Rechercher dans ce blog

23 janvier 2013

Le Qatar a-t-il des intérêts au Mali ?



Selon divers experts français, il existe plusieurs faisceaux d'indices qui laissent supposer un lien entre le Qatar et les groupes islamistes armés installés au Nord-Mali. Revue de détails. 
Depuis la prise de contrôle du Nord-Mali par trois mouvements djihadistes en juin 2012, les accusations se multiplient autour d'un potentiel soutien du Qatar à ces groupes armés. Dernière en date : la semaine dernière, la présidente du Front national, Marine Le Pen, et la sénatrice communiste Michelle Demessine ont, chacune de leur côté, dénoncé le soutien financier de Doha apporté aux forces islamistes.
"Si le Qatar ne veut pas que la France s'engage au Mali, c'est parce qu'elle vise à y déloger les éléments les plus fondamentalistes alliés de l'émirat partout dans le monde", s'est notamment indignée Marine Le Pen. Quelques jours plus tôt, le Premier ministre de l'émirat, le cheikh Hamad ben Jassem al-Thani, a estimé que le recours à la force ne règlerait pas le problème et a appellé au dialogue.
Mais qu'en est-il exactement de ces incriminations ? Pour l'heure, plusieurs observateurs s’interrogent sur d'éventuels liens sans avoir encore trouvé de réponse définitive. "Même s’il n’existe aucune preuve formelle concernant une possible connexion entre Doha et ces groupes djihadistes, des faisceaux d’indices laissent fortement germer le doute", reconnaît André Bourgeot, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et spécialiste du Mali.
À l’origine de ces doutes, un article du Canard enchaîné, datant du 6 juin dernier, intitulé : "'Notre ami du Qatar' finance les islamistes du Mali". Le journal d’investigation rapportait que l’émir du Qatar avait livré une aide financière aux mouvements armés qui ont pris le contrôle du nord du Mali. Il citait une source au sein de la Direction du renseignement militaire français (DRM) selon laquelle "les insurgés du MNLA (Mouvement national de libération de l'Azawad, indépendantiste et laïc, NDLR), les mouvements Ansar Dine (proche d’Al-Qaïda au Maghreb islamique) et Mujao (Mouvement pour l'unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest) [avaient] reçu une aide en dollars du Qatar". Si l’hebdomadaire ne précisait pas les montants de cette aide ni le mode d’attribution, il avançait néanmoins que les autorités françaises étaient informées des agissements des Qataris dans le nord du Mali.
Un mois plus tard, c’est Sadou Diallo, le maire de Gao, ville située dans le nord du pays, qui accusait le Qatar de soutenir les islamistes basés dans la zone. "Le gouvernement français sait qui soutient les terroristes. Il y a le Qatar, par exemple, qui envoie soi-disant des aides, des vivres tous les jours sur les aéroports de Gao, Tombouctou, etc", déclarait-il sur l’antenne de la radio française RTL.

Polémique autour de l’aide humanitaire qatarie

L’été dernier, la présence d’au moins quatre membres de l’organisation humanitaire du Croissant rouge qatari a alimenté ces soupçons. Les rebelles touareg du MNLA estimaient alors que le déploiement de cette ONG à Gao - la seule autorisée par les djihadistes à entrer au Nord-Mali - était la preuve du soutien de l’émirat aux combattants islamistes. Un membre du MNLA, interrogé par l’AFP sous couvert d’anonymat, indiquait fin juin que les humanitaires qataris, dont la sécurité était assurée par des membres du Mujao, étaient principalement là pour distribuer des biens, comme de l’huile, du sucre, du riz et du thé. Un moyen pour Doha, selon lui, "d’aider le Mujao à se rapprocher de la population".
L'émirat a, lui, officiellement démenti un tel engagement au Nord-Mali. Sur le terrain, l’un des quatre membres du Croissant rouge qatari s’est aussi défendu en affirmant, le 25 juin à l’AFP, être "venu à Gao pour évaluer les besoins de la population en terme de soins, d’eau et d’électricité". À l'automne, les services de renseignements français ont assuré, à l’issue d’une enquête de terrain, que le Qatar n’avait pas envoyé d’agents sous couverture humanitaire auprès des islamistes.

"Doha joue un rôle partout où il y a des mouvements islamistes"

Pas de preuves, donc. Pour autant, Éric Denécé, directeur du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R), reste persuadé que "Doha joue un rôle partout où il y a des mouvements islamistes. Tout comme c’était le cas en Libye et que c’est le cas en Syrie." Le Qatar a, en effet, reconnu joué un rôle dans ces pays auprès des islamistes : Le chef d'état-major du Qatar, le général Hamad ben Ali al-Attiya, a notamment indiqué que des centaines de soldats qataris ont participé aux opérations militaires en Libye aux côtés des ex-rebelles. De même, les autorités qataries ont pris fait et cause pour la révolte syrienne depuis l’été 2011.
De son côté, le géographe Mehdi Lazar, a estimé, dans une tribune publiée par l’Express le 4 décembre dernier, que le lien entre le Mali et le Qatar ne date pas d’aujourd’hui. Doha "dispose déjà d’un réseau de financement de divers madrasas, écoles religieuses ou œuvres caritatives qui datent des années 1980 et 1990 au Mali", précise-t-il. 
Une présence qui se justifie par des intérêts économiques, selon lui. "Le Mali dispose d'un potentiel gazier et a besoin d'infrastructures pour le développer. Or, le Qatar maîtrise ces techniques. Il pourrait ainsi, en cas de bons rapports avec les dirigeants d'un État islamique au nord du Mali, exploiter le sous-sol qui est riche en or et en uranium et le potentiel gazier et pétrolier ", explique Mehdi Lazar.

Médiateur dans les négociations futures ?

La politique étrangère qatarie reste aussi motivée par une forme d’idéologie islamiste sunnite, ajoute le géographe. "Ce serait, pour l'émirat, un moyen simple mais risqué d'augmenter grandement son influence en Afrique de l'Ouest et dans la bande sahélienne", explique-t-il. "Comme en Syrie, la présence de l'émirat au Mali - si elle s'avère réelle - doit être resituée dans le contexte d'une concurrence double : d'abord avec l'Arabie saoudite pour le contrôle de l'islam sunnite mondial, mais également afin de renforcer le poids de ce même islam sunnite face au chiisme". Et de poursuivre : "Il continue ainsi l'action entreprise en Égypte, en Libye et en Tunisie".
Toutefois, le géographe ne pense pas que le Qatar soit impliqué dans le conflit au Mali. Il lui prêterait plutôt un rôle de médiateur dans d'éventuelles négociations futures entre le gouvernement malien, la Cédéao, les différents groupes rebelles du Nord, l'Algérie et la France.

Ségolène Allemandou
Site de France 24, le 21 janvier 2013