Il y a deux bonnes habitudes
qui me guident à chaque fois que revient ce petit exercice éditorial de nouvel
an.
La première date des dernières années seulement : choisir une
illustration en rapport avec l’idée que je me fais de l’actualité présente, en abandonnant
les décors irréels et joyeux de cotillons et champagne.
La seconde est plus
ancienne : revoir ce que j’écrivais pour le 1er janvier
précédent, et évaluer mes pronostics précédents à l’aune des évènements qui ont
suivi.
Commençons par l’illustration.
Le millésime 2020 se prête mieux que d’autres à des effets graphiques, en
jouant sur le « deux fois vingt ». Ici, les chiffres entremêlés
évoquent un blocage presque total, même si on peut rêver aussi d’un simple
effet graphique et donc d’une possible libération des chiffres. Or, presque
tout en cette fin 2019 où j’écris cet édito s’apparente à un blocage. En France,
blocage des transports en commun, paralysante en région parisienne et moins
ailleurs même si la SNCF est aussi durement touchée ; blocage du dialogue
social, où on ne sait pas jusqu’où veut aller le gouvernement tandis qu'une partie de la « base »
syndicale rêve vraiment de renverser la table. Au Moyen-Orient, blocage du
paysage politique en Israël, le système électoral à la proportionnelle
intégrale gelant le rapport des forces, et condamnant le pays à un troisième
scrutin dont on n’espère plus rien. Mais aussi blocage en Iran et autour, où un
régime sanguinaire semble avoir réussi à mater dans le sang une nouvelle
révolte ; où d’autres révoltes au Liban et en Irak, aux ressorts divers
mais clairement hostiles à la République Islamique, ne sont pas encore parvenus
à changer les pouvoirs en place ; et où, malgré les coups donnés par
Israël pour desserrer l’étau mortel patiemment construit autour de lui, malgré
le poids de l’embargo américain, le régime des Mollahs garde son agenda de
domination régionale en ne faisant aucune concession. Au delà du Moyen-Orient, Poutine continue de marquer des points, profitant du retrait US en Syrie pour y poursuivre sans risques ses bombardements criminels de la population civile, avec - élément nouveau - un retournement apparent de la diplomatie française : on y reviendra dans de prochaines émissions. Mais au-delà de ces
blocages sociaux et géopolitiques en France et hors de France, il y a aussi
ceux existants dans tous les esprits, dans le mien aussi bien sûr : les
échanges sur les réseaux sociaux - à titre personnel de plus en plus sur
Twitter et de moins en moins sur Facebook -, nous enferment dans une « bulle
cognitive », où on préfère lire ce qui nous plait plutôt que ce qui nous déplait ;
petit à petit, chacun s’enferme dans une vision du monde univoque, un monde en
noir et blanc plutôt que dans les mille nuances des gris ; et les moins
cultivés, les moins curieux et les caractères les plus frustes plongent dans la
radicalité.
Poursuivons par la relecture des
vœux précédents. Il y a un an -
aller sur ce lien – j’évoquais d’abord mon angoisse, après les samedi de
violences inouïe vécus aux premières semaines des Gilets Jaunes, m’inquiétant
déjà des manifestations antisémites qui ont suivi. On le sait, ce mouvement, dont
les figures de proue étaient des analphabètes sans clair agenda politique et
incapables de négocier quoique ce soit, a fini par pourrir et s’effilocher au
fil des mois. Mais l’impact moral, décuplé par une incroyable complaisance
médiatique, a été profond : on parle ainsi des « giletsjaunisation »
à propos du mouvement social actuel. A l’International, mes inquiétudes ont été
en partie dissipés, en partie confirmées : en Europe, les gouvernements
résistent encore à la « vague brune », avec même d’heureuses
surprises comme le départ de Salvini en Italie ; mais dans le reste du
Monde et particulièrement au Moyen-Orient, « la direction chaotique imprimée
aux USA par Trump » - formule du 1er janvier 2019 - a déjà détruit les rêves d’autonomie kurde en Syrie ;
et inquiété tous les alliés des USA, d’Israël à l’Arabie Saoudite en passant
par les autres états sunnites.
Mais finissons en regardant
dans le rétroviseur bien au-delà de l’année écoulée. En 2020 nous changerons de
décennies, comme il y a dix ans lorsque j’écrivais mes vœux pour 2010 : on peut
les lire ici . Bel exercice, pour relativiser ses dons de prophétie et réaliser
combien le monde a changé en dix ans ! Ainsi, par exemple, j’y évoquais la
première guerre avec le Hamas qui datait d’un an, avec plein d’illusions sur le
contrôle de la frontière de Gaza par une Égypte se rapprochant d’Israël ;
aujourd’hui, jamais depuis quarante ans l'état hébreu n’aura eu avec Le Caire de meilleurs
voisins, et pourtant ce contrôle ne fonctionne pas ; mais qui
prédisait aussi l’évolution stratégique majeure permise par le « dôme de
fer », qui a évité de vrais drames les années suivantes ? J’évoquais
l’indécision d’Obama face à l’Iran, ne revenons pas sur celle du locataire
actuel de la Maison Blanche. Mais surtout, rien dans tout ce que j’écrivais ne
prédisait les vagues d’opinion qui allaient partout faire bouger les lignes :
de l’autre côté de la Méditerranée, les Printemps Arabes ; en France et en
Europe, le grand retour des extrêmes-droites, escortées naturellement par ceux
de l’antisémitisme et du racisme. Tout ceci dit sans modestie excessive : presque aucun
média ou analystes n’avait prévu les quelques suites du film listées ici ; et,
concernant l’antisémitisme, alors que je ne m’inquiétais il y dix ans que de « l’islamo
gauchisme », la grande majorité de la communauté juive refuse aujourd’hui
de voir en face les nouvelles menaces, alors même qu'on en voit les hideuses manifestations aux USA et ailleurs.
Bonne et heureuse année 2020 à
tous, et merci de continuer à me suivre, ici et sur les ondes !
Jean Corcos