Introduction
La réalisatrice Laïla Marrakchi, née en 1975, a réalisé
un premier long métrage il y a 13 ans qui a été un véritable électrochoc pour
le Maroc : son titre, étrangement orthographié, synthétise à la fois le
pays et la jeunesse dorée de Casablanca, « rock ». Toute la jeunesse,
d’ailleurs, s’y était reconnue au-delà des plus riches évoqués dans ce film,
qui a eu un très grand succès. Bien sûr aussi, l’histoire d’amour entre une
jeune musulmane et un jeune garçon juif avait un parfum de scandale, dans un
pays devant compter avec les islamistes ; ces « Roméo et Juliette »
en terre d’islam n’étaient d’ailleurs pas sans rappeler ceux du film tunisien « Un
été à La Goulette » évoqué
sur le blog .
Pour resituer le film dans son contexte, je vous
propose cet article de Florence Beaugé écrit à sa sortie. On trouvera
sur ce lien
sur ce lien
Le film complet, en arabe avec sous-titres en anglais - la vidéo sous-titrée en français n'est hélas plus accessible sur la Toile.
J.C
Casablanca saisie par la fièvre « Marock »
Le premier long métrage de la réalisatrice marocaine
Laïla Marrakchi, 30 ans, n'a pas fini de faire fantasmer les adolescent(e)s.
Comme l'héroïne du film, Rita, elles portent un jean,
un tee-shirt dos nu et des cheveux bouclés jusqu'aux épaules. Et peu importe
que l'une ou l'autre mettent en plus le hidjab, le foulard islamique. Modernes
ou traditionnelles, francophones ou arabophones, avec ou sans argent, elles
rêvent toutes de liberté, de belles voitures, de villas avec piscine, et d'un
grand amour avec Casablanca pour décor. Marock, premier long métrage de
la réalisatrice marocaine Laïla Marrakchi, 30 ans, n'a pas fini de faire
fantasmer les adolescent(e)s.
Sorti au Maroc le 10 mai, le film pulvérise tous les
records. Au Megarama de Casablanca, les deux salles ne désemplissent pas et on
compte 14 500 entrées le week-end. Le public, jeune, est majoritairement
féminin. Il vibre, rit et applaudit tout au long du film. A la sortie, un seul
mot : "Génial !"
Sans la polémique qui a entouré sa distribution au
Maroc, le film aurait-il connu pareil succès ? Pas sûr. Il porte sur la
jeunesse dorée de Casablanca, autrement dit sur une fraction infinitésimale de
la population marocaine. Voitures de sport - que l'on conduit sans permis -,
cabanons de plage, alcool, joints, drague, jurons, révolte contre la société,
rejet de la religion... Que se greffe là-dessus une romance entre deux
adolescents de confessions différentes (elle musulmane, lui juif) est assez
accessoire. "Ce film, c'est nous ! Il dit ce que nous vivons",
affirment en choeur la quasi-totalité des jeunes.
Pourtant leur vie n'est pas celle de la belle Rita
(Morjana Alaoui) et de son petit ami, Youri (Matthieu Boujenah). Rarissimes
sont ceux qui ont la chance d'être inscrits au lycée Lyautey (le plus huppé des
établissements de Casablanca), de parler français couramment et d'avoir des
parents suffisamment fortunés pour les envoyer faire leurs études supérieures
en France. Quelle importance ? Marock est vu comme un idéal à atteindre.
Et tant pis si son univers est avant tout matérialiste.
"C'est vrai que Marock a un côté frime
insupportable, mais il est saisissant de réalisme. Quand je l'ai vu, il m'a mis
presque mal à l'aise, tellement il me rappelait mes frustrations d'autrefois,
tout ce qui me faisait saliver lorsque j'étais adolescent !", raconte
en riant Ahmed Benchemsi, le jeune directeur de Tel Quel. Début mai, cet
hebdomadaire, le plus lu des magazines francophones, a consacré sa couverture à
Marock, sous le titre "Le film de tous les tabous". La photo
retenue à la "une" était en elle-même une provocation. On y voyait
Rita, en short, se moquant de son frère agenouillé en train de faire la prière.
Il n'en fallait pas davantage pour relancer la polémique... et aussi
"booster" le film, à quelques jours de sa sortie en salles.
Après que des artistes marocains eurent accusé Laïla
Marrakchi de "sionisme" lors du festival national de Tanger, en
décembre 2005, les islamistes sont montés au créneau. Faute d'avoir réussi à
faire interdire Marock, ils ont appelé à son boycottage. Le 5 mai, le
Mouvement unification et réforme (MUR), proche du parti Justice et
développement (PJD), a estimé que le film ternissait "l'image du Maroc,
des Marocains, de leur religion et de leur personnalité" et qu'il
comportait "de nombreuses atteintes portées sciemment aux rites de
l'islam, comme la prière et le jeûne".
La très officielle commission de censure n'a pas
accepté de céder à ces injonctions. Elle a seulement interdit le film aux moins
de 12 ans. Le Centre cinématographique marocain a, lui aussi, fait la sourde
oreille. "Je n'ai pas à juger de la qualité de ce film. Je défends
simplement son droit à exister", souligne son directeur, Nourredine
Sahil. Alors que le public se précipite dans les salles pour se faire une
opinion, Marock est aujourd'hui brandi par deux camps de plus en plus
ouvertement opposés : les islamistes, pour qui ce film est synonyme de
dépravation. Et les partisans de la laïcité, pour qui il est devenu l'emblème
de la liberté.