« Le Point » publie une tribune
d'intellectuels et d'opposants iraniens qui demandent à
Emmanuel Macron de « ne pas céder au chantage à la violence » de
Téhéran.
La
tribune est rédigée par un collectif d'intellectuels et d'opposants
iraniens en exil, démocrates et libéraux. Ses signataires tirent le
bilan de l'action politico-militaire du général Qassem Soleimani, qui incarna
jusqu'à sa mort, le 3 janvier, d'un
tir de drone américain sur l'aéroport de Bagdad, les efforts entrepris par
le régime iranien pour exporter sa « révolution islamique » dans le
reste du Moyen-Orient. La tribune souligne le rôle qu'il a
joué dans l'aggravation des conflits sectaires dans cette région déjà
instable et sa participation – via les milices à sa solde en Irak et en Syrie, notamment – à la répression
des opposants iraniens et irakiens ainsi qu'aux massacres en Syrie. La liste
des 38 premiers signataires figure au bas de cette page.
La
mort du général Soleimani, commandant de la force Al Qods des gardiens de la
Révolution islamique, a donné lieu à de nombreuses réactions, dont peu d'entre
elles ont pris en considération les aspirations du peuple iranien et des
peuples de la région.
Mais
tenons-nous-en aux faits. Dès son avènement, le régime islamique en Iran a eu
pour principal objectif l'exportation de sa révolution et de son idéologie
totalitaire au Moyen-Orient comme ailleurs dans le monde. Avec sa force Al
Qods, l'unité d'élite du corps des gardiens de la Révolution islamique chargée
des opérations extérieures, Soleimani en est devenu le grand artisan. Pour cet
homme de guerre, la vie humaine n'avait aucune valeur face à la nécessité
d'étendre l'influence idéologique et militaire du régime et parvenir ultimement
à « rayer Israël de la carte ».
Il est
important de rappeler qu'en 1979, alors que les États-Unis maintenaient leur
ambassade à Téhéran afin de travailler avec le nouveau régime de Khomeini, la
République islamique, dès son avènement, a manifesté une hostilité foncière à
l'égard de l'Occident et particulièrement de l'Amérique. Hostilité qui a débuté
par la prise d'otages des diplomates de l'ambassade américaine puis s'est
poursuivie par de nombreuses actions terroristes, voire des actes de
guerre contre les États-Unis, l'Europe et les pays du Moyen-Orient. C'est
bien à l'aune de cette logique de guerre qu'il convient de comprendre et
d'analyser l'élimination du général Soleimani.
Placé
sous l'autorité directe du Guide suprême Ali Khamenei, Soleimani était de fait
le numéro deux du régime iranien, son principal cerveau militaire et
stratégique. Il était le bras armé des radicaux du régime des mollahs.
Soleimani
ne fut en rien un rempart contre Daech, comme cela est répété urbi et orbi. Il
était en réalité un criminel de guerre et un criminel contre l'humanité
qui a contribué à renforcer cette organisation terroriste en menant une
politique pan-chiite qui a poussé dans ses bras des pans entiers de la
population sunnite irakienne et syrienne.
Le
général Soleimani était l'un des principaux architectes du chaos irakien après
la chute de Saddam Hussein. Son soutien financier et militaire aux milices
chiites qui ont commis de nombreuses exactions en Irak a provoqué la
radicalisation des groupes sunnites, ce qui a favorisé en retour l'émergence de
Daech en Irak.
En
Syrie, il a été l'un des principaux artisans de l'écrasement de l'insurrection
contre Bachar rl-Assad aboutissant à la mort de plus de 500 000 personnes
et au déplacement de millions de réfugiés. L'histoire retiendra que, par son
action destinée à sauver coûte que coûte le régime du dictateur syrien et à
étendre l'influence iranienne, il a là encore grandement contribué à
faciliter l'implantation de Daech dans ce pays.
En
Iran également, les différentes vagues de répression contre nos compatriotes
ont porté sa marque : en 1999, il participait activement à la répression
du mouvement estudiantin de l'université de Téhéran et, en décembre 2017,
il faisait venir en Iran des contingents issus des « unités de
mobilisation populaire », une coalition paramilitaire de milices
irakiennes en majorité chiites pour réprimer dans le sang les manifestations
anti-régime.
C'est
encore lui et ses hommes qui, en novembre dernier, noyèrent dans le sang les
manifestations antigouvernementales. Dès le premier jour des protestations,
Qassem Soleimani conseillait à Ali Khamenei d'écraser, avec une brutalité inouïe,
la contestation contre la dictature islamiste. Cette répression, que l'on peut
qualifier de crime contre l'humanité, a fait au moins 1 500 morts !
Cet
homme terrorisait tout autant les Irakiens et les Syriens que les Iraniens. Il
n'est d'ailleurs pas étonnant que les contestataires irakiens aient célébré son
élimination place Tahrir à Bagdad, ce d'autant plus que c'est toujours lui qui,
en octobre dernier, exigeait du gouvernement irakien de prendre exemple sur la
République islamique pour réprimer les manifestations contre la corruption et
l'ingérence de la République islamique dans ce pays.
Les
gardiens de la Révolution islamique et leur bras armé extérieur, la force Al
Qods de Soleimani, n'ont jamais hésité à employer les pires méthodes de
répression contre nos compatriotes en Iran et contre les autres peuples de la
région pour assurer la survie de leur régime kleptocratique et l'expansion de
leur idéologie fanatique.
À cette
fin, Qassem Soleimani et les gardiens de la Révolution ont
institutionnalisé dans toute la région un système de corruption afin de
financer leurs guerres et leurs actions terroristes. Il n'est dès lors pas
étonnant de voir que le régime iranien, malgré les efforts de l'Union
européenne, a refusé de se conformer aux règles internationales définies par le
Gafi (FATF) en matière de lutte contre le blanchiment d'argent et le
financement du terrorisme.
Au regard de
ces faits, nous, opposants à la République islamique, appelons solennellement
la France et ses représentants à se tenir aux côtés du peuple iranien et à
soutenir ses aspirations à la liberté et à la démocratie. Les fous de Dieu à la
tête de ce régime agressif et millénariste sont prêts à sacrifier le bien-être
de la population iranienne sur l'autel d'un expansionnisme contesté avec
courage par la population irakienne et libanaise.
Nous
exhortons donc le président de la République à ne pas céder au chantage à la
violence exercé par la dictature des mollahs qui s'affranchit chaque jour un
peu plus de ses obligations internationales censées contraindre Téhéran à
renoncer à son programme nucléaire. Nous l'invitons également à rappeler que
c'est bien la guerre par milices interposées conduite hier par le général
Soleimani, aujourd'hui par son successeur, qui est à l'origine de la crise
actuelle et que le régime des mollahs devra être tenu pour responsable de son
éventuelle aggravation.
Liste
des premiers signataires (par ordre alphabétique) :
Dr Mahdi
Aghazamani, sociologue et journaliste ;
Nassrin
Almasi, journaliste, rédactrice en chef de l'hebdomadaire
« Shahrvand » ;
Djamchid
Assadi, professeur associé au département digital management de la
Burgundy School of Business ;
Mehran
Barati, membre du conseil exécutif Iranien pour la transition ;
Hassan
Dai, analyste au Iranian American Forum et à l'International Institute for
Iranian studies ;
Chahdortt
Djavann, écrivaine, essayiste ;
Dr.
Farah Dustdar, professeure de philosophie, éditrice de Zeit
für Geist ;
Niloofar
Gholami, journaliste et activiste ;
Nazila
Golestan, envoyée spéciale pour les droits de l'homme du Conseil national
iranien pour les élections libres ;
Mohammad
Reza Heydari, ancien consul de la République islamique d'Iran ;
Dr.
Ata Hoodashtian, professeur associé de philosophie et de
sciences politiques à la Swiss UMEF University de Genève, directeur
du département des études iraniennes ;
Hossein
Khalifeh, activiste ;
Bijan
Khalili, éditeur ;
Mehdi
Jamali, opposant politique et militant des droits de l'homme ;
Amir
Hossein MehdiIraiee, activiste et ex-médecin de l'armée iranienne ;
Iraj
Mesdaghi, essayiste, ancien prisonnier politique ;
Nooshin
Meshkaty, présidente du board de la Beverly School Board of Education,
ingénieure en aérospatial ;
Zarrin
Mohyeddin, activiste ;
Mazyar
Mokfi, journaliste ;
Reza
Moridi, ancien ministre irano-canadien ;
Kaveh
Moussavi, avocat spécialiste des droits de l'homme à la
Cour internationale d'arbitrage ;
Yaghoub
Najari, ancien champion du judo, défenseur des droits des femmes ;
Sahar
Nasseri, militant écologiste et activiste ;
Dr.
Ramin Nawab, géophysicien ;
Aliakbar
Omidmehr, ancien diplomate
Assal
Pahlavan, directeur de la rédaction du magazine en langue persane
« Ferdosiemrooz » ;
Reza
Pirzadeh, porte-parole du Conseil national iranien pour les élections
libres ;
Zohreh
Rasty, médecin et militant politique ;
Ehsan
Sam Rajabi, ancien membre de l'équipe nationale de judo iranienne ;
Vanecha
Roudbaraki, artiste peintre ;
Sahand
Saber, avocat au barreau de Paris ;
Hemn
Seyedi, analyste politique au Birkbeck College, University
of London ;
Farshid
Seyed Mehdi, spécialiste des relations publiques ;
Rouhi
Shafii, Directeur exécutif de la Coalition internationale contre les
violences en Iran ;
Shahrokh
Shahid, musicien
Kaveh
Shahrooz, avocat, chercheur de l'institut supérieur de recherches
Macdonald Laurier, Senior Fellow du MLI's Centre for Advancing Canada's
Interests Abroad ;
Dr.
Mahnaz Shirali, sociologue, politiste, spécialiste de l'Iran, enseignante à
Sciences Po Paris, directrice d'études à l'Institut catholique de
Paris ;
Elham
Yaghoubian, écrivaine, chercheuse en sciences sociales à la California
State University.
Le Point, 8 janvier 2020