Afin d'éviter «l'amalgame» et «la stigmatisation»,
tous les courants de l'islam de France se réunissent mercredi au CFCM afin
d'entreprendre une lutte collective contre la «radicalisation», et tout
particulièrement celle des jeunes.
Les musulmans de France sont au pied du mur. Après le
prône antiviolence décrété par le Conseil français du culte musulman1 (CFCM)
pour toutes les mosquées, à l'occasion de la prière de vendredi dernier, après
l'appel à une participation «massive» des musulmans aux manifestations de ce
week-end, la réalité, aussi douloureuse que têtue, s'impose comme un terrible
point d'interrogation en ce début de semaine: c'est bien au nom de l'islam que
des assassinats iniques de femmes et d'hommes sans défense ont été froidement
exécutés.
Ce marqueur-là semble désormais indélébile, même si
l'écrasante majorité des musulmans récuse «l'islamisme et le djihadisme» et le
considère comme le cancer de leur religion. L'effacer s'avère impossible après
le dimanche historique de réaction d'une France qui s'est levée. Le corriger
est plutôt l'urgence impérieuse pour éviter «l'amalgame» et «la stigmatisation»,
deux concepts qui reviennent à tous niveaux et dans toutes les conversations
des musulmans, ces derniers jours.
C'est ainsi que mercredi, tous les responsables de
l'islam de France enterreront leurs querelles intestines et leurs rivalités de personnes2
pour se réunir au CFCM afin de mettre ces questions sur la table et
d'entreprendre une lutte collective contre la «radicalisation». Celle des
jeunes musulmans en particulier. Ils sont très éloignés des instances
officielles de cette religion qu'ils méprisent allégrement, les considérant
comme «vendues» à l'Occident ou à la France…
Toutes les fédérations se sont déjà lancées,
individuellement dans cette lutte, ces derniers mois, mais c'est la première
fois que le CFCM, censé représenter les cinq millions de musulmans de France,
entend prendre les choses en main. «Le CFCM est très conscient des risques et
des enjeux actuels, assure Anouar Kbibech, vice-président de cette instance, il
s'agit pour nous de prendre les choses à bras-le-corps.»
Cinq initiatives lancées
Première initiative donc, la création d'une
association nationale musulmane qui sera chargée d'encourager et de coordonner
toutes les actions de prévention contre le radicalisme musulman dans les
mosquées et avec toutes les associations qui gravitent autour. Elle s'appelle
«Association de prévention de la violence et du radicalisme». Elle a un sigle:
l'Apur. Elle avait été lancée sur le plan administratif en juillet dernier mais
elle doit prendre, cette fois, son envol.
Deuxième initiative, lancer un colloque national qui
réunira d'ici mars ou avril tout ce que compte le monde musulman français
d'autorités religieuses, de spécialistes et d'experts, toutes obédiences ou
fédérations confondues et au plus haut niveau, «pour mettre en place un vrai
plan de lutte contre la radicalisation», explique encore Anouar Kbibech.
Troisième axe: développer des «moyens de
communications sur Internet en particulier», aptes à rivaliser avec l'attrait
de ceux que les jeunes en mal d'extrémisme fréquentent sur la Toile. «Pourquoi,
se demande ce responsable du CFCM, Daech arrive à toucher et à séduire ces
jeunes par ses sites de recrutement et de propagande?»
Quatrième décision: lancer un «numéro vert» qui
complétera celui que le ministère de l'Intérieur a déjà mis en place3,
notamment pour signaler des dérives radicales islamistes mais cette fois, dans
l'optique d'aider des familles confrontées à ce problème de radicalisation.
Cinquième action: lancer un tissu de «formations
continues, courtes et ciblées pour aider des imams et des aumôniers de prisons
en particulier, à repérer et à traiter le plus en amont possible des cas de
dérives radicales», détaille Anouar Kbibech.
Certes, ce responsable sait que les «éléments radicaux
se tiennent souvent loin des mosquées» mais, affirme-t-il, «ce n'est plus
aujourd'hui une raison pour ne pas agir».
Le Figaro, 12 janvier 2015