédigent un Cahier des Charges pour l’Etat malien. Mais l’Etat malien envahit la réunion et arrête les participants.

Primo : c’est à compter de ce jour que le MNA (Mouvement National de l’AZAWAD) devient MNLA (mouvement National de Libération de l’AZAWAD) ?

Mossa Ag ATTAHER : Ne pouvant mener la lutte sur le seul plan politique, le MNLA a deux instances, l’une politique qui oriente la lutte, l’autre militaire avec une base militaire créée dans les montagnes. Ce sont ces troupes qui ont procédé à l’attaque de la garnison de Ménaka, le 17 janvier 2012

Primo : Financés par qui ?

Mossa Ag ATTAHER : 99 % des Touaregs ont déserté l’armée malienne. Les soldats Touaregs ont quitté la Libye avec beaucoup d'armes et une excellente formation militaire. C’était indispensable, car notre mouvement n’est soutenu par aucun pays, ni aucune institution. Nourriture et carburant nous parviennent grâce à une mobilisation nouvelle de la diaspora Touareg.

Primo : Quelles sont vos relations avec les Touaregs d’Algérie ?

Mossa Ag ATTAHER : Nous, Touaregs du Mali n’avons aucune connexion avec les Touaregs du Hoggar ni ceux de Tamanrasset.
Ceux d’Algérie sont protégés et favorisés par le gouvernement algérien qui tient à son pétrole et à son gaz ; au niveau politique, ils sont à fond dans le système algérien.
De nombreux réfugiés de l’AZAWAD se sont sauvés vers leurs frères en Algérie, mais ils ont été mal reçus et mal traités.
Un Touareg qui se met au service d’un pays et ignore ou renie ses frères, n’a plus que le chèche du Touareg, car il accepte d’être à l’aise dans un système oppresseur sur le plan des identités. Le Touareg tient aux valeurs de solidarité et de sang de sa famille.


Josiane Sberro, Sophie Chauveau & Richard Rossin

© Primo Info , 16 mai 2012