Pour Hugues Moutouh le réveil des
Français doit entraîner les politiques à s'attaquer avec la plus grand fermeté
à la menace terroriste. Il donne sept pistes prioritaires.
Aujourd'hui, les responsables politiques, à l'instar
de tous les Français sont profondément et sincèrement bouleversés. Nos
compatriotes ont décidé de manifester leur rejet de ces actes sanglants qui
viennent d'endeuiller la France en descendant dans la rue. Nous assistons ainsi
à Paris, comme dans toutes les grandes villes du pays à de vastes
rassemblements populaires. L'émotion est à son comble…mais après? Au risque de
déplaire, cette communion nationale ne servira à rien si des mesures énergiques
ne sont pas rapidement adoptées dans la foulée. A entendre les premières
déclarations des hommes politiques, le pire est à redouter. Ces nouvelles
tueries n'auront donc fait bouger aucune ligne? Disons-le tout haut: nous
attendons de nos représentants qu'ils prennent leurs responsabilités et
agissent pour assurer pleinement notre sécurité, la préservation de nos valeurs
et de notre mode de vie.
En tant que citoyen français, j'attends que demain,
les députés de tous bords, du parti communiste au Front national, interpellent
le gouvernement, sans esprit partisan aucun, mais la volonté de défendre au
mieux l'intérêt de la nation. En effet, c'est le pouvoir exécutif et personne d'autre,
qui est chargé de déterminer et de conduire la politique de la nation.
Mes questions sont simples:
1°) Allez-vous donner aux services de renseignement
les moyens aujourd'hui nécessaires à leur fonctionnement?
Avant de juger leur difficile travail et de faire
publiquement leur procès, il faut d'abord connaître quelques vérités
essentielles à leur sujet. Qui sait que la Direction générale de la sécurité
intérieure (DGSI), en charge notamment du contre-terrorisme, ne fonctionne
qu'avec un budget de 47 M d'euros (hors dépenses de personnels), soit moins que
ce qu'une ville comme Lyon consacre à ses actions culturelles? La progression
malheureusement exponentielle des nouveaux réseaux terroristes ne s'est pas
traduite, ces dernières années, notamment depuis la crise syrienne, par un
transfert de crédits. Or il ne faut pas être un spécialiste pour comprendre que
surveiller 1000 ou 5000 personnes ne représente pas exactement le même coût! Il
faut non seulement des agents pour gérer les écoutes techniques, mais aussi des
analystes pour faire le tri et, sur le terrain, des équipes pour surveiller les
cibles. Quand on sait qu'il faut en moyenne 20 fonctionnaires pour suivre 24h
sur 24h une seule personne, on imagine les moyens colossaux qu'il faudrait
mobiliser pour assurer sérieusement le suivi de tous ceux qui présentent un
risque pour la sûreté de l'Etat et du territoire.
2°) Allez-vous par ailleurs donner aux services de
renseignement les moyens juridiques dont ils ont besoin aujourd'hui pour
prévenir les actions terroristes?
Le cadre actuel, essentiellement judiciaire, n'offre
pas suffisamment de ressources à ceux dont le métier est de traquer les
terroristes avant qu'ils ne passent à l'acte. L'exemple de Merah et des frères
Kouachi est éloquent. Pendant leur surveillance, les agents de renseignement
n'ont pas réussi à réunir suffisamment d'éléments pour les déférer au parquet
et engager une procédure judiciaire classique. Il faut donner la possibilité
aux services, en dehors de la procédure pénale habituelle, d'arrêter et
d'interroger les individus dont on a toutes les raisons de penser qu'ils
préparent une action, alors même qu'il n'existe à leur encontre encore aucune
preuve tangible. Les législations anti-terroristes anglo-saxonnes (Patriot Act,
Terrorim Act…) prévoient toutes la possibilité pour l'administration de détenir
pendant une période plus ou moins longue, à titre préventif, les personnes dont
l'activité présente un risque grave pour la sécurité et l'ordre public, même en
l'absence de preuves. Cette détention administrative place justement les agents
en position idéale pour collecter les preuves nécessaires à leur déferrement
devant la justice. On pourrait tout à fait introduire en droit français ce
genre de mesures, sous le contrôle d'un juge spécial qui serait compétent pour
prolonger la détention qui ne pourrait pas excéder un délai d'un mois par
exemple. Un préfet peut, à certaines conditions, ordonner l'internement d'un
malade psychiatrique en raison du risque qu'il représente pour lui et la société,
et le ministre de l'Intérieur ne pourrait rien faire pour un possible
terroriste? Où est la logique ?
3°) Allez-vous réformer les accords de Schengen?
Un espace de libre circulation au sein des pays
membres, des frontières extérieures qui sont de véritables passoires…quel monde
idéal pour les terroristes et djihadistes! Le code Schengen expose clairement
qu'on ne peut contrôler systématiquement les européens à l'entrée et à la
sortie. On ne peut vérifier les noms sur toutes les bases de données. On peut
seulement contrôler les passeports, et encore, que de façon ponctuelle !
4°) Allez-vous reconnaître que le désarmement pénal de
la France, conduit par l'actuelle ministre de la Justice, est un obstacle
majeur à la préservation de la sécurité des Français ?
La question n'est pas hors-sujet: les frères Kouachi,
Coulibaly, Mérah, etc. étaient tous des délinquants avant de basculer dans
l'action terroriste. Le terrorisme islamiste trouve la majeure partie de ses
bataillons dans l'islamo-délinquance. Refuser de le voir, pour des raisons
d'angélisme ou d'idéologie est impardonnable. Jusqu'à preuve du contraire, rien
n'a été inventé de mieux pour empêcher un individu dangereux de sévir que de le
maintenir le plus longtemps possible en prison. Il faut plus de sévérité dans
le prononcé des peines et, surtout, ne pas détricoter en aval les peines
prononcées en amont. Or, dans notre pays, tout est fait, aussitôt la peine de
prison prononcée, pour en diminuer le quantum par les mécanismes de réductions
de peine, et en changer la nature par le biais des aménagements de
peine...autant d'euphémismes pour défaire ce qui a été fait! Comment expliquer
que Chérif Kouachi et ses acolytes soient sortis de prison si vite après y être
entrés ?
5°) Qu'allez-vous faire pour ces dizaines de dangereux
terroristes, grands et petits, qui purgent en ce moment leurs peines dans nos
prisons ?
Qu'avez-vous prévu à leur sortie? Là encore, il faut
changer de modèle et décider que même après avoir effectué leur condamnation,
les personnes jugées pour des actes de terrorisme peuvent être internées dans
des centres spéciaux de détention le temps nécessaire. Qui peut croire en effet
qu'un islamiste fondamentaliste dont l'objectif est de détruire notre société
acceptera de rentrer dans le rang après 3, 5 ou 10 ans de prison? Ce n'est pas
la seule prise en compte du délit qui doit guider notre réflexion, mais la
dangerosité de leurs auteurs, autrement dit le risque de récidive.
6°) Va-t-on continuer longtemps à considérer qu'Internet,
qui est l'une des principales sources de radicalisation de nos jours, ne peut
et ne doit faire l'objet d'aucune régulation ?
Le gouvernement doit en finir avec les «tuyaux de la
haine». Le sujet est certes complexe, mais ne rien faire est impensable. Le web
est un facteur d'accélération du crime, tous les services de police du monde
vous le diront. Il faut prévoir le blocage des sites présentant un risque grave
et mettre au pas les géants du net afin qu'ils collaborent plus activement.
Impossible? Demandez aux Chinois! Les solutions existent. Il suffit d'un peu de
courage, de détermination…et, bien sûr, de discernement.
7°) Last but not least, qu'allez-vous faire face au
développement de l'islam radical dans notre pays? Quelles mesures concrètes allez-vous
prendre pour endiguer son essor ?
Le politiquement correct interdit aujourd'hui en
France d'établir un lien, pourtant évident, entre le terrorisme dont nous
sommes les victimes et une certaine forme de l'Islam. Nos voisins algériens, de
l'autre côté de la méditerranée, n'ont pas ce genre de pudeur. Bien sûr,
l'Islam revendiqué par les tueurs fous des rues de Paris et d'ailleurs, n'a pas
grand-chose à voir avec celui pratiqué par la grande majorité de nos
compatriotes de confession musulmane. Il n'en demeure pas moins que c'est bien
dans cette très large communauté, réelle ou virtuelle (l'islam 2.0), que se
recrutent terroristes et djihadistes. Sans stigmatiser les musulmans de France,
il faut suivre de près l'évolution de certaines manifestations de leur foi,
apprendre à distinguer les signes d'extrémisme derrière les discours
prétendument traditionnalistes, être à même de déchiffrer les ambiguïtés et les
comportements déviants. Tous les tenants d'un islam radical et littéral ne sont
certes pas des terroristes. Mais tous les terroristes sont les promoteurs de
cette conception particulière de l'Islam. Pendant combien de temps encore cette
idéologie religieuse et politique bénéficiera de la protection aveugle de nos
lois? Pendant combien de temps encore va-t-on permettre la diffusion d'une
doctrine à ce point contraire aux valeurs de la République?
Tribune de Hugues Moutouh dans "Le Figaro"
11 janvier 2014
Hugues Moutouh a été conseiller spécial du ministre de
l'Intérieur au moment de l'affaire Merah, puis préfet. Il est désormais avocat.
Il est l'auteur de 168 heures chrono: la traque de Mohamed Merah.