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13 avril 2007

Attentats d’Alger, un « raccourci historique » (suite)

Hier j’évoquais sur le blog la symbolique du lieu de l’attentat d’Al-Qaïda contre le gouvernement algérien, en écrivant que c’était comme si le passé faisait un clin d’œil au présent. Je ne me doutais pas que Hamida Layachi, directeur de « Al Jazaïr News » et grand spécialiste de la mouvance islamique dans son pays, évoquerait lui aussi cette symbolique dans une interview recueillie par Florence Beaugé du journal « Le Monde » (édition datée du 13 avril). Ci-dessous un extrait :

« La stratégie du GSPC a changé. Il accentue son rejet absolu de toute réconciliation et signifie qu'il a désormais deux ennemis : le pouvoir algérien et l'Occident, en particulier la France. Dans l'un de ses derniers communiqués, dûment authentifié, il y a environ trois mois, il le dit clairement. Le choix de ses cibles, mercredi, ne doit d'ailleurs rien au hasard : le Palais du gouvernement est le coeur même du pouvoir algérien. C'est aussi un bâtiment qui date de l'époque coloniale française. Il abritait autrefois le siège du gouvernement général, autrement dit les représentants du pouvoir métropolitain, et surplombait le fameux "Forum". C'est là qu'en 1958, le général de Gaulle a prononcé son fameux discours - "Je vous ai compris ..." - qui a été interprété par les colons comme l'assurance que l'Algérie resterait française. La symbolique est donc double et particulièrement forte. Si le GSPC avait choisi de faire un millier de morts, il aurait envoyé ses kamikazes rue Didouche-Mourad (l'une des principales artères de la ville), par exemple. Il ne l'a pas fait, délibérément. »

Hier également, j’évoquais dans mon article l’historien Benjamin Stora, dont « Le Monde » a publié par ailleurs une interview audio sur son site Internet, après les attentats d’Alger. Mais il me revient également nos échanges lors de ma propre interview diffusée en janvier 2005, dont vous pouvez entendre l’enregistrement intégral en allant sur ce lien. Ci-dessous, donc, un extrait où j’avais abordé - alors que nous parlions de la guerre d’indépendance de l’Algérie -, les racines de la violence islamiste, trente ans après. Comme quoi, on pouvait parler, déjà, de « raccourci historique » ...

Jean Corcos :

(...) Est- ce que ce qui s’est passé à partir d’octobre 1988, cette révolte réprimée dans le sang, et puis ensuite la montée donc de la guerre civile, est ce que ce n’est pas un retour du refoulé ? Et est-ce que les islamistes ne jouent pas un peu un rôle de réplique de ce qu’était le FLN dans les années 1950 ?

Benjamin Stora :

Alors, on a beaucoup dit effectivement dans les années 1990 que le FIS était l’enfant du FLN, sans faire de jeu de mots ; c’est une expression très célèbre, très connue des années 90, c'est-à-dire que le FIS voulait se poser en héritier du FLN. Le FLN avait commencé la révolution dans les années 1950 - 1960, et puis le FIS arrivant trente ans plus tard, pour lui donner cette coloration exclusivement religieuse, exclusivement islamique. Alors, entre parenthèses, le FIS par là même mettait au secret toute une branche importante des nationalistes algériens ; par exemple, les berbéristes, les communistes, tous ce gens étaient au FLN, ou les gens de Ferhat Abbas qui étaient des républicains, tous ces gens naturellement pour les islamistes n’existaient pas, c’était le « parti de la France » (...)
Moi, je dirai que les islamistes n’ont pas vraiment voulu rejouer l’histoire du FLN, mais ils ont pris appui sur l’énorme trou de mémoire de la société algérienne. C'est-à-dire les reconstructions des récits historiques qui ont été entreprises par les pouvoirs successifs depuis les années 1960 jusqu’à nos jours, ont privé de mémoire la jeunesse algérienne, puisqu’on a diabolisé tout ce qui n’était pas strictement FLN (...) Et c’est sur la base de cette amputation mémorielle, de ce trou de mémoire géant que naturellement les gens du Front Islamique du Salut n’ont donné qu’une version de l’histoire, c'est-à-dire une version exclusivement identitaire religieuse.

J.C