Editorial. Il était temps que la communauté
internationale prennent des initiatives pour tenter de prévenir la dangereuse
spirale de l’autre côté de la Méditerranée.
Aux portes de l’Europe, la poudrière libyenne menace
de se transformer en un conflit international et en un désastre humain
comparables à ceux de la Syrie. Il était temps que la communauté
internationale, et en particulier les Européens qui en détournent les yeux, se
réunissent et prennent des initiatives pour tenter de prévenir cette dangereuse
spirale.
Le fait que onze dirigeants de pays concernés, voire
engagés dans le chaos libyen, se soient réunis à Berlin sous l’égide de l’ONU,
dimanche 19 janvier, constitue en soi un événement positif. La déclaration
commune qu’ils ont adoptée comporte un engagement à « renoncer à des
interférences dans le conflit armé ou les affaires intérieures de la
Libye ». Elle comprend aussi la promesse de respecter l’embargo en
vigueur sur les livraisons d’armes.
Le texte appelle également à consolider la trêve
précaire, observée depuis le 12 janvier, dans les combats qui opposent le
gouvernement d’accord national (GAN) de Faïez Sarraj à l’Armée nationale
libyenne du maréchal Khalifa Haftar. Le premier, reconnu internationalement,
contrôle la capitale, Tripoli, et l’ouest du pays (Tripolitaine), épaulé par la
Turquie. Le second, soutenu de fait par la Russie, l’Egypte, l’Arabie saoudite
et les Emirats arabes unis, règne sur l’est du pays (Benghazi et la
Cyrénaïque), en particulier sur les ports pétroliers.
« Un petit pas en avant »
L’énoncé de vœux pieux entériné à Berlin apparaît insuffisant,
notamment en raison du flou sur les moyens de préserver le cessez-le-feu.
Tandis que les Russes et les Turcs défendent l’idée d’une force d’interposition
qui leur permettrait de consolider leur engagement sur le terrain – les
premiers du côté du maréchal rebelle Haftar, les seconds du côté de M. Sarraj
–, les Européens prônent l’instauration d’un simple mécanisme de surveillance.
Cette première étape, venant après une dangereuse
escalade d’interventions étrangères, marque cependant, selon l’expression
d’Angela Merkel, « un petit pas en avant » qui mérite d’être
salué. Les Européens, en passe d’être marginalisés par les Russes et les Turcs,
se sont ressaisis et commencent à reprendre la main.
Mais le sommet de Berlin est loin de mettre un terme à
la sanglante bataille pour le pouvoir qui oppose le gouvernement officiel à
l’homme fort de l’Est libyen. Un affrontement que nourrissent non seulement les
appétits géopolitiques et pétroliers des puissances de la région, mais aussi
l’ambiguïté d’un pays comme la France. Celle-ci soutient officiellement le
gouvernement Sarraj tout en épaulant en sous-main le maréchal Haftar, qui
prétend être le seul à pouvoir pacifier le Sud libyen, porte du Sahel pour le
terrorisme islamiste que Paris combat.
Fort de nombreux appuis, le chef rebelle fait échouer
les médiations internationales et menace désormais Tripoli, prolongeant une
guerre civile qui favorise les extrémistes. La France gagnerait à sortir de son
grand écart qui, non pratiqué par ses partenaires européens, affaiblit la
position de l’Union européenne.
Or, l’Europe, située non loin des côtes libyennes, est
la première concernée par le chaos d’un pays où combattent désormais des
islamistes venus de Syrie et où vivent 700 000 migrants subsahariens, dont
une partie rêve de traverser la Méditerranée. Entre le retrait américain et
l’irruption de la Turquie et de la Russie, les Vingt-Sept sont menacés de
marginalisation. Ils n’ont pas d’autre choix que de faire taire leurs
dissensions, de serrer les rangs et d’unir leurs forces s’ils veulent éviter
que la guerre civile libyenne prolongée ne se transforme en un cauchemar géopolitique à
leurs portes.
Le Monde , 20 janvier 2020