La nouvelle candidature de Bouteflika a été
l’étincelle, mais des décennies de mauvaise gouvernance sont la cause des
manifestations, qui continueront vendredi.
Vendredi 22 février, ils sont sortis dans les
rues en masse. A Alger, Oran, Constantine ou Sidi Bel Abbès. Jeunes et vieux,
hommes et femmes, ils ont marché pour crier leur ras-le-bol, dire leur colère.
Et ce cri inattendu, de libération, d’une foule qui brave la crainte de la
répression mais aussi sa propre peur, ne ressemblait en rien à l’explosion de
violence que l’on nous promettait s’agissant de l’Algérie
Pour museler le pays, les autorités avaient depuis si
longtemps brandi la menace du chaos, celui qui s’est abattu sur la Syrie ou la
Libye, et d’un retour aux sanglantes années de terrorisme. Les jeunes, surtout,
ont permis de dépasser cela ; ils sont en première ligne des cortèges, eux
qui n’ont pas connu la « décennie noire » des années 1990.
Cette clameur était aussi un cri de joie. Bonheur
d’être réuni, à travers les générations, les milieux et les croyances.
S’apercevoir que l’on peut faire peuple dans les rues et revendiquer
pacifiquement, à rebours des mises en garde du pouvoir. La mobilisation s’est
faite en dehors des partis politiques. Comment s’en étonner ? Non
seulement l’ouverture démocratique, obtenue en 1988, s’est refermée avec
la « décennie noire », mais vingt ans de régime autoritaire ont vidé
de leur substance les débats politiques. Les partis d’opposition ont été
affaiblis par la cooptation, la répression ou les jeux de division. Les
élections sont devenues des rendez-vous joués d’avance. Au point que les
Algériens ne participent plus à la vie politique. En tout cas, pas comme
attendu.
Mascarade
Car, finalement, les signes de ce réveil étaient bien
là. Ces dernières années, ils sont notamment venus du sud du pays. De Ouargla,
ville du Sahara en pleine zone des hydrocarbures, où les chômeurs se sont
mobilisés massivement dès 2013, obligeant l’Etat à prendre des mesures en
faveur de l’emploi et de la formation. Mais aussi d’In Salah, dans l’extrême
Sud, en 2015, où la contestation contre le gaz de schiste a rassemblé des
milliers d’habitants, révélant l’expertise et la modernité d’une société civile
qui refusait déjà de se voir imposer les choix d’Alger. Ce mouvement citoyen et
écologique a fait plier la capitale, obtenant un moratoire sur les opérations
d’exploration du gaz de schiste. Ces populations du Sud, marginalisées, se sont
élevées contre cette injustice fondamentale qui les prive des retombées de la
richesse de leur sous-sol. Dans un pays riche en hydrocarbures, en terres
agricoles et en sites touristiques et culturels, comment se résoudre à vivre
sans perspectives ?
Car si le déclencheur, l’étincelle qui a provoqué les
manifestations le 22 février, tient à la perspective d’une candidature du
président Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat et à la mascarade qui
l’entoure, ce sont bien des décennies de mauvaise gouvernance qui en sont la
cause profonde. La jeunesse a le plus grand mal à trouver des formations de qualité
et des emplois. Une partie part vers l’Europe, clandestinement. Une autre
s’expatrie pour étudier et travailler. Les deux ne voient en tout cas leur
avenir que hors des frontières. Les revendications de la rue sont aujourd’hui
celles d’une démocratie qui permettrait aux citoyens de construire ensemble un
projet national.
Ce message, les manifestants devaient le porter une
nouvelle fois vendredi 1er mars. Une semaine après les premiers
cortèges, de nouveaux appels à protester ont été lancés sur les réseaux
sociaux. Après la semaine qui vient de s’écouler – manifestations du collectif
Mouwatana, des étudiants, des avocats et des journalistes, appels des partis
d’opposition, des intellectuels –, nul doute qu’ils seront entendus. Reste
cependant une inconnue : l’attitude des autorités. Jusque-là sourdes à la
demande de retrait de la candidature du président sortant, elles ont pour le
moment limité le recours à la force.
Editorial du journal « Le Monde »
1er mars 2019