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11 mars 2007

"La politique arabe de Chirac, un échec cuisant" : un bilan sans concessions d'Amir Taheri

Jacques Chirac devant l'Elysée,
le 24 février 2007 (photo Patrick Kovaric)

Introduction :
Après plusieurs mois de faux suspense, Jacques Chirac vient donc d'annoncer qu'il ne se représenterait pas aux élections présidentielles. Alors que les colonnes des journaux ont depuis déjà quelques semaines commencé à faire le bilan de ses douze ans de mandat, deux choses frappent pour ce qui concerne le monde musulman, objet de ce blog : d'une part, un concert général de louanges, de l'extrême droite à l'extrême gauche, tout les candidats se félicitant de l'opposition aux États-Unis au moment de l'invasion de l'Irak (un sentiment très fort des Français, que l'on aurait tort de mépriser et qui mériterait un article particulier) ; mais d'autre part un oubli de tout le reste de la fameuse "politique arabe", dont on évite soigneusement de faire un bilan analytique. "Chirac d'Arabie" (écrit par deux journalistes de Libération, Eric Aeschimann et Christophe Boltanski, Editions Grasset) a été le seul ouvrage qui ait tenté de le faire. Hélas (pour "Rencontre"), ce livre fut le thème de l'émission "Trente minutes pour convaincre" sur notre radio, je n'allais donc pas produire un "doublon"... mais j'espère que j'aurais l'occasion de revenir sur la fameuse "politique arabe de la France" dans une émission après les élections ! En attendant, et pour marquer ce départ, je reproduis un article sans concessions d'Amir Taheri, publié à l'origine dans le journal en langue arabe Alshark al-Awsat, et traduit dans "Courrier International" (numéro du 1er février 2007) : merci à nouveau à Albert Soued pour sa diffusion. Si certains passages son maintenant obsolètes (le rêve de Chirac de tenter un troisième mandat à la faveur d'une crise internationale), le reste mérite vraiment d'être lu. Enfin, et plus tard, j'espère publier un autre article sur la question, bien troublante et que tout le monde a du se poser : comment expliquer que le président le plus proche de la communauté juive de France, celui du discours du Vel d'Hiv sur la responsabilité de Vichy dans la déportation ... ait été, de façon continue, le plus résolument éloigné d'Israël ?
J.C

La presse arabe adule depuis toujours le président français. Mais ses récentes initiatives en direction de l’Iran chiite irritent les sunnites. Le quotidien panarabe Asharq Al-Awsat, financé par Riyad, est sévère.
Alors qu’à l’Elysée le rideau se baisse sur Jacques Chirac, ce dernier continue d’entretenir le doute sur un troisième mandat. Tandis que ses derniers amis essaient de le peindre en "vieux sage" de la politique internationale, il joue ses dernières cartes diplomatiques et rêve d’un grand coup de politique internationale. Avant la fin du mois de mars, date à laquelle il a prévu d’annoncer s’il comptait se représenter ou non, il veut tenter sa chance avec la République islamique d’Iran. Son objectif est de l’amener à réduire ses ambitions nucléaires, à renoncer à soutenir le Hezbollah et à se joindre à la France dans un nouveau "front du refus" de la domination américaine au Moyen-Orient.
L’idéal aurait été d’obtenir quelque chose de retentissant avant le sommet consacré à la reconstruction du Liban qui s’est tenu fin janvier à Paris. Selon certaines sources, un envoyé français, l’ancien chef des services de renseignements Jean-Claude Cousseran, serait allé à Téhéran pour rencontrer le Guide suprême Ali Khamenei et lui faire part de quelques informations censées être secrètes, souligner le déploiement d’activité de la marine américaine dans le golfe Arabo-Persique et faire comprendre que les Anglo-Saxons s’apprêtaient à lancer une opération militaire contre l’Iran. Pour épargner ces ennuis à Téhéran, Cousseran aurait suggéré à Khamenei de désigner l’ancien président Hachemi Rafsandjani [réputé modéré en politique étrangère] pour gérer la question nucléaire et pour marginaliser l’actuel président, le bruyant Mahmoud Ahmadinejad. Si les Iraniens avaient émis des signes encourageants, Chirac aurait envoyé son Premier ministre, Dominique de Villepin, conclure le marché : annonce de l’arrêt du programme iranien d’enrichissement d’uranium et annulation de la réunion du Conseil de sécurité prévue pour mars. C’est ce qui aurait permis au "doyen de la politique internationale" et au "héros de la paix" d’annoncer sa candidature pour la présidentielle et d’appeler ses "chers compatriotes" à le réélire afin qu’il puisse sauver le monde de la bêtise de George Bush. En s’appuyant sur les sentiments traditionnellement antiaméricains et anticapitalistes des Français, il aurait fait passer Nicolas Sarkozy pour "inféodé à Bush" et pour un "chantre du libéralisme économique", un mot qui effraie les Français.
Or, depuis deux ans déjà, tous les sondages indiquent que les Français sont las de Jacques Chirac et souhaitent qu’il s’en aille le plus tôt possible. Pis, la plupart de ses amis l’ont abandonné, et d’autres trouvent indigne de se servir de l’Iran pour préparer une nouvelle candidature. Le problème, c’est que Chirac n’a pas appris grand-chose de sa longue expérience politique : ce n’est pas la première fois qu’il est victime de ses illusions. Entre 1974 et 1976, quand il était Premier ministre, il a soutenu le programme nucléaire irakien en contrepartie de subsides versés par Saddam Hussein au RPR. De nouveau Premier ministre de 1986 à 1988, il a refusé à l’aviation américaine le survol de l’espace aérien français pour bombarder la Libye. Il comptait ainsi gagner l’amitié de Muammar Kadhafi. Mais quand, plus tard, celui-ci a choisi de sortir de son isolement diplomatique, ses premiers contacts ont été avec la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, et non avec la France. De même, en 1987, Chirac a permis à Vahid Gordji, coordinateur des activités terroristes iraniennes à Paris, de quitter la France en contrepartie d’une promesse iranienne de ne pas perpétrer d’actes terroristes sur le sol français. Promesse vite rompue, puisque Téhéran n’a pas tardé à lancer une campagne d’assassinats contre des opposants iraniens réfugiés en France. Finalement, en 1991, Chirac [alors dans l’opposition] a milité contre le renversement de Saddam Hussein. Il espérait que les régimes "laïcs et progressistes" l’emporteraient contre les régimes "réactionnaires proaméricains" et comptait faire de la France le principal allié occidental des Arabes. Et, là encore, il s’est trompé et s’est fourvoyé.
La diplomatie chiraquienne n’a rien apporté ni à la France ni à personne, puisqu’elle a encouragé les tendances extrémistes d’aventuriers de la pire espèce - tels Saddam Hussein, Muammar Kadhafi ou Khomeyni. Aujourd’hui, Chirac joue une fois de plus son vieux numéro de claquettes et cherche à permettre aux mollahs iraniens de tromper le monde entier et de narguer le Conseil de sécurité. Son action risque surtout de précipiter une nouvelle guerre au Moyen-Orient.

Amir Taheri