Thérèse Delpech
J'ai appris la disparition de Thérèse Delpech de façon fortuite, en consultant les actualités sur ma page d'accueil de Facebook : c'est la journaliste Caroline Fourest qui l'a annoncé, et elle disait :
"Je n'ai rencontré Thérèse Delpech que récemment et trop brièvement. Mais j'ai été frappée par son intelligence, loin, très loin, du portrait brossé par des imbéciles envieux, qui ont tenté de la caricaturer en "néo-cons". Elle était tout simplement une adversaire sincère des dictateurs. Ce qui lui a valu beaucoup d'ennemis parmi leurs valets. Avec elle, nous perdons une lanceuse d'alerte précieuse."
Cet éloge, venant d'une personnalité intellectuelle de gauche, pour une chercheuse que le "politiquement correct" classait nettement à droite - et son soutien à l'intervention américaine en Irak en 2003 lui avait fait de nombreux ennemis - est déjà remarquable. Mais je me permets d'ajouter quelques souvenirs et réflexions personnelles sur cette ancienne invitée de "Rencontre" (émission du 8 avril 2007) ...
Sentiment de tristesse, bien sûr et d'abord devant cette disparition brutale d'une personnalité brillante partie si jeune - elle n'avait même pas 63 ans - après avoir joué un rôle si important, à la fois sur le terrain de la politique internationale et sur celui des idées. Ancienne élève de l’École Normale Supérieure, professeur agrégée de philosophie, chercheur associé au Centre d’Études et de Recherches Internationales (CERI, FNSP) et membre du conseil de l’Institut international d'études stratégiques (IISS), elle aura connu une carrière tout à fait atypique, en devenant un temps Directeur des Affaires Stratégiques au Commissariat à l’Énergie Atomique. Les questions de la prolifération nucléaire et des armes de destruction massive aux mains des "états voyous" sont devenues sa spécialité, et c'est ainsi qu'elle représenta la France auprès de la Commission de l'ONU présidée par Hans Blix entre 2000 et 2003, et qui supervisait le désarmement de l'Irak. Plus tard, c'est la course de l'Iran vers l'arme nucléaire qui mobilisa toute son attention, et j'avais dévoré son livre "L'Iran, la bombe et la démission des nations" : ce fut bien sûr le thème de mon interview, une interview dont je me souviens combien elle fut difficile à obtenir, un expert international étant sans arrêt en déplacement et les rendez-vous d'autant plus difficiles à prendre ... finalement, donc, nous nous sommes entretenus par téléphone et je ne l'aurais même pas rencontrée !
On peut accéder à cette interview par le podcast directement posté sur mon blog, c'est :
J'écrivais que cette philosophe devenue stratège s'était aussi battue sur le terrain des idées : il n'est que de lire la liste de ses ouvrages, publiés en rafale surtout à la fin de sa vie, et que l'on peut découvrir sur Wikipedia. Parmi eux, deux livres que je n'ai pas lus mais dont les titres révèlent toute l'angoisse de cette intellectuelle humaniste "à l'ancienne", devant le "nouveau monde" si menaçant et que beaucoup de nos jeunes éditorialistes banalisent à souhait :"L'Ensauvagement : essai sur le retour de la barbarie au XXIe siècle" ; "L’appel de l’ombre. Puissance de l’irrationnel".
Cette menace de la sauvagerie et de l'irrationnel combinés, ai-je besoin de préciser ici combien elle réalisait qu'Israël en serait une cible direct ? Elle l'a dit et écrit souvent, même si - et c'était aussi la preuve de son esprit de nuance - elle savait aussi critiquer certaines maladresses de ses derniers dirigeants.
Cette menace de la sauvagerie et de l'irrationnel combinés, ai-je besoin de préciser ici combien elle réalisait qu'Israël en serait une cible direct ? Elle l'a dit et écrit souvent, même si - et c'était aussi la preuve de son esprit de nuance - elle savait aussi critiquer certaines maladresses de ses derniers dirigeants.
Thérèse Delpech, c'était aussi pour moi une des voix de référence pour ce qui concernait la géopolitique, et que je retrouvais souvent dans une de mes émissions cultes, "La rumeur du Monde" de Jean-Marie Colombani, sur France Culture les samedi midi. Elle n'avait jamais caché son angoisse sur l'affaire iranienne, et hélas elle ne sera plus là pour commenter des développements qui risquent d'être dramatiques.
J'évoquais au début l'hommage inattendu d'une journaliste de gauche, je finirais pas celui d'un autre journaliste de la même sensibilité et expert, lui, des questions de défense nationale : Jean-Dominique Merchet, passé de "Libération" à "Marianne", lui a consacré un petit article remarquable à la fois d'information et d'admiration discrète : on le lira avec intérêt à cette adresse.
Jean Corcos
Jean Corcos