La photo
polémique de la députée marocaine Amina Maelainine.
(Capture d'écran réseaux
sociaux )
MAGHREB CAFÉ. Cette figure bien
connue du PJD est accusée d'hypocrisie après la publication d'une photo la
montrant cheveux au vent dans le quartier Pigalle à Paris.
"L'Obs" a lancé "Maghreb café" pour suivre l’actualité de la rive
sud de la Méditerranée. Nous avons décidé de donner une place à tout ce qui
suscite le débat, agite les réseaux, soulève l’enthousiasme ou l’indignation.
Du tragique au drôle, du politique qui agace au people qui scandalise, du
mouvement social au spectacle qui heurte ou provoque la polémique, "Maghreb
café" s’en empare.
Ce ne sont que quelques mèches de cheveux mais elles
n'en finissent pas de bousculer l'opinion publique marocaine. Et pour
cause : elles conjuguent tout à la fois le piquant du "people"
et la profondeur du débat d'idées. Ces derniers jours, cela tourne carrément au
règlement de comptes au sein du parti islamiste. Sous l'œil amusé des
commentateurs.
Lorsque la photo de la députée Amina Maelanine, à
Paris, cheveux au vent et t-shirt à manches courtes devant le Moulin rouge a
été publiée début janvier, elle a immédiatement défrayé la chronique.
"Comment ?! Une représentante du parti islamiste PJD, connue pour ses
prises de positions particulièrement conservatrices sur les questions de mœurs
serait en fait une Tartuffe", s'est écriée en chœur l'opinion
publique. Très vite, une seconde, prise Place Vendôme, est publiée par le quotidien
"al-akhbar".
PJD = Parti de la Justice et du Double discours
— le3zaoui™
(@le3zaoui) 4 janvier 2019
La classe politique, elle aussi, s'est déchaînée.
Récriminations et justifications se sont affrontées ces derniers jours. La
secrétaire générale du PSU a ainsi dénoncé, dans des termes particulièrement
virulents, le comportement de la députée PJD, affirmant lors d'un
événement de son parti à Tétouan que "les hypocrites finiront au fin
fond de l'enfer". Profitant de l'aubaine, Nabila Mounib a martelé :
"Il est
clair qu'il faut aujourd'hui démasquer les contradictions des islamistes."
Le député du PAM (centre-droit) Mohamed
Aboudrar a pour sa part défendu l'élue sur sa page Facebook :
"Sa vie personnelle ne concerne qu'elle. Publier des photos intimes [...]
est un comportement inadmissible. [...] Ces photos qui ont été diffusées et qui
visent à ternir l'image de la députée n'ont rien à voir avec les principes sur
lesquelles on a été éduqués. Je refuse cette violation et j'exprime mon soutien
à Amina Maelainine."
En droite ligne des arguments de l'élue, qui a
elle-même dénoncé une "cabale politique".
Amina Maelainine est en effet une figure bien connue
de la classe politique marocaine, mise en avant par son parti comme une figure
jeune et féminine de premier plan. Une représentante, aussi, de son aile
conservatrice concernant les questions de mœurs. Nous l'avions rencontrée il y
a quelques mois en tant que membre de la commission sur les droits humains, à
l'occasion d'un reportage sur l'homosexualité. Eructant contre un comportement
qu'elle qualifiait de "contre-nature", elle nous expliquait alors que
toute évolution des lois sur les mœurs
au Maroc devrait se faire "dans le respect du Coran".
Peut-on être non voilée au PJD ?
Mais l'affaire permettra peut-être une petite
évolution doctrinale au sein du puissant PJD. Au moins, elle aura ouvert le
débat. L'ex-leader du parti islamiste Abdelilah Benkirane a en effet prononcé
une fatwa autorisant les femmes voilées de son parti à enlever le hijab à
l'occasion d'une récente rencontre avec la députée dans la tourmente, lit-on dans la presse marocaine.
Mais les clans s'affrontent : sans évoquer la
polémique concernant les photos d'Amina Maelainine, le secrétaire général du
parti et chef du gouvernement, Saad Eddine El Othmani, a tenu à mettre les
points sur les "i". Il a ainsi consacré une partie de son discours,
lors du dernier conseil national du parti, au "référentiel islamique"
du PJD :
"L'attachement
du parti à son référentiel islamique est un exercice et non une illusion. Nous
devons veiller à ce que l'on [y] soit toujours rattaché. Nous devons donner
l'exemple, en particulier ceux qui sont en première ligne de l'opinion
publique."
Le message est passé.
Mais le cliché de la députée aura permis entre-temps
une magnifique célébration de la liberté. A l'image de la réaction de
l'historien et sociologue Mohamed Ennaji, qui vient de publier un ouvrage
passionnant consacré à l'islam et les femmes, "le Corps enchaîné"
(éd. La Croisée des chemins).
Il est vrai que la jeune femme respire la joie de
vivre sur cette photo.
Céline Lussato
L’Obs, 17 janvier 2019