Suite et fin
de l’article publié hier, et tiré du blog « Classe Internationale ».
Fonctionnement de l’instance
Driss Benzekri est nommé à la présidence de l’IER. C’est un ancien
prisonnier politique (de 1974 à 1991), mis en détention pour ses activités
au sein du parti marxiste-léniniste al-Amam. A ses côtés, seize autres
commissaires travaillent à la réalisation des objectifs de l’IER. La moitié
des commissaires sont des membres du CCDH, et les autres ont été nommés en
raison de leur compétence en la matière (droit, médecine, droits des femmes
etc.). Un certain nombre d’entre eux ont aussi été des prisonniers politiques,
victimes de détention arbitraire et de torture. La commission est composée
d’une équipe administrative et de trois groupes de travail : un groupe Etudes
et recherche, un autre Investigations et le dernier groupe Réparations.
Le premier travail a été celui de définition. Le terme
« équité » renvoie aux mesures de réparation financières,
administratives, sociales et médicales. Celui de « réconciliation » est
un concept beaucoup plus difficile à atteindre. Il renvoie au fait d’en finir
avec les violations passées pour que la société puisse avancer. Il s’agit-là
des définitions des termes contenus dans le nom de l’instance.
Pour agir concrètement, l’IER a aussi dû définir les
concepts qu’elle allait utiliser. Les victimes sont les survivants, les
anciens détenus politiques, les témoins, les héritiers et leurs familles. Ce
sont ces victimes qui ont fourni leurs témoignages, essentiels dans le
travail d’investigation et de réconciliation de l’IER. Ce témoignage, chahada
en arabe, renvoie aux récits qui expriment « l’urgence de parler des problèmes
de répression, de pauvreté, d’emprisonnement, de lutte pour la survie, et ainsi
de suite, auxquels renvoie l’acte même du récit » [8]. Mais chahada
renvoie aussi à la notion de martyr. Peut-être est-ce pour cette double
signification que l’IER a choisi le terme ifada pour parler du récit des
témoins devant elle.
Une fois ces termes d’usage sont définis, l’IER a pu
définir les violations qu’elle allait analyser :
La disparition forcée renvoie à « l’enlèvement
ou l’arrestation d’une ou plusieurs personnes et leur séquestration, contre
leur gré, dans des lieux secrets en les privant indûment de leur liberté, par
le fait de fonctionnaires de l’autorité publique, d’individu ou de groupes
agissant au nom de l’Etat ou la non-reconnaissance de ces faits et le refus de
révéler le sort qui leur est réservé, les soustrayant à toute protection
juridique » (Article 5 des statuts de l’IER) ;
La détention arbitraire quant à elle signifie «
toute séquestration ou détention non conforme à la loi et intervenant en
violation des principes fondamentaux des droits humains, en particulier le
droit des individus à la liberté, à la vie et à l’intégrité physique et ce, en
raison de leurs activités politiques ou associatives » (Article 5 des statuts
de l’IER).
Concrètement, l’IER a procédé à des enquêtes de
terrain, à une recherche documentaire et à l’examen des archives dans son
travail d’investigation. Selon l’article 9.1. de ses statuts, l’IER doit «
enquêter, recueillir les informations, consulter les archives officielles et
collecter auprès de toute partie, informations et données utiles à la
révélation de la vérité » ; selon l’article 9.2., elle doit « poursuivre les
recherches sur les cas de disparition forcée dont le sort demeure inconnu,
déployer tous les efforts pour enquêter sur les faits non encore élucidés, révéler
le sort réservé aux personnes disparues et proposer les mesures adéquates pour
les cas dont le décès est établi ».
Il a fallu recueillir les dossiers avant le 13
février 2004 (date limite pour les dépôts des dossiers). En plus de
ces dossiers, des milliers d’autres demandes ont été adressés à l’instance
après la date limite, qui ont aussi été archivées. 8000 autres dossiers ont été
transmis par la Commission d’arbitrage à l’IER. Une fois les dossiers
réceptionnés, l’IER a conduit des enregistrements audio et vidéo des
témoignages des victimes pour compléter les dossiers, et a fait son travail
d’enquête de terrain et de consultation des archives.
Une fois son travail achevé, l’IER devait rédiger et
transmettre un rapport officiel au roi et au Parlement, retraçant l’ensemble de
son travail, les résultats, et y proposer des recommandations concernant les
actions à mener au sein du pays pour garantir la mémoire du passé, empêcher la
reproduction des violations, et réformer les institutions.
Objectifs de l’instance
Selon les termes du roi Mohamed V, « l’objectif de
cette Instance sera de faire en sorte que les Marocains se réconcilient avec
eux-mêmes et leur histoire, qu’ils libèrent leurs énergies, et qu’ils soient
partie prenante dans l’édification d’une société démocratique moderne, gage de
prévention de toute récidive ».
Déterminer les coupables : L’instance est chargée de déterminer
« les responsabilités des organes de l’Etat ou de toute autre partie dans les
violations graves des droits humains » (article 9.3.), sans pour autant
déterminer d’acteur individuel (puisque l’instance n’est pas juridique). Elle
doit permettre de comprendre le contexte des violations pour que les citoyens
marocains aient accès à ces informations et les comprennent.
Déterminer les réparations : L’IER décide des réparations à
verser aux victimes. Deux réparations sont possibles : les réparations
individuelles et les réparations collectives.
Les réparations individuelles sont octroyées dans six
cas : la privation de la liberté, les cas de disparitions forcées, les
conditions de détention et de séquestration allant à l’encontre des droits
fondamentaux, la torture et autres traitements inhumains ou dégradants, les
séquelles physiques et morales, et enfin la « perte des opportunités et le
manque à gagner ». Après l’étude des dossiers et le travail d’enquête, 9280
personnes devaient bénéficier d’une indemnisation pour les préjudices physiques
et moraux subis. En outre, 1499 personnes avaient déjà bénéficié d’une
indemnisation entre 1999 et 2003. Pour celles-ci, l’IER a proposé, dans ces
recommandations, d’autres formes de réparations. Toutes les victimes n’ont
cependant pas été indemnisées, parce qu’elles n’ont pas souhaité déposer leur
dossier, ou bien parce qu’elles l’ont fait trop tard, ou encore parce que leur
cas a été jugé non recevable.
Pour les réparations collectives, elles
concernent les régions particulièrement affectées par la répression. Elles
prennent la forme de projets économiques et sociaux.
Promouvoir le dialogue et l’échange tout en préservant
la mémoire
L’IER a organisé des rencontres avec la société civile
(associations, universitaires) et des séances d’audition publiques. Certaines
ont été diffusées sur les chaînes publiques et à la radio pour sensibiliser la
population et l’informer du travail mené, aussi bien à l’échelle nationale
qu’internationale.
Garantir la non-répétition des violations
L’IER doit « recommander des mesures destinées à
préserver la mémoire et garantir la non-répétition des violations, remédier aux
effets des violations et restaurer la confiance dans la primauté de la loi et
le respect des droits de l’Homme » (Article 9.6. de ses statuts). Cela permet
de garantir au peuple marocain la non-répétition des violations passées. Un
objectif qui passera en grande partie par les recommandations faites par l’IER.
Lisa
Verriere
Blog Classe
Internationale
[8] SLYOMOVICS
Susan, Témoignages, écrits et silences : l’Instance Équité et Réconciliation
(IER) marocaine et la réparation, L’Année du Maghreb, 2008