Introduction :
Rassurez-vous, je vais vous épargner la publication intégrale de ce « papier » qui sera publié, normalement, dans les actes du colloque ... Juste quelques extraits, et un petit rappel en guise d’introduction. Mon exposé portait sur la série radiophonique « Rencontre », cette production originale dédiée à la connaissance du Monde musulman sur la fréquence juive de Paris, mi-enquête à la France Culture, mi-passerelle ayant permis de maintenir sur les ondes des espaces de dialogue. Je publie donc ici le début de mon intervention, où j’ai évoqué mon émotion de revenir là-bas, et la fin, où j’ai cité tous les invités tunisiens reçus au fil des années à mon émission, ainsi que mon admiration - sincère - pour l’ouverture d’esprit des Tunisiens. Bonne lecture !
J.C
« Monsieur le Président, Monsieur le Professeur Fantar, Mesdames, Messieurs,
Avant de vous lire cette rapide présentation de la série radiophonique que j’ai l’honneur de produire sur les ondes de la bande FM, à Paris, je voudrais vous faire part de ma reconnaissance pour l’invitation de la Chaire Ben Ali, et de mon émotion particulière d’être ici parmi vous.
Reconnaissance, car je me sens un peu gêné de prendre la parole dans cette assemblée, où sont venus d’éminents experts en matière de sociologie, d’histoire des religions ou de philosophie. Expert je ne le suis pas, mon seul domaine d’expertise étant purement technologique et correspondant à ma formation et à mon travail d’ingénieur. Mais homme de bonne volonté, je pense l’être un petit peu, ayant œuvré de façon bénévole dans ma communauté depuis une trentaine d’années, et plus particulièrement, donc, comme journaliste producteur d’une émission de la radio « Judaïques FM », émission qui essaie, au-delà de l’actualité brûlante ou des préjugés, de faire mieux connaître le monde musulman. Ce fut donc un vrai plaisir que de pouvoir entendre ici plusieurs participants venus de nombreux pays, je le ressens en tout cas avec le même bonheur que celui que j’éprouve en recevant, à notre radio d’éminents hommes de foi, historiens, écrivains, journalistes, personnalités de la vie politique ou de la société civile.
Reconnaissance donc, mais avant tout émotion : en venant en Tunisie pour quelques jours, j’ai tout à fait l’impression de « revenir à la maison » : je suis en effet natif de ce beau pays, et vous savez combien les années n’effacent pas les premières émotions de l’enfance, lorsque l’on découvre la vie à travers un ciel, des paysages, des odeurs, une atmosphère que l’on n’oublie jamais. Né dans une vieille famille judéo tunisienne, j’y ai vécu jusqu’au baccalauréat préparé au Lycée Carnot de Tunis, et après avoir expérimenté - mais sans le deviner - ce qui constitue le bel idéal de la chaire Ben Ali : le dialogue des civilisations et des religions était une réalité dans la ville cosmopolite où j’ai grandi, où les enfants musulmans, juifs et chrétiens venaient recevoir en partage à la fois la culture française et un savoir vivre ensemble exceptionnel. Deux clins d’œil, à ce sujet : ma première émission le 15 mai 1997 - nous fêtons donc ce mois-ci nos dix ans - avait pour invité le président et la trésorière de l’Association des Anciens Élèves du lycée Carnot de Tunis, un juif et une musulmane ; et j’ai consacré il y a trois ans une émission à un livre magnifique, « Les lycées français du Soleil », où sont racontés les souvenirs des anciens élèves ou professeurs illustres d’Algérie, du Maroc ou de Tunisie : combien leur témoignage est précieux, et combien on aimerait voir prise en exemple cette émulation, cette sélection par le haut, alors que les écoles françaises n’arrivent plus à intégrer à la République de trop nombreux jeunes issus de l’immigration, en particulier maghrébine !
(...)
Je parle donc de pays un peu lointains, mais je m’aperçois que j’ai évoqué aussi la Tunisie, ce pays qui n’est pas pour moi, dans le fond, «à l’Étranger » comme je vous le disais en introduction. Il m’est vraiment agréable d’évoquer ici les personnalités nées ici et avec qui j’ai eu l’honneur de dialoguer : le brillant Abdelwahab Meddeb, auteur d’un ouvrage de référence, « l’islamisme, la maladie de l’islam » ; le très grand Albert Memmi, qui a tellement réfléchi sur les relations entre Juifs et Arabes et rêvé de les voir plus apaisées ; le philosophe Mohamed Talbi, doyen de l’université de Tunis ; le député Pierre Lellouche ; des représentants, donc, des anciens élèves du Lycée Carnot ou de l’association « Arts et traditions populaires des Juifs de Tunisie » ; et puis bien sûr, bien sûr, je voudrais lui rendre hommage ici, mon ami Mezri Haddad, philosophe et théologien rigoureux qui s’est engagé, avec beaucoup de courage à mon micro et si souvent par écrit, contre la barbarie obscurantiste. Mezri a déjà été trois fois mon invité ! Et enfin, je ne voudrais pas oublier plusieurs universitaires tunisiens de la Faculté de Tunis Manouba, le professeur Kazdaghli, le professeur Chater, qui travaillent dans le cadre de la « Société d’Histoire des juifs de Tunisie », une magnifique société savante laïque et internationale qui étudie les archives de ma communauté, cette communauté dispersée mais encore tellement vivante par sa mémoire. Un de mes plus grands bonheurs aura été de réaliser en commun avec la radio « Beur FM », deux émissions à propos d’un colloque de cette société tenu à La Sorbonne il y a deux ans.
Monsieur le Professeur Fantar, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, arrive donc la fin de cette présentation et je la finis par la Tunisie évoquée en introduction. Voyez-vous, j’ai été amené à lire des dizaines d’ouvrages dont il a été question dans mon émission qui tient plus, vous l’avez compris, de France Culture que de France Info comme référence radiophonique. Et au bout donc de dizaines de livres et de centaines d’articles lus je me suis demandé : « pourquoi ? » Pourquoi la Tunisie a-t-elle eu la chance d’éviter les soubresauts qui ont ravagé des pays voisins ? Pourquoi la Tunisie conserve-t-elle, même si elle est bien amoindrie, une minorité juive qui est rejointe en ce mois de pèlerinage par des milliers d’originaires, qui viennent et reviennent à la « Ghriba » de Djerba ? Pourquoi, alors qu’ailleurs, une partie du passé est occultée, ici des universitaires ont le grand mérite d’étudier d’autres religions ou de s’intéresser au passé des minorités ? Les historiens qui ont étudié le grand naufrage moral de la nation allemande après la première guerre mondiale, ce naufrage qui a produit le nazisme, provoqué une autre guerre et permis la Shoah, ont décrit presque tous un vertige identitaire, un doute mortifère lorsque rien de solide ne paraissait résister à la défaite, et à la crise économique. Lorsque l’on n’est pas sûr de soi et de sa valeur, la haine de « l’autre », vécu comme un miroir insupportable de son propre échec, apparaît comme le seul exutoire. En contraste, l’unité nationale jamais démentie de la Tunisie, la profondeur des racines de ce petit pays qui a su assimiler ses envahisseurs sans jamais perdre son âme, ses succès économiques qui doivent tant à des choix intelligents faits dès l’Indépendance, tous ces atouts lui permettent d’aborder sans crainte une mondialisation tranquille. La main tendue de la Tunisie, vers les Juifs comme vers les Chrétiens, témoigne de sa confiance en elle-même, et en fait, sans nul doute, un acteur qualifié pour parler du « dialogue des religions et des civilisations », sans doutes le plus grand défi pour le siècle qui commence.
Je vous remercie. »
Jean Corcos
Rassurez-vous, je vais vous épargner la publication intégrale de ce « papier » qui sera publié, normalement, dans les actes du colloque ... Juste quelques extraits, et un petit rappel en guise d’introduction. Mon exposé portait sur la série radiophonique « Rencontre », cette production originale dédiée à la connaissance du Monde musulman sur la fréquence juive de Paris, mi-enquête à la France Culture, mi-passerelle ayant permis de maintenir sur les ondes des espaces de dialogue. Je publie donc ici le début de mon intervention, où j’ai évoqué mon émotion de revenir là-bas, et la fin, où j’ai cité tous les invités tunisiens reçus au fil des années à mon émission, ainsi que mon admiration - sincère - pour l’ouverture d’esprit des Tunisiens. Bonne lecture !
J.C
« Monsieur le Président, Monsieur le Professeur Fantar, Mesdames, Messieurs,
Avant de vous lire cette rapide présentation de la série radiophonique que j’ai l’honneur de produire sur les ondes de la bande FM, à Paris, je voudrais vous faire part de ma reconnaissance pour l’invitation de la Chaire Ben Ali, et de mon émotion particulière d’être ici parmi vous.
Reconnaissance, car je me sens un peu gêné de prendre la parole dans cette assemblée, où sont venus d’éminents experts en matière de sociologie, d’histoire des religions ou de philosophie. Expert je ne le suis pas, mon seul domaine d’expertise étant purement technologique et correspondant à ma formation et à mon travail d’ingénieur. Mais homme de bonne volonté, je pense l’être un petit peu, ayant œuvré de façon bénévole dans ma communauté depuis une trentaine d’années, et plus particulièrement, donc, comme journaliste producteur d’une émission de la radio « Judaïques FM », émission qui essaie, au-delà de l’actualité brûlante ou des préjugés, de faire mieux connaître le monde musulman. Ce fut donc un vrai plaisir que de pouvoir entendre ici plusieurs participants venus de nombreux pays, je le ressens en tout cas avec le même bonheur que celui que j’éprouve en recevant, à notre radio d’éminents hommes de foi, historiens, écrivains, journalistes, personnalités de la vie politique ou de la société civile.
Reconnaissance donc, mais avant tout émotion : en venant en Tunisie pour quelques jours, j’ai tout à fait l’impression de « revenir à la maison » : je suis en effet natif de ce beau pays, et vous savez combien les années n’effacent pas les premières émotions de l’enfance, lorsque l’on découvre la vie à travers un ciel, des paysages, des odeurs, une atmosphère que l’on n’oublie jamais. Né dans une vieille famille judéo tunisienne, j’y ai vécu jusqu’au baccalauréat préparé au Lycée Carnot de Tunis, et après avoir expérimenté - mais sans le deviner - ce qui constitue le bel idéal de la chaire Ben Ali : le dialogue des civilisations et des religions était une réalité dans la ville cosmopolite où j’ai grandi, où les enfants musulmans, juifs et chrétiens venaient recevoir en partage à la fois la culture française et un savoir vivre ensemble exceptionnel. Deux clins d’œil, à ce sujet : ma première émission le 15 mai 1997 - nous fêtons donc ce mois-ci nos dix ans - avait pour invité le président et la trésorière de l’Association des Anciens Élèves du lycée Carnot de Tunis, un juif et une musulmane ; et j’ai consacré il y a trois ans une émission à un livre magnifique, « Les lycées français du Soleil », où sont racontés les souvenirs des anciens élèves ou professeurs illustres d’Algérie, du Maroc ou de Tunisie : combien leur témoignage est précieux, et combien on aimerait voir prise en exemple cette émulation, cette sélection par le haut, alors que les écoles françaises n’arrivent plus à intégrer à la République de trop nombreux jeunes issus de l’immigration, en particulier maghrébine !
(...)
Je parle donc de pays un peu lointains, mais je m’aperçois que j’ai évoqué aussi la Tunisie, ce pays qui n’est pas pour moi, dans le fond, «à l’Étranger » comme je vous le disais en introduction. Il m’est vraiment agréable d’évoquer ici les personnalités nées ici et avec qui j’ai eu l’honneur de dialoguer : le brillant Abdelwahab Meddeb, auteur d’un ouvrage de référence, « l’islamisme, la maladie de l’islam » ; le très grand Albert Memmi, qui a tellement réfléchi sur les relations entre Juifs et Arabes et rêvé de les voir plus apaisées ; le philosophe Mohamed Talbi, doyen de l’université de Tunis ; le député Pierre Lellouche ; des représentants, donc, des anciens élèves du Lycée Carnot ou de l’association « Arts et traditions populaires des Juifs de Tunisie » ; et puis bien sûr, bien sûr, je voudrais lui rendre hommage ici, mon ami Mezri Haddad, philosophe et théologien rigoureux qui s’est engagé, avec beaucoup de courage à mon micro et si souvent par écrit, contre la barbarie obscurantiste. Mezri a déjà été trois fois mon invité ! Et enfin, je ne voudrais pas oublier plusieurs universitaires tunisiens de la Faculté de Tunis Manouba, le professeur Kazdaghli, le professeur Chater, qui travaillent dans le cadre de la « Société d’Histoire des juifs de Tunisie », une magnifique société savante laïque et internationale qui étudie les archives de ma communauté, cette communauté dispersée mais encore tellement vivante par sa mémoire. Un de mes plus grands bonheurs aura été de réaliser en commun avec la radio « Beur FM », deux émissions à propos d’un colloque de cette société tenu à La Sorbonne il y a deux ans.
Monsieur le Professeur Fantar, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, arrive donc la fin de cette présentation et je la finis par la Tunisie évoquée en introduction. Voyez-vous, j’ai été amené à lire des dizaines d’ouvrages dont il a été question dans mon émission qui tient plus, vous l’avez compris, de France Culture que de France Info comme référence radiophonique. Et au bout donc de dizaines de livres et de centaines d’articles lus je me suis demandé : « pourquoi ? » Pourquoi la Tunisie a-t-elle eu la chance d’éviter les soubresauts qui ont ravagé des pays voisins ? Pourquoi la Tunisie conserve-t-elle, même si elle est bien amoindrie, une minorité juive qui est rejointe en ce mois de pèlerinage par des milliers d’originaires, qui viennent et reviennent à la « Ghriba » de Djerba ? Pourquoi, alors qu’ailleurs, une partie du passé est occultée, ici des universitaires ont le grand mérite d’étudier d’autres religions ou de s’intéresser au passé des minorités ? Les historiens qui ont étudié le grand naufrage moral de la nation allemande après la première guerre mondiale, ce naufrage qui a produit le nazisme, provoqué une autre guerre et permis la Shoah, ont décrit presque tous un vertige identitaire, un doute mortifère lorsque rien de solide ne paraissait résister à la défaite, et à la crise économique. Lorsque l’on n’est pas sûr de soi et de sa valeur, la haine de « l’autre », vécu comme un miroir insupportable de son propre échec, apparaît comme le seul exutoire. En contraste, l’unité nationale jamais démentie de la Tunisie, la profondeur des racines de ce petit pays qui a su assimiler ses envahisseurs sans jamais perdre son âme, ses succès économiques qui doivent tant à des choix intelligents faits dès l’Indépendance, tous ces atouts lui permettent d’aborder sans crainte une mondialisation tranquille. La main tendue de la Tunisie, vers les Juifs comme vers les Chrétiens, témoigne de sa confiance en elle-même, et en fait, sans nul doute, un acteur qualifié pour parler du « dialogue des religions et des civilisations », sans doutes le plus grand défi pour le siècle qui commence.
Je vous remercie. »
Jean Corcos