Le pari Kadhafi
L'éditorial de Stéphane Marchand.
Publié le 27 juillet 2007 dans le journal « Le Figaro »
Faut-il fournir à la Libye des technologies nucléaires civiles, comme l'a proposé hier Nicolas Sarkozy au cours de sa visite à Tripoli ? C'est bien cette question qui est posée au lendemain de la signature par le président d'un projet de coopération dans les « applications pacifiques de l'énergie nucléaire ». À première vue, le dossier libyen est solide. Le pays a, en 2003, renoncé à tout programme nucléaire militaire. Il a signé le traité de non-prolifération, y compris un protocole additionnel qui donne aux inspecteurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique des droits de visite particulièrement contraignants. Depuis, ce pays, qui possède déjà un réacteur nucléaire de recherche, n'a fourni aucun motif d'inquiétude à l'AIEA.
Sur le plan diplomatique, ensuite, il est utile de démontrer aux régimes arabes que, lorsque l'on renonce à l'arme nucléaire, on peut espérer recevoir une aide en matière d'atome civil. Rien ne serait plus politiquement néfaste que de voir se creuser une fracture nucléaire entre le nord et le sud de la Méditerranée, entre pays « fiables » et pays « douteux », sauf à alimenter le clash de civilisations, qui mine déjà assez la planète comme ça. Et puis, pour l'Europe et la France, la Libye est un pays important car ses pétrodollars lui achètent une influence non négligeable au Tchad et au Soudan, deux pays qui compteront le jour venu dans le règlement du conflit du Darfour. En Afrique et dans le Sahel, la France l'a appris à ses dépens, Tripoli peut jouer, au choix, un rôle stabilisateur ou gravement perturbateur.
Malheureusement, en matière de nucléaire, les arguments rationnels ont leurs limites. À la grande époque de l'amitié avec l'Irak, la France avait fourni à Saddam Hussein, vanté à l'époque comme un réformateur moderne, une centrale dont on imagine avec effroi à quoi elle aurait pu servir si l'aviation israélienne ne l'avait pas détruite en 1981. Plus récemment, la République islamique d'Iran a prouvé au monde qu'un pays signataire du TNP, protocole additionnel inclus, peut se fermer soudain aux inspections et laisser planer le spectre apocalyptique d'une dérive militaire de son programme, dérive au demeurant techniquement aisée.
Alors doit-on faire confiance au colonel Kadhafi, ce dirigeant qui fut longtemps un terroriste d'État, qui a cautionné la destruction d'au moins deux avions de ligne occidentaux, qui s'est amendé il y a peu et qui cherche aujourd'hui à rejoindre le « concert des Nations » ? La plus extrême prudence s'impose. La Libye reste une dictature, dénuée de tout contre- pouvoir et dominée par un homme pour le moins imprévisible. Même si des contrats considérables sont en jeu, même si l'uranium, dont regorge la Libye, est une matière première rare dont la France a besoin, force est de reconnaître que le dessalement de l'eau de mer fonctionne très bien sans énergie nucléaire. Il existe d'autres solutions. Une centrale thermique de cogénération suffit. Plus généralement, la pénétration du nucléaire civil au sud de la Méditerranée, en Algérie, au Maroc et bientôt en Égypte et en Libye n'est pas sans justification mais est aussi, dans une région à l'instabilité chronique, porteuse d'inquiétudes.
Stéphane Marchand
L'éditorial de Stéphane Marchand.
Publié le 27 juillet 2007 dans le journal « Le Figaro »
Faut-il fournir à la Libye des technologies nucléaires civiles, comme l'a proposé hier Nicolas Sarkozy au cours de sa visite à Tripoli ? C'est bien cette question qui est posée au lendemain de la signature par le président d'un projet de coopération dans les « applications pacifiques de l'énergie nucléaire ». À première vue, le dossier libyen est solide. Le pays a, en 2003, renoncé à tout programme nucléaire militaire. Il a signé le traité de non-prolifération, y compris un protocole additionnel qui donne aux inspecteurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique des droits de visite particulièrement contraignants. Depuis, ce pays, qui possède déjà un réacteur nucléaire de recherche, n'a fourni aucun motif d'inquiétude à l'AIEA.
Sur le plan diplomatique, ensuite, il est utile de démontrer aux régimes arabes que, lorsque l'on renonce à l'arme nucléaire, on peut espérer recevoir une aide en matière d'atome civil. Rien ne serait plus politiquement néfaste que de voir se creuser une fracture nucléaire entre le nord et le sud de la Méditerranée, entre pays « fiables » et pays « douteux », sauf à alimenter le clash de civilisations, qui mine déjà assez la planète comme ça. Et puis, pour l'Europe et la France, la Libye est un pays important car ses pétrodollars lui achètent une influence non négligeable au Tchad et au Soudan, deux pays qui compteront le jour venu dans le règlement du conflit du Darfour. En Afrique et dans le Sahel, la France l'a appris à ses dépens, Tripoli peut jouer, au choix, un rôle stabilisateur ou gravement perturbateur.
Malheureusement, en matière de nucléaire, les arguments rationnels ont leurs limites. À la grande époque de l'amitié avec l'Irak, la France avait fourni à Saddam Hussein, vanté à l'époque comme un réformateur moderne, une centrale dont on imagine avec effroi à quoi elle aurait pu servir si l'aviation israélienne ne l'avait pas détruite en 1981. Plus récemment, la République islamique d'Iran a prouvé au monde qu'un pays signataire du TNP, protocole additionnel inclus, peut se fermer soudain aux inspections et laisser planer le spectre apocalyptique d'une dérive militaire de son programme, dérive au demeurant techniquement aisée.
Alors doit-on faire confiance au colonel Kadhafi, ce dirigeant qui fut longtemps un terroriste d'État, qui a cautionné la destruction d'au moins deux avions de ligne occidentaux, qui s'est amendé il y a peu et qui cherche aujourd'hui à rejoindre le « concert des Nations » ? La plus extrême prudence s'impose. La Libye reste une dictature, dénuée de tout contre- pouvoir et dominée par un homme pour le moins imprévisible. Même si des contrats considérables sont en jeu, même si l'uranium, dont regorge la Libye, est une matière première rare dont la France a besoin, force est de reconnaître que le dessalement de l'eau de mer fonctionne très bien sans énergie nucléaire. Il existe d'autres solutions. Une centrale thermique de cogénération suffit. Plus généralement, la pénétration du nucléaire civil au sud de la Méditerranée, en Algérie, au Maroc et bientôt en Égypte et en Libye n'est pas sans justification mais est aussi, dans une région à l'instabilité chronique, porteuse d'inquiétudes.
Stéphane Marchand