une passante arabe dans une rue de Hebron
(photo tirée du site "Metula News Agency")
Introduction :
Mon amie Isabelle-Yaël Rose m’avait envoyé cet article le 26 novembre, soit juste avant deux évènements tragiques qui auront alourdi encore plus l’ambiance en Israël : d’abord, bien sûr, l’attentat de Bombay et la mort atroce des six Juifs torturés avant d’être assassinés (lire à ce sujet l'article bouleversant de Bradley Burston publié dans le "Haaretz") ; et puis la semaine dernière - mais cela faisait des mois que des actes d’incivilité et des agressions en tous genres contre les habitants arabes des Territoires, et même contre Tsahal étaient signalés -, la quasi insurrection de jeunes têtes brûlées, se vengeant de l’évacuation « musclée » d’un immeuble de Hebron en violentant tous les Palestiniens à leur portée (voir la photo tirée du site de la MENA, et surtout l’article associé d’Ilan Juffa publié le 5 décembre, et qui exprime un dégoût que je partage tout à fait !). Ces derniers évènements traduisent la perte de contrôle d’une partie de leurs troupes par les formations sionistes religieuses : une dérive déplorable, que ma correspondante analyse avec beaucoup de finesse !
J.C
Un nouveau parti politique, censé rassembler toutes les formations religieuses sionistes, a été créé il y a deux semaines, provoquant l'enthousiasme de son électorat lassé par les divisions et les querelles de personnalités : le parti « la Maison juive ». La Maison juive, présidée par Zebulon Orlev, un ancien du Mafdal, n'a pourtant pas réussi à séduire deux personnalités centrales de l'ancien Ihroud Léoumi qui n'ont pas rejoint le nouveau parti religieux et sioniste : Arieh Eldad, sioniste mais pas religieux, a fait scission, ainsi qu'Eifi Eitam, qui souhaite rejoindre le Likoud. Une crise vient d'éclater cette semaine autour de la tenue des primaires qui menace de faire éclater, à peine après sa naissance, la nouvelle coalition. Mais si on oublie une seconde les rivalités de personnes, qui sont finalement d'un intérêt très secondaire pour l'électorat et Israël en général, il est en revanche intéressant de revenir sur les raisons d'une désaffection des Israéliens pour les partis religieux sionistes dont les sondages prévoient une quasi-disparition au parlement.
La raison majeure est à aller chercher dans le fait que les partis religieux sionistes ont commis une grave erreur ces dernières années, laquelle est le corollaire d'une perversion dans l'idéologie elle même : ils ont rompu le consensus de la société israélienne. Alors que les Israéliens sont soumis à des pressions de toutes sortes - pris en tenailles entre les menaces que constituent le Hezbollah, le Hamas et l'Iran ; alors que leur avenir sécuritaire, mais aussi économique et politique, change à tout moment sapant leur sentiment de sécurité et leur confiance en l'avenir, les partis religieux sionistes ont rajouté à ce sentiment d'insécurité en entretenant d'une manière systématique deux phénomènes : l'agitation sociale, et une attaque continue contre les institutions de l’État d'Israël (armée, police, école, Cour suprême de Justice, Parlement, Gouvernement, etc.) Les Israéliens sont un peuple conservateur. Contrairement aux apparences, les Israéliens sont un peuple attaché à ses institutions : elles sont la seule chose de stable dans la région et dans la nation, et un peuple a besoin d'un minimum de stabilité pour se projeter dans l'avenir et ne pas douter de lui totalement. Or, en entretenant l'agitation en Judée et en Samarie ; en engendrant une jeunesse qui ne reconnaît aucune loi ni aucune discipline ; en multipliant les déclarations et les actions provocantes, qui sont certes enivrantes mais seulement pour les convaincus, les religieux sionistes ont rompu le pacte social et se sont mis eux mêmes en marge. Aujourd'hui, leurs actions illégales mais aussi immorales sont devenues abominables pour les Israéliens comme pour le reste du monde. Ils font peur, parce qu'ils sont devenus des marginaux et menacent Israël de se marginaliser parmi les autres nations quand la majorité des Israéliens a compris que le jeu politique international ne pouvait pas se jouer sans au moins l'apparence des jeux d'alliance. Les religieux sionistes vont maintenant payer politiquement le prix de leur sabotage de la démocratie via ses institutions. Les rabbins religieux sionistes ont une grave responsabilité dans cette escalade qui les menace de disparaître à peu près totalement du Parlement. En tous les cas, de devenir une force politique négligeable. Après avoir perdu la bataille sociale, ils vont perdre la bataille politique. Cette dégringolade a une origine : la manière dont le sionisme religieux originel - celui du Rav Kook - a été perverti pour placer au centre du sionisme non pas le Judaïsme, l'identité, la Torah, et leur lien avec l’État, mais la Terre. En choisissant la Terre, toute la Terre, tout de suite, et à n'importe quel prix, les rabbins qui dirigent le mouvement sioniste se sont coupés non seulement du reste d'Israël, mais du reste des Juifs.
C'est cela, la catastrophe.
Les religieux sionistes ont alors pensé qu'il leur était possible de reconquérir les « cœurs » à travers des campagnes de communication. D'abord, pendant Soukkot, des publicitaires ont été engagés pour imaginer une campagne de marketing qui permette de rétablir le dialogue entre Israël et les habitants de Samarie et de Judée. Des excursions ont été organisées dans les implantations de Judée et de Samarie, sur les traces des hauts lieux de la Bible. Le problème est que ces excursions, pas inintéressantes, visaient en même temps à effacer deux choses : l'histoire arabe et musulmane, la présence des Palestiniens du temps présent. Les excursions devenaient alors des espèces de voyages dans une réalité virtuelle qui non seulement n'ont trompé personne, mais n'ont pas non plus attiré ou convaincu grand monde. Ensuite, il y a eu toute l'opération marketing, la semaine dernière, autour des primaires sur Internet invitant tout Israélien à proposer son avis en votant via un site. Le défaut de ces campagnes de communication est justement d'être des campagnes de communication. Le public israélien est un public éduqué, qui connaît l'histoire d'Israël, les problèmes liés à l'actualité, les tensions dans les territoires occupés. Le public israélien est un public critique, qui ne vit pas dans une bulle fantasmatique et irréelle, et il est aussi bien au fait de toutes les ficelles de la publicité et du marketing : son univers de référence est celui du high-tech. Les responsables des relations publiques ont donc commis une double faute avec ces campagnes de marketing : d'abord, pour le dire brutalement, prendre les gens pour des imbéciles ; ensuite, ne pas comprendre que ce que les Israéliens attendent plus particulièrement des religieux sionistes, c'est un langage vrai. Un discours vrai. Sur la Judée et la Samarie, sur l'identité d'Israël, sur le Judaïsme. Les mensonges, les manipulations et la violence des habitants des implantations sont probablement ce qui les rend les plus insupportables au reste de la nation. Les sionistes religieux ont besoin de rétablir la communication, mais aussi la confiance. Cela ne peut se faire que d'une façon : la vérité. Encore faut-il pour cela avoir confiance dans les autres et dans le pouvoir de la vérité. S'il est bien une chose dont les Israéliens ont soif, plus même que de justice, c'est bien de cela : de vérité.
Il est enfin une troisième raison qui explique cette disparition des partis religieux sionistes du paysage politique : les défections en direction du Likoud. En s'entourant de personnalités telles que Ouzi Dayan, Beni Begin, le neveu de Jabotinski - créant ainsi la version israélienne des dynasties aristocratiques des Arabes, ce qui n'est pas le moindre des paradoxes dans un pays si profondément démocratique - le Likoud a attiré à lui une bonne partie des sympathisants originellement acquis aux religieux sionistes. La tentative de transfert d'Eifi Eitam est à ce titre symptomatique d'un mouvement plus général. On a pu voir ainsi des élus religieux sionistes de la nouvelle équipe municipale de Jérusalem se détourner de leur parti originel, pour rejoindre le Likoud juste après les élections. Les politiques veulent une chose : un siège garanti au Parlement. Les citoyens veulent une chose, complémentaire de l'autre : exercer une influence sur la vie politique en choisissant des élus qui siègeront effectivement au Parlement. Ce double phénomène aura pour conséquence d'aider les traditionnelles grandes formations au détriment des plus petits mouvements, appelés à devenir de plus en plus marginaux. C'est ainsi que l'on verra une partie de l'électorat religieux sioniste choisir le Likoud, tandis qu'une autre partie se reportera sur Avigdor Lieberman : ceux pour qui l'identité juive est centrale se reporteront sur le Likoud, ceux pour qui la terre et la haine des Arabes est centrale se reporteront sur Lieberman. C'est la raison pour laquelle Bibi centre sa campagne sur les enfants des grandes figures - et les grands mythes - de notre histoire. Et pour Lieberman, sa laïcité et son désintérêt pour le Judaïsme seront moins forts que « l'obsession territoriale et raciale ». On assiste donc à un phénomène intéressant : tandis que Livni chasse sur les terres des travaillistes, Bibi et Lieberman chassent sur celles des religieux sionistes. Selon le score que fera « Israël Beiténou », on devrait assister à une coalition rassemblant Bibi - Livni - Lieberman.
Nous l'avons dit au commencement : la disparition des religieux sionistes du parlement sera une catastrophe. Ce public, déjà marginalisé socialement, sera alors marginalisé politiquement et n'aura donc plus aucun canal pour exprimer ses convictions. L'impuissance politique, mélangée à l'isolement territorial, social, économique, politique, et idéologique ne peut qu'accentuer le sentiment de frustration et avec lui cette chose terrible : la violence. Le fléau endémique de la maison juive. La disparition politique du sionisme religieux, qui représente l'une des figures du Judaïsme, ne doit donc pas réjouir ceux qui sont attachés au pluralisme et à la démocratie.
Isabelle-Yaël Rose,
Jérusalem
La raison majeure est à aller chercher dans le fait que les partis religieux sionistes ont commis une grave erreur ces dernières années, laquelle est le corollaire d'une perversion dans l'idéologie elle même : ils ont rompu le consensus de la société israélienne. Alors que les Israéliens sont soumis à des pressions de toutes sortes - pris en tenailles entre les menaces que constituent le Hezbollah, le Hamas et l'Iran ; alors que leur avenir sécuritaire, mais aussi économique et politique, change à tout moment sapant leur sentiment de sécurité et leur confiance en l'avenir, les partis religieux sionistes ont rajouté à ce sentiment d'insécurité en entretenant d'une manière systématique deux phénomènes : l'agitation sociale, et une attaque continue contre les institutions de l’État d'Israël (armée, police, école, Cour suprême de Justice, Parlement, Gouvernement, etc.) Les Israéliens sont un peuple conservateur. Contrairement aux apparences, les Israéliens sont un peuple attaché à ses institutions : elles sont la seule chose de stable dans la région et dans la nation, et un peuple a besoin d'un minimum de stabilité pour se projeter dans l'avenir et ne pas douter de lui totalement. Or, en entretenant l'agitation en Judée et en Samarie ; en engendrant une jeunesse qui ne reconnaît aucune loi ni aucune discipline ; en multipliant les déclarations et les actions provocantes, qui sont certes enivrantes mais seulement pour les convaincus, les religieux sionistes ont rompu le pacte social et se sont mis eux mêmes en marge. Aujourd'hui, leurs actions illégales mais aussi immorales sont devenues abominables pour les Israéliens comme pour le reste du monde. Ils font peur, parce qu'ils sont devenus des marginaux et menacent Israël de se marginaliser parmi les autres nations quand la majorité des Israéliens a compris que le jeu politique international ne pouvait pas se jouer sans au moins l'apparence des jeux d'alliance. Les religieux sionistes vont maintenant payer politiquement le prix de leur sabotage de la démocratie via ses institutions. Les rabbins religieux sionistes ont une grave responsabilité dans cette escalade qui les menace de disparaître à peu près totalement du Parlement. En tous les cas, de devenir une force politique négligeable. Après avoir perdu la bataille sociale, ils vont perdre la bataille politique. Cette dégringolade a une origine : la manière dont le sionisme religieux originel - celui du Rav Kook - a été perverti pour placer au centre du sionisme non pas le Judaïsme, l'identité, la Torah, et leur lien avec l’État, mais la Terre. En choisissant la Terre, toute la Terre, tout de suite, et à n'importe quel prix, les rabbins qui dirigent le mouvement sioniste se sont coupés non seulement du reste d'Israël, mais du reste des Juifs.
C'est cela, la catastrophe.
Les religieux sionistes ont alors pensé qu'il leur était possible de reconquérir les « cœurs » à travers des campagnes de communication. D'abord, pendant Soukkot, des publicitaires ont été engagés pour imaginer une campagne de marketing qui permette de rétablir le dialogue entre Israël et les habitants de Samarie et de Judée. Des excursions ont été organisées dans les implantations de Judée et de Samarie, sur les traces des hauts lieux de la Bible. Le problème est que ces excursions, pas inintéressantes, visaient en même temps à effacer deux choses : l'histoire arabe et musulmane, la présence des Palestiniens du temps présent. Les excursions devenaient alors des espèces de voyages dans une réalité virtuelle qui non seulement n'ont trompé personne, mais n'ont pas non plus attiré ou convaincu grand monde. Ensuite, il y a eu toute l'opération marketing, la semaine dernière, autour des primaires sur Internet invitant tout Israélien à proposer son avis en votant via un site. Le défaut de ces campagnes de communication est justement d'être des campagnes de communication. Le public israélien est un public éduqué, qui connaît l'histoire d'Israël, les problèmes liés à l'actualité, les tensions dans les territoires occupés. Le public israélien est un public critique, qui ne vit pas dans une bulle fantasmatique et irréelle, et il est aussi bien au fait de toutes les ficelles de la publicité et du marketing : son univers de référence est celui du high-tech. Les responsables des relations publiques ont donc commis une double faute avec ces campagnes de marketing : d'abord, pour le dire brutalement, prendre les gens pour des imbéciles ; ensuite, ne pas comprendre que ce que les Israéliens attendent plus particulièrement des religieux sionistes, c'est un langage vrai. Un discours vrai. Sur la Judée et la Samarie, sur l'identité d'Israël, sur le Judaïsme. Les mensonges, les manipulations et la violence des habitants des implantations sont probablement ce qui les rend les plus insupportables au reste de la nation. Les sionistes religieux ont besoin de rétablir la communication, mais aussi la confiance. Cela ne peut se faire que d'une façon : la vérité. Encore faut-il pour cela avoir confiance dans les autres et dans le pouvoir de la vérité. S'il est bien une chose dont les Israéliens ont soif, plus même que de justice, c'est bien de cela : de vérité.
Il est enfin une troisième raison qui explique cette disparition des partis religieux sionistes du paysage politique : les défections en direction du Likoud. En s'entourant de personnalités telles que Ouzi Dayan, Beni Begin, le neveu de Jabotinski - créant ainsi la version israélienne des dynasties aristocratiques des Arabes, ce qui n'est pas le moindre des paradoxes dans un pays si profondément démocratique - le Likoud a attiré à lui une bonne partie des sympathisants originellement acquis aux religieux sionistes. La tentative de transfert d'Eifi Eitam est à ce titre symptomatique d'un mouvement plus général. On a pu voir ainsi des élus religieux sionistes de la nouvelle équipe municipale de Jérusalem se détourner de leur parti originel, pour rejoindre le Likoud juste après les élections. Les politiques veulent une chose : un siège garanti au Parlement. Les citoyens veulent une chose, complémentaire de l'autre : exercer une influence sur la vie politique en choisissant des élus qui siègeront effectivement au Parlement. Ce double phénomène aura pour conséquence d'aider les traditionnelles grandes formations au détriment des plus petits mouvements, appelés à devenir de plus en plus marginaux. C'est ainsi que l'on verra une partie de l'électorat religieux sioniste choisir le Likoud, tandis qu'une autre partie se reportera sur Avigdor Lieberman : ceux pour qui l'identité juive est centrale se reporteront sur le Likoud, ceux pour qui la terre et la haine des Arabes est centrale se reporteront sur Lieberman. C'est la raison pour laquelle Bibi centre sa campagne sur les enfants des grandes figures - et les grands mythes - de notre histoire. Et pour Lieberman, sa laïcité et son désintérêt pour le Judaïsme seront moins forts que « l'obsession territoriale et raciale ». On assiste donc à un phénomène intéressant : tandis que Livni chasse sur les terres des travaillistes, Bibi et Lieberman chassent sur celles des religieux sionistes. Selon le score que fera « Israël Beiténou », on devrait assister à une coalition rassemblant Bibi - Livni - Lieberman.
Nous l'avons dit au commencement : la disparition des religieux sionistes du parlement sera une catastrophe. Ce public, déjà marginalisé socialement, sera alors marginalisé politiquement et n'aura donc plus aucun canal pour exprimer ses convictions. L'impuissance politique, mélangée à l'isolement territorial, social, économique, politique, et idéologique ne peut qu'accentuer le sentiment de frustration et avec lui cette chose terrible : la violence. Le fléau endémique de la maison juive. La disparition politique du sionisme religieux, qui représente l'une des figures du Judaïsme, ne doit donc pas réjouir ceux qui sont attachés au pluralisme et à la démocratie.
Isabelle-Yaël Rose,
Jérusalem