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15 janvier 2013

La presse algérienne critique l'attitude "coloniale "de la France au Mali

Mirages 2000 français survolant le Mali


"Paris a mis tout le monde devant le fait accompli", commentait dimanche 13 janvier Hacen Ouali dans le quotidien algérien El Watan. Même "le gouvernement algérien qui, depuis le début du conflit de l'Azawad, s'est constamment dit opposé à une présence militaire occidentale au Malie, semble désormais avoirchangé son fusil d'épaule", poursuit Zine Cherfaoui, toujours dans El Watan. Largement soutenue sur la scène nationale comme internationale, l'intervention française au Mali, qui est entrée lundi dans son quatrième jour, fait grincerles dents de la presse algérienne - alors que le gouvernement algérien, initialement circonspect, soutient désormais l'intervention française.
"L'intervention militaire française au Mali a été baptisée du nom de code Serval. Pour ceux qui ne le savent pas, le serval est un petit félin africain qui a la particularité d'uriner trente fois par heure pour marquer son territoire. Justement..., débute, narquois, l'éditorial du quotidien Liberté. La France ainsi décidé de faire l'impasse sur les résolutions onusiennes pour partir en guerre contre le terrorisme au Sahel. Toute seule, comme le serval, elle n'a pas résisté à la tentation épidermique de revenir dans son ancien précarré pour montrer à tout le monde qu'elle est la seule qui connaît le mieux les intérêts des Maliens. Leurs anciens colonisés".

"LA RÉALITÉ DE LA FRANÇAFRIQUE"

L'interventionnisme français ravive, dans la presse algérienne, les mauvais souvenirs du colonialisme et de la Françafrique. En dépit de "conséquences terribles pour la sous-région, poursuit Liberté, François Hollande a démontré qu'il ne peut rien changer à la réalité de la Françafrique."  "Quand l'intérêt français est menacé en Afrique (Côte d'Ivoire, Rwanda, Tchad, Gabon, Centrafrique ...), Paris dégaine son costume de gendarme et envoie ses hélicoptères. Protéger les gisements d'uranium du Niger vaut tous les sacrifices de dépenses militaires même en pleine crise économique", poursuit l'éditorial.
Preuve d'une décision purement intéressée, estime le quotidien  L'Expression dans son éditorial, "la France est bien seule à faire le coup de feu au Mali". Aucune des grandes puissances occidentales ne semble prête à lui emboîter le pas. "Cet isolement de la France contredit l'argument de 'la légalité internationale' avancé par le président français pour justifier son intervention qui a, de toute évidence, été décidée dans la précipitation", poursuit L'Expression. Préserver les activités françaises dans le pays et pourquoi pas s'assurer une nouvelle base militaire dans le pays : voilà bien "la mouche qui a piqué Hollande".

AFFAIBLIR L'ALGÉRIE

"La France ne chercherait-elle pas à déstabiliser l'Algérie ?", osent certains commentateurs. Le Temps d'Algérie relaie une tribune signée par Laid Seraghni, un analyste qui intervient régulièrement sur les questions internationales et de géostratégie, dans Cameroonvoice"Derrière l'enjeu malien, la France coloniale cherche à punir l'Algérie", affirme ce spécialiste. "Cette crise n'est qu'une étape pour atteindre in fine l'Algérie, dont le Sud est cerné par l'armée française qui opère en Libye, en Côte d'Ivoire, au Niger, en Mauritanie, au Tchad et au Mali", prévient l'analyste, persuadé que "la France cherche par les armes à réaliser un rêve colonial". Pour lui, derrière le Mali, c'est donc bien l'Algérie qui est visée et "la préservation des intérêts de la France dans la région du Sahel".
Une position partagée par le professeur Ahmed Adimi , qui estime dans un entretien au quotidien Le Soir d'Algérie que "l'intervention militaire française au Mali est une des étapes d'un plan visant l'installation de forces étrangères dans la région du Sahel". Le politologue algérien Menas Mesbah va même plus loin, confiant au quotidien Le Temps d'Algérie, que "la France mène, au Mali, une guerre par procuration au profit des Etats-Unis d'Amérique, lui permettant également de défendre ses intérêts historiques". "C'est un nouveau jeu mondial dans lequel les USA confient des guerres à d'autres pays parmi ses alliés", ajoute-t-il.
Seul voix discordante à questionner la position des autorités algériennes, Ferhat Aït Ali s'interroge, dans Le Matin, sur une stratégie qui n'a jamais semblé "ni claire ni cohérente". Jusqu'à soulever quelques doutes sur "les déclarations contradictoires au gré des évènements, les accointances plutôt anti-maliennes et en même temps anti-azawadienne avec les narco-islamistes d'Ansar Eddine alliés effectifs et objectifs d'AQMI dans cette région, [qui] rendaient cette position plus que suspecte aux yeux des voisins et du reste du monde". Et si la position algérienne ne visait seulement, par "tous les stratagèmes", qu'à "saborder les prétentions autonomistes des Touareg de l'Azawad de l'intérieur même de cette communauté", interroge-t-il.

L'ALGÉRIE ENTRAÎNÉE DANS LA GUERRE ?

Quels que soient les intérêts en jeu, "l'intervention militaire en cours n'est pas et ne pourra être la panacée à la crise malienne comme le prétendent les partisans maliens et étrangers de la solution militaire", analyse Kharroubi Habib dans le Quotidien d'Oran. "Au vu de l'étendue et de la configuration du terrain d'opérations, il ne faut pas en attendre l'éradication totale et définitive de ces groupes armés, d'autant que le tout militaire qui l'inspire ne s'embarrasse nullement de répondre favorablement aux revendications légitimes des populations du nord du Mali et que partagent une grande partie des éléments enrôlés dans les groupes armés qui sévissent dans cette région du Mali", poursuit-il, prédisant "l'enlisement dans la guerre" et "la pérennisation de l'état d'insécurité".
Or, le "bourbier" qui s'annonce pour la France au Mali, poursuit le politologue, aura des répercussions sur l'Algérie, qui "est tenue de sécuriser ses frontières et renforcer ses forces au niveau des frontières. Ce qui alourdira sa tâche et exigera de l'Algérie énormément de moyens et, donc, de dépenses". Il n'envisage toutefois pas d'intervention militaire de son pays, à la différence de Laid Seraghni qui l'estime indispensable pour protéger les frontières et les populations. "(...) Les frontières [de l'Algérie] sont si grandes que l'Etat ne peut contrer les infiltrations des groupes terroristes d'Al-Qaida et l'afflux des populations à la recherche d'un refuge sur son territoire."
L'Amenokal du Hoggar, chef traditionnel des Touareg algériens, prédit ainsi que cette "guerre déclarée à nos portes engendrera le chaos" et aura de "graves répercussions" sur toutes les villes du sud de l'Algérie, dans El Watan. Comme en témoigne déjà, selon lui, l'arrivée de nombreux réfugiés.

Hélène Sallon,
Le Monde, 14 janvier 2013