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01 janvier 2019

2019 : couverture noire, pages encore blanches


Un nouveau 1er janvier, et un nouveau rendez-vous avec les lecteurs, fidèles ou de passage. Et encore, comme je le fais ces dernières années, une carte virtuelle loin des cotillons et du champagne d’autrefois.

L’année dernière l’image illustrait le passage – en fait un saut dans le vide – entre les années 2017 et 2018, saut que j’estimais périlleux en particulier pour notre jeune et nouveau Président de la République. J’écrivais notamment : « Si Emmanuel Macron a su complètement rabattre les cartes et « tirer la situation vers le haut » en retournant à son profit l’effondrement des partis politiques traditionnels, le fait que ce soient La France insoumise et le Front National qui polarisent l’opposition est lourd de menaces en cas d’absence de résultats. Indulgents pour le moment – et c’est une surprise – les Français risquent de se retourner contre lui si les résultats tardent trop à venir ». Je n’imaginais pas à quel point ce retournement serait rapide et brutal !

Les semaines que nous venons de vivre en France l’illustrent parfaitement : un mouvement inédit, se plaçant d’emblée en dehors des cadres habituels des mouvement sociaux, rassemblant – par l’effet redoutable des réseaux sociaux, et en particulier de Facebook - de manière protéiforme et horizontale des protestataires virulents, a ébranlé à la fois le gouvernement et la société toute entière. Par ce que nous disent les enquêtes, c’est la France des départements favorables à Marine Le Pen – pour le Sud Est ou le Nord – ou à la France Insoumise - pour l’Ouest -, qui a soutenu le plus massivement cette révolte ; et ce sont encore plus les départements du "désert français", où la population diminue, qui ont vu le succès de la mobilisation. Les observateurs n’arrivent toujours pas à définir ce que veulent réellement les « gilets jaunes », entre jacquerie et révolution ; et ce, alors que des raisons objectives à la crise existaient et n’auront pas, par définition, de réponses rapides (révolte contre les taxes alors que les services publics régressent, paupérisation des classes moyennes, sentiment d’abandon de « la France périphérique », divorce profond avec « les élites », etc.). Nous avons vécu des samedi noirs à Paris et dans plusieurs villes de France, et je reste traumatisé par les souvenirs de l’Arc de Triomphe profané, des voitures incendiées et des magasins pillés. L’économie a été ébranlée, commerce et tourisme sinistrés en cette période normalement faste des fêtes de fin d’année. Cela, aussi, sans parler des gestes économiques coûteux concédés à contre-temps par Macron, gestes qui n’ont pas mis un terme au mouvement, du moins si on écoute ceux qui ont continué d’occuper les ronds-points.

Ai-je besoin de le préciser ici ? Les manifestations ouvertes d’antisémitisme en marge des manifestations de gilets jaunes, « quenelles », pancartes et slogans échangés sur les réseaux sociaux m’ont bien entendu inquiété, mais plus encore deux choses. D’abord la perméabilité de beaucoup de monde à ces discours de haine, surtout chez les sympathisants de l’extrême-gauche et de l’extrême-droite, et alors même que trop de gens dans la communauté juive ne voulaient – et ne veulent encore pour beaucoup – voir l’antisémitisme que chez les musulmans. A ce sujet, lire ou relire mon article :  "Racisme, antisémitisme, que faire ?". Ensuite, et cela m’interroge beaucoup, l’indifférence du reste de la population devant ces faits : la noble image des révoltés en gilets jaunes, souvent sympathiques quand des petits retraités évoquent devant les télévisions leurs fins de mois difficiles, l’emporte encore dans l’opinion sur la face d’ombre de ce mouvement, qu’il s’agisse des meneurs, des objectifs ou de ses méthodes d’action. Tout ceci me conduit, pour la première fois de ma vie, à me dire que peut-être je ne pourrai pas vieillir tranquillement dans mon pays.

D’autres choses m’inquiètent, bien sûr, et en relisant les vœux des nouvel an précédents – cliquer sur le libellé sous l’article - vous n’en serez pas surpris. Fidèle à mes valeurs, je redoute les progrès des partis populistes dans toute l’Europe ; leur prise de pouvoir en Italie, la fragilisation d’Angela Merkel en Allemagne et l’absence de majorités parlementaires dans plusieurs pays font craindre une vraie « vague brune » partout, la France étant une des dernières digues qui peut maintenant céder. M’inquiète aussi la Russie, à la manœuvre derrière ces déstabilisations. Dans mes vœux pour 2017, j’écrivais déjà : « le virus "complotiste" apparait de plus en plus en plus pour ce qu'il est, un travail de sape de nos opinions publiques, et une désinformation systématique, menés de main de maître par les services secrets de Poutine avec une stratégie précise : détruire l'U.E et l'OTAN ; et placer ses pions partout. » M’inquiète enfin, et c’est peu de le dire, la direction chaotique imprimée aux Etats-Unis par Donald Trump, revenu – après deux ans d’hésitations - à sa promesse électorale de 2016, celle d’abandonner partout ses alliés : en quittant la Syrie et en laissant lâchement les Kurdes face à l’armée turque, il laisse aussi Israël bien seul ; et cela, même si l’actualité militaire de l’année écoulée a démontré, pour le moment, que le rapport de forces avec l’Iran et son allié du Hezbollah reste favorable. Mais un conflit généralisé, brutal et inattendu peut surgir à tout moment, et il faut aussi le redouter.

Et je reviens ainsi à la « carte virtuelle » choisie pour la nouvelle année. Un livre, à la couverture bien noire, comme le petit bilan écrit pour ces vœux.  Mais aussi un livre dont les pages sont par définition encore blanches, que l’on peut contribuer à écrire à notre modeste niveau et en restant fidèles à nos valeurs. En ce qui me concerne, ma contribution sera, encore et encore, de partager avec mes auditeurs des émissions originales avec des invités de qualité ; et, pour les lecteurs du blog, en écrivant ou en partageant des articles qui aident à réfléchir.

Bonne et heureuse année à tous !

Jean Corcos