Farhana Qazi
a travaillé sur l'implication des femmes dans l'islam radical (ici le camp
d'Al-Hol en Syrie où vivent des civils et des proches de l'Etat islamique)
Farhana Qazi a été la première femme analyste de
confession musulmane à travailler au National Counter-Terrorism Center (CTC/CT)
en 2000, un an avant les attentats du 11 septembre 2001. Elle avait à peine 25
ans. Elle était mariée avec un enfant. Dès le départ, on lui colle le label de
"islam expert". Certains la questionnent simplement, d'autres la
moquent ou se moquent de l'islam en soi, l'assimilant au radicalisme. Elle est
aujourd'hui instructrice dans l'armée américaine sur les questions de terrorisme.
Maintes fois récompensées, elle est aussi l'auteur d'un livre remarqué sur les
femmes dans l'islam radical*. Elle a répondu aux questions du JDD.
Où êtes-vous née?
A Lahore, au Pakistan et quand je suis arrivée aux
USA, je n'étais encore qu'un bébé. J'y suis retournée à 14 ans et pour une
fille de cet âge le pays m'est apparu étrange. Puis plus tard, en tant que
chercheuse. Ma mère avait rejoint le parti du père de Benazir Bhutto, l'ancien
Premier ministre du Pakistan, assassinée en 2007. Puis avec moi dans ses bras,
elle a quitté le Pakistan pour retrouver son mari, mon père, au Tennessee où il
s'était installé. Puis mes parents ont déménagé au Texas où j'ai grandi. Je
parle Urdu, Punjabi, Hindi.
Racontez-nous ce que cela voulait dire d'être la
première femme musulmane dans une agence de renseignements gouvernementale
américaine ?
Il y a eu dès le départ une grande curiosité. Les gens
disaient : qui êtes-vous, d'où venez-vous ? En règle générale, c'était plutôt
amical, peu ont mis en doute ma loyauté ou ne m'ont pas fait confiance. Ce fut
aussi un avantage. Evidemment. Puisque je pouvais répondre à toutes sortes de
questions sur la civilisation islamique, la culture, les gens. Je pouvais aussi
parler de notre religion du mieux possible même si très vite j'ai pris contact
avec un véritable connaisseur en la matière qui m'a aidé à comprendre les
versets du Coran, la façon dont les terroristes les dévoyaient. Cet homme dont
je ne peux pas donner le nom a été d'un grand secours, je lui en suis
reconnaissante. Ce fut d'ailleurs à titre personnel, une découverte sur
moi-même. D'origine pakistanaise et punjabi, j'ai été élevée par des parents
musulmans mais qui n'étaient pas religieux. Mon père était et est encore laïc
et ma mère, qui certes lisait le Coran, ne comprend pas l'Arabe. Donc on peut dire
que ce voyage à travers l'islam, qui a commencé au CTC/CT, a changé ma vie à
tout jamais.
L'islam est-il compatible avec une Amérique
démocratique ?
Oui. L'islam est tout à fait compatible avec les
valeurs américaines que sont la liberté d'expression, le droit à la propriété,
le droit de vote et celui de porter une arme (afin de protéger sa maison, son
honneur en cas de légitime défense). En ce sens, les valeurs américaines
correspondent à celles de l'islam. Il n'y a donc aucune différence. En tant qu'ancienne
analyste du CTC et actuelle formatrice dans l'armée américaine sur les
questions de terrorisme, je sers mon pays, l'Amérique. Et servir son pays
relève des préceptes de l'islam. Ma foi m'apprend à vivre et à servir les gens.
En tant qu'Américaine musulmane, je veux croire que je suis au service des
autres et quand je suis en classe en tant que professeur, je pense que j'aide
les soldats à mieux comprendre l'islam et ses coutumes afin de mieux les
protéger.
En 2001, l'Amérique connaissait à peine Oussama ben
Laden. Est-elle mieux préparée aujourd'hui?
Prévenir de nouvelles attaques signifie que nous
devons absolument travailler de conserve avec d'autres agences. C'est vraiment
un challenge qui dure depuis des décennies. Nous avons aujourd'hui encore plus
d'agences de renseignements gouvernementales, y compris le Département de la
sécurité intérieure (Dept of Homeland Security), ainsi que d'autres entités créées
pour lutter contre le terrorisme. Mais nous devons aussi impérativement
entretenir une meilleure collaboration avec nos partenaires étrangers au
Moyen-Orient, en Asie du Sud ... La meilleure façon de combattre les menaces à
venir d'une manière générale repose sur un engagement de ce genre encore plus
profond.
Que doit craindre l'Amérique en priorité? Des attaques
venues de l'extérieur ou un "home-grown" (intérieur) terrorisme ?
Depuis ces dernières années, les attaques intérieures
sont plus importantes et immédiates pour le pays. Il y a eu beaucoup
d'attentats de la part de musulmans radicaux et des Blancs nationalistes. Que
ce soit l'attentat contre un night-club de Philadelphie par Omar Mateen ou
celui de la synagogue par des Blancs nationalistes, le trait commun c'est la
haine exprimée par la violence. Et ces actes de violences sont sporadiques et en
augmentation continuelle. La propagande au vitriol sur les réseaux sociaux est
toujours là. Nous n'avons pas encore et suffisamment pris la mesure de ce
danger et nous devrions en faire fermer davantage. N'allez pas vous imaginer
que des organisations comme Al-Qaïda ou Isis sont finies. Bien au contraire.
Vous avez écrit sur le rôle des femmes dans le djihad.
En une phrase que peut-on en dire?
Qu'elles sont aussi dangereuses que les hommes.
Karen Lajon
Le Journal du Dimanche, 25 décembre 2019
* Invisible Martyrs, par Farhana Qazi, Editions
Berrett-Koehler Publishers. Non traduit.