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05 février 2019

Une députée islamiste marocaine enlève son voile et provoque un scandale




La photo polémique de la députée marocaine Amina Maelainine. 
(Capture d'écran réseaux sociaux )

MAGHREB CAFÉ. Cette figure bien connue du PJD est accusée d'hypocrisie après la publication d'une photo la montrant cheveux au vent dans le quartier Pigalle à Paris.

"L'Obs" a lancé "Maghreb café" pour suivre l’actualité de la rive sud de la Méditerranée. Nous avons décidé de donner une place à tout ce qui suscite le débat, agite les réseaux, soulève l’enthousiasme ou l’indignation. Du tragique au drôle, du politique qui agace au people qui scandalise, du mouvement social au spectacle qui heurte ou provoque la polémique, "Maghreb café" s’en empare.

Ce ne sont que quelques mèches de cheveux mais elles n'en finissent pas de bousculer l'opinion publique marocaine. Et pour cause : elles conjuguent tout à la fois le piquant du "people" et la profondeur du débat d'idées. Ces derniers jours, cela tourne carrément au règlement de comptes au sein du parti islamiste. Sous l'œil amusé des commentateurs.
Lorsque la photo de la députée Amina Maelanine, à Paris, cheveux au vent et t-shirt à manches courtes devant le Moulin rouge a été publiée début janvier, elle a immédiatement défrayé la chronique. "Comment ?! Une représentante du parti islamiste PJD, connue pour ses prises de positions particulièrement conservatrices sur les questions de mœurs serait en fait une Tartuffe", s'est écriée en chœur l'opinion publique. Très vite, une seconde, prise Place Vendôme, est publiée par le quotidien "al-akhbar".

 PJD = Parti de la Justice et du Double discours
— le3zaoui™ (@le3zaoui) 4 janvier 2019
La classe politique, elle aussi, s'est déchaînée. Récriminations et justifications se sont affrontées ces derniers jours. La secrétaire générale du PSU a ainsi dénoncé, dans des termes particulièrement virulents, le comportement de la députée PJD, affirmant lors d'un événement de son parti à Tétouan que "les hypocrites finiront au fin fond de l'enfer". Profitant de l'aubaine, Nabila Mounib a martelé :
"Il est clair qu'il faut aujourd'hui démasquer les contradictions des islamistes."
Le député du PAM (centre-droit) Mohamed Aboudrar a pour sa part défendu l'élue sur sa page Facebook : "Sa vie personnelle ne concerne qu'elle. Publier des photos intimes [...] est un comportement inadmissible. [...] Ces photos qui ont été diffusées et qui visent à ternir l'image de la députée n'ont rien à voir avec les principes sur lesquelles on a été éduqués. Je refuse cette violation et j'exprime mon soutien à Amina Maelainine."
En droite ligne des arguments de l'élue, qui a elle-même dénoncé une "cabale politique".
Amina Maelainine est en effet une figure bien connue de la classe politique marocaine, mise en avant par son parti comme une figure jeune et féminine de premier plan. Une représentante, aussi, de son aile conservatrice concernant les questions de mœurs. Nous l'avions rencontrée il y a quelques mois en tant que membre de la commission sur les droits humains, à l'occasion d'un reportage sur l'homosexualité. Eructant contre un comportement qu'elle qualifiait de "contre-nature", elle nous expliquait alors que toute évolution des lois sur les mœurs au Maroc devrait se faire "dans le respect du Coran".

Peut-on être non voilée au PJD ?

Mais l'affaire permettra peut-être une petite évolution doctrinale au sein du puissant PJD. Au moins, elle aura ouvert le débat. L'ex-leader du parti islamiste Abdelilah Benkirane a en effet prononcé une fatwa autorisant les femmes voilées de son parti à enlever le hijab à l'occasion d'une récente rencontre avec la députée dans la tourmente, lit-on dans la presse marocaine.  
Mais les clans s'affrontent : sans évoquer la polémique concernant les photos d'Amina Maelainine, le secrétaire général du parti et chef du gouvernement, Saad Eddine El Othmani, a tenu à mettre les points sur les "i". Il a ainsi consacré une partie de son discours, lors du dernier conseil national du parti, au "référentiel islamique" du PJD :
"L'attachement du parti à son référentiel islamique est un exercice et non une illusion. Nous devons veiller à ce que l'on [y] soit toujours rattaché. Nous devons donner l'exemple, en particulier ceux qui sont en première ligne de l'opinion publique."
Le message est passé.
Mais le cliché de la députée aura permis entre-temps une magnifique célébration de la liberté. A l'image de la réaction de l'historien et sociologue Mohamed Ennaji, qui vient de publier un ouvrage passionnant consacré à l'islam et les femmes, "le Corps enchaîné" (éd. La Croisée des chemins).
Il est vrai que la jeune femme respire la joie de vivre sur cette photo.

Céline Lussato
L’Obs, 17 janvier 2019