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17 janvier 2013

Cinq parallèles entre le Mali et l'Afghanistan

Combattants d'Ansar Dine au Mali (cliché AFP)

Introduction :

Cet article a été publié environ un mois et demi avant la guerre qui vient de commencer : mais j'ai choisi de le publier maintenant, car il donne vraiment du recul pour évaluer les enjeux idéologiques, militaires et géopolitiques de l'engagement occidental qui vient de commencer, en miroir avec la guerre qui n'en finit pas en Afghanistan.

J.C 

Le chroniqueur algérien Chawki Amari dresse un tableau des ressemblances entre les situations au Mali et en Afghanistan. Par définition en géométrie euclidienne, des droites parallèles ne se croisent jamais. Sauf par courbure de l'espace-temps, avec l'intervention des puissances internationales.
  • L'islamisme
Force morale et militaire, l'islamisme n'est plus à présenter. Mélange de religion, de tribalisme, de guerre et d'infiltration de tous les services secrets du monde, le djihadisme, courant radical du radicalisme islamiste, a encore le vent en poupe, alimenté par l'impasse démocratique et l'injustice des puissances mondiales.
Si l'islamisme, matrice idéologique du djihadisme, est plus ou moins financé par des Etats riches et conservateurs comme l'Arabie Saoudite ou le Qatar, son excroissance s'autofinance dans une large mesure grâce aux prises d'otages, razzias et prélèvements forcés d'impôts islamiques, commerce de drogue et contrebande transfrontalière.
Pour asseoir un ordre moral paramilitaire et comme l'on fait les Talibans avec les Bouddhas du Bâmiyân, les islamistes ont commencé leur carrière au Nord Mali en détruisant des marabouts, symboles «païens» d'un islam traditionnel du culte des Saints. La méthode est signée, il s'agit du wahhabisme saoudien, purisme archaïque des origines qui vise à délaisser tous les symboles d'adoration à d'autres qu'à Dieu, y compris la tombe du Prophète Mohamed lui-même, abandonnée (en Arabie Saoudite) pour éviter qu'on aime l'homme plus que son message.
Moteur de la résistance, fourre-tout d'illuminés et de paramilitaires, c'est encore une fois l'islamisme qui va jouer dans l'intervention étrangère, étendard de ralliement. D'autant que contrairement au sexe ou à la religion, l'islamisme ne fait pas de distinction de race ou d'appartenance ethnique. Touaregs, Noirs ou Blancs, Songhaïs, Peuls, Berabiches, Reguibats, Toubous ou Arabes sont les bienvenus, pourvu qu'ils aient une arme (voire un arsenal) et une dent (voire un dentier) contre l'Occident. Une auberge espagnole, sans alcool et sans Espagne.
  • L'afflux des combattants étrangers
Ils étaient déjà présents avec l'arrivée des groupes de Aqmi (Al-Qaïda au Maghreb Islamique) dans les régions Sahélo-sahariennes et ont profité de la démission de l'État malien et de l'offensive des Touaregs du MNLA (indépendantistes) pour s'installer entre la boucle du fleuve Niger au Sud, le Niger à l'Est, la Mauritanie à l'Ouest et l'Algérie au Nord, pour y consolider leurs bases.
Mais depuis l'imminence de l'intervention internationale, les services secrets, qui observent en permanence la région, ont pu noter l'arrivée d'une nouvelle vague de combattants djihadistes: mauritaniens, nigériens ou algériens, mais aussi soudanais, yéménites ou saoudiens, et même nigérians de la secte Boko Haram, venus en renfort pour l'un des combats finaux entre Dieu et le Diable, même si dans certaines régions, ils semblent se faire tout petit en prévision de l'attaque.
Reste à définir le rôle à jouer de tous ces groupes qui évoluent dans ces zones grises : groupes du crime organisé, spécialisés dans la vente d’armes, le trafic de drogue ou la traite humaine, connectés aux groupes djihadistes, mais pas forcément avec l'envie de se battre contre le reste du monde. Dans tous les cas, c'est une Internationale, fixée pour combattre l'autre Internationale, dans un combat à l'air de déjà-vu, entre les forces du bien et du mal.
  • L'absence d'État
Comme en Afghanistan ou en Somalie, l'islamisme se greffe sur des zones désertées par l'État, par un processus de maturation en plusieurs phases, dont la première est de se relier, de s'allier et d'épauler les groupes du crime organisé ou de revendication politique déjà présents dans la région, puis de les ramener à eux en leur prêtant aide militaire, protection et assise internationale.
Mais en l'absence d'État et de règles claires, les groupes deviennent souvent rivaux. Comme en Afghanistan d'ailleurs, les forces étrangères partie prenante de l'intervention, vont s'appuyer sur le MNLA (Touaregs laïcs indépendantistes). La question du rôle de Ansar Dine (Touaregs islamistes, opposés à l'indépendance de l'Azawad), n'est pas encore définie, celui-ci préférant prendre ses distances avec le MNLA et Al-Qaïda, mais sans  condamner ni l'un ni l'autre, pour des raisons de survie.
Mais comme en Afghanistan encore, les liens tribaux vont jouer. Une partie des djihadistes pourra trouver refuge dans les pays voisins, au Niger, Mauritanie, Algérie, Libye et Tchad, où les États centraux ont du mal à intervenir dans leurs zones tribales, à l'image du Waziristan pakistanais, où Ben Laden vivait comme un panda protégé avant de finir comme un poisson sous l'eau.
  • Le relief
Contrairement à ce que l'on pense, le Nord du Mali n'est pas un désert plat où le moindre mouvement peut se détecter à partir de satellites ou de drones. En réalité, au-delà des grandes plaines sableuses au Nord du fleuve Niger, la région est un ensemble de montagnes, avec comme en Afghanistan, d'innombrables grottes (comme à Bouressa ou Okawan, marché d'achat d'armes) et de plateaux, regs caillouteux, mines de sels labyrinthiques (Taoudeni), collines (Tigharghar), vallées arides (Tilemsi) ou touffues (aux abords de l'Adrar des Ifoghas) ou de villes serrées comme Tombouctou et Gao, où il est relativement aisé de survivre caché.
De fait, et comme en Afghanistan, les bombardements aériens et les avancées au sol vont être compliquées par un terrain difficile que seuls les Touaregs connaissent bien. Si les djihadistes se préparent déjà, le MNLA (indépendantistes touaregs du Nord) va probablement jouer le rôle de l'Alliance du Nord afghane, et épauler, voire jouer les éclaireurs dans cette guerre contre Al-Qaïda et les mouvements djihadistes affiliés.
Les affrontements entre le MNLA et le Mujao (Mouvement pour l'unicité et le djihad en Afrique) ont d'ailleurs déjà commencé, rendus difficiles par l'immensité du territoire. En effet, on estime à deux millions de kilomètres carrés, soit quatre fois la surface de la France, la zone où se déroulera l'intervention des forces alliées.
  • L'armement
En plus de l'armement malien abandonné par l'armée au Nord (les 3/4 selon les experts), pendant les premières offensives du MNLA, les islamistes sont lourdement armés, présents sur le marché international dérégulé des armes grâce aux fonds essentiellement récupérés dans les prises d'otages (de un à 10 millions d'euros par tête) et le trafic de drogue (40% des drogues dures en provenance d'Amérique du Sud transitent par le Sahel pour arriver en Europe).
Mais depuis le démantèlement de l'armée libyenne, d'autres armes sont arrivées dans le Nord Mali. Contrairement au Niger, où les Touaregs kadhafistes n'ont pas pu rapatrier leurs armes, les Touaregs maliens qui opéraient dans les armées libyennes ont pu faire entrer leurs cargaisons en rejoignant le Mali. Si ces combattants démobilisés n'ont pas tous rejoint les troupes de l'AQMI, du Mujao ou de Ansar Dine, un nombre d'entre eux ont revendu leurs armes aux mouvements islamistes, la région étant complètement abandonnée, en proie au chômage et à l'inactivité.
Après une phase de nomadisme dans les régions sahélo-sahariennes, c'est dans cette région entre le massif de l'Ifoghas et les frontières des États voisins que les islamistes se sont constitués des bases et ont caché un stock impressionnant d'armes de tous types, lance-grenades, mitrailleuses avec visée anti-aérienne, fusils automatiques (près de 80.000 kalachnikovs sont disséminés dans le Sahel), munitions, grenades, explosifs (Semtex), ainsi que l’artillerie légère anti-aérienne montée sur véhicule (calibre légers bitubes), selon le rapport de l'ONU de 2012.
Ce sont ces dernières armes, canons aériens et antichars (RPG 7), missiles MILAN (livrés par la France à Kadhafi) et les soviétiques Strela-2 et SA-7 Grail, des lance-roquettes très légers qui peuvent atteindre des appareils volants à 1.500 mètres, qui font peur à tout le monde. Comme en Afghanistan, où les missiles américains Stinger avaient été distribués par l'armée US pour combattre l'Union soviétique, les redoutables missiles sol-air russes sont un véritable danger pour tout avion ou hélicoptère circulant dans la région.
L'utilisation de drones sera le principal atout des armées étrangères, avant une éventuelle intervention au sol, avec un coût déjà estimé à un milliard de dollars pour une année. On estime à 2.000 au jour d'aujourd'hui l'effectif des djihadistes, contre 3.300 pour l'instant, celui des armées étrangères. Si dans le désert, des parallèles peuvent se croiser, les dommages collatéraux sont imprévisibles. La géométrie et la théorie des chocs n'y sont pas une science exacte.

Chawki Amari
Slate Afrique, 29 novembre 2012