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27 janvier 2013

Opération Serval: les Africains craignent un enlisement


Après avoir unanimement applaudi l'opération militaire française Serval au Nord-Mali, les réactions des Africains commencent à diverger en fonction des intérêts nationaux.

Avec l'arrivée, le 17 janvier 2013, d'un premier contingent de soldats togolais et nigérians, l'envoi de deux avions Transall par l'Allemagne, et, enfin, l'annonce d'un acheminement prochain de troupes et de matériels par les Etats-Unis, l'opération Serval s'internationalise.
Une internationalisation accrue par la prise d'otages dans une base gazière près d'In Amenas, en Algérie.
S'agissant du théâtre des opérations en lui-même, le site du quotidien burkinabè Le Pays pointe du doigt les atermoiements des responsables africains et la lenteur des contingents africains susceptibles de se déployer sur le terrain. 
«Attention à ne pas décevoir la France!», titre ainsi Le Pays, comme un avertissement aux troupes africaines qu’il soupçonne de ne pas réagir à temps.
«Les unités africaines, qui étaient du reste censées assurer le combat terrestre, tardent à se mettre en place», estime Le Pays.
Pour le quotidien burkinabè, le risque d’enlisement est grand: la France ne doit en aucun cas se retrouver seule au Nord-Mali. 
Une mise en garde qui reflète les questions qui commencent à fuser quant aux répercussions du conflit nord-malien dans d'autres pays africains, une semaine après le début de l’intervention française.

Les vexations de la Côte d'Ivoire

«Disons qu’il a été royalement ignoré par la France», s’exclame le quotidien ivoirien Le Temps, à propos du mécontentement du chef de l'Etat ivoirien Alassane Ouattara, président en exercice de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao), furieux de ne pas avoir été associé à la décision prise par la France d’intervenir au Mali, et qui désapprouve «la manière abrupte» dont l'offensive a été déclenchée. 
Pour Ouattara, rappelle le quotidien ivoirien, toute intervention dans le Nord-Mali aurait dû être précédée d’une éviction du chef de la junte, le capitaine Sanogo. Car, pour ce dernier, le «vrai combat, ce n’est pas la libération du Nord-Mali», avance Le Temps.
Bien qu’il ait convoqué plusieurs réunions sur le Mali, le président ivoirien n’a donc «jamais été aussi froid pour la libération du nord du Mali», ajoute encore le quotidien ivoirien, avant de conclure:
«On peut le dire, avec l’absence de l’ancien président [malien] Amadou Toumani Touré (ATT), l’omniprésence du capitaine Amadou Haya Sanogo qui semble tirer les marrons du feu, la libération du nord du Mali, si elle est réussie, bénéficierait à beaucoup d’entités actrices, sauf au chef de l’Etat ivoirien Alassane Ouattara.»

Vue du Bénin, la guerre au nord-Mali fait honte à l'Afrique

Au Bénin, l'heure n’est plus non plus aux cris de joie. «La guerre de la France qui fait honte à l’Afrique», titre La Nouvelle Tribune, qui critique l’attitude des journalistes africains, qui auraient trop vite dénoncé, selon le quotidien, l'attentisme des pays africains.
«Depuis le début de l’expédition de l’armée française contre les djihadistes du Nord-Mali baptisée ‘‘opération Serval’’, le sentiment dominant en Afrique et au Mali même est la joie, regrette ainsi le quotidien de Cotonou.
Et d'ajouter: «Aucune voix discordante, en dehors de celle de la Tunisie dont le ministre des Affaires étrangères, qui a estimé hier que cette guerre pouvait être menée par les seuls Africains.»
Pour La Nouvelle Tribune, l’intervention française n’augure rien de bon. Si elle permet au président français de redorer son image, elle fait, en revanche, passer les pays africains pour des acteurs de second rang.
«Il y a quelque chose d’humiliant pour nous autres Africains à voir une puissance occidentale, et de surcroît l’ancien colonisateur, venir faire la guerre à notre place, comme au temps de la colonisation et décider de comment cette guerre va être menée.»

Le lourd silence du Nigeria et du Maroc

Au Nigeria, c'est la situation sécuritaire à l'intérieur du pays qui semble davantage préoccuper les médias. Le pays fait face à des attaques répétées des islamistes de Boko Haram.
Pourtant, des troupes nigérianes sont déployées au Nord-Mali depuis le 17 janvier. Un déploiement qui correspond, selon le Guardian du Nigeria, à la peur d'être confronté à une situation similaire à celle du Mali.
En témoignent ces propos du chef d’état-major de l’armée de l’air nigériane, Alex Barde, repris par The Guardian:
«Nous ferons ce que Goodluck Jonathan [le président du Nigeria] nous a demandé de faire. Il nous a dit d’y aller et d’aider le Mali à se débarrasser de ces djihadistes parce qu’il sait que si les islamistes réussissent leur coup au Mali, leur prochaine victime sera le Nigeria.»
Au Maroc, explique le site marocain Yabiladi, on attend avec anxiété l’envoi ou non de troupes vers le Mali, mais on se soucie davantage, tout comme au Nigeria, de la sécurité du pays.
«Le Maroc suit avec une attention particulière la guerre au Mali. Ses services de sûreté sont en état d’alerte en prévision à d'éventuelles attaques de groupes terroristes ayant des accointances avec les antennes locales d’al-Qaida qui contrôlent la grande partie du territoire de ce pays», rapporte Yabiladi.
Difficile de ne pas mettre en perspective les déclarations des autorités marocaines sur le renforcement de la sécurité dans la royaume avec la prise d’otages sur le site gazier d'In Amenas par un groupe lié à al-Qaida. 
S’ils se rendaient sur le théâtre des opérations au Mali, les soldats marocains devraient d'ailleurs être prêts à se battre contre des nationaux ayant rejoint les rangs des islamistes.
Yabiladi s’intéresse tout particulièrement à une lettre qui aurait été écrite par un ancien soldat marocain ayant rejoint les rangs d’Ansar Dine, et dans laquelle il serait demandé aux militaires marocains susceptibles d’être envoyés au Nord-Mali de «refuser les ordres de leur hiérarchie»

L'Afrique du Sud ne veut pas se disperser

L'Afrique du Sud, quant à elle, envisage le conflit au Mali sans perdre des yeux la Centrafrique, où elle a envoyé des troupes, et la République démocratique du Congo (RDC).
«Selon Jacob Zuma, après la chute du président libyen Mohammar Kadhafi, la situation politique de nombreux pays africains s’est aggravée, faisant allusion à la République démocratique du Congo, la Centrafrique et le Mali», explique Angola Press, qui commente la rencontre, le 16 janvier 2013, à Luanda, du président sud-africain et du chef de l'Etat angolais José Eduardo Dos Santos.
«Pour le président sud-africain, il semble qu’il y ait une tendance en Afrique à la formation de groupes armés se tournant contre leurs gouvernements et qui deviennent ensuite une rébellion», explique encore Angola Press. 
Ainsi donc, et si l'on s'en tient au site du Cape Times, l'attention en Afrique du Sud, semble plus tournée vers les contingents déjà déployés en Centrafrique.

Lou Garçon

Slate Afrique, 18 janvier 2013