A Laayoune, au Sahara Occidental
Après que le royaume a organisé un forum d’affaires à
Laayoune, le Front Polisario, qui revendique le territoire, dénonce une
« politique expansionniste hostile ».
Construction de routes, aménagement des villes et des
ports, création de parcs industriels, liaisons aériennes… Le Maroc veut
accélérer le développement économique du Sahara occidental, sans attendre un
règlement politique sur le statut de l’ancienne colonie espagnole.
Signe de cette politique volontariste, les autorités
marocaines ont organisé du vendredi 2 au dimanche 4 novembre un grand
forum d’affaires à Laayoune, la plus grande ville du Sahara occidental :
c’est le premier événement du genre sur les terres désertiques que le Front
Polisario dispute au Maroc depuis des décennies. « C’est une région
très riche : il y a un grand potentiel dans l’industrie, la pêche,
l’agriculture ou l’offshoring, on souhaite voir venir les investisseurs
étrangers », a expliqué à l’AFP la secrétaire d’Etat au commerce
extérieur, Rokia Derham.
Ce Forum d’affaires Maroc-France visait à convaincre
les entreprises françaises de « donner un nouvel élan à leurs
affaires » dans une région présentée par les organisateurs comme un « modèle
de développement territorial ». « Nous voulons pousser le
développement et l’économie », a souligné le président de la région,
Hamdi Ould Errachid, en ouverture de cet événement qui a attiré quelque
200 entrepreneurs, dont une cinquantaine venus de France.
Objectif : mettre en avant « l’attractivité »
de ce territoire situé aux portes de l’Afrique subsaharienne et les « opportunités
à saisir » dans de multiples secteurs – construction, industrie,
agriculture, pêche, énergies renouvelables, tourisme…
« On est là pour faire des
affaires »
A un mois de la reprise des négociations politiques
menées sous l’égide des Nations unies, l’initiative a suscité les hauts cris du
Polisario, qui a dénoncé le forum comme un exemple de la « politique
expansionniste hostile » du Maroc dans une lettre ouverte au
secrétaire général de l’ONU, Antonio Gutteres.
Le Polisario, qui a proclamé une République arabe
sahraouie démocratique (RASD) au début des années 1980, contrôle environ
20 % de l’ex-colonie espagnole de 266 000 km2. Plus
au nord, en territoire algérien, se trouvent des camps où s’entassent des
dizaines de milliers de réfugiés. Le Maroc, qui contrôle le reste du Sahara et
ses 1 100 km de façade atlantique, veut préserver son « intégrité
territoriale » via un plan d’autonomie. Sur le terrain, un mur de
sable érigé par le Maroc et une zone tampon surveillée par l’ONU séparent les
deux parties depuis un cessez-le-feu signé en 1991.
Bloqué depuis 2012, le processus de négociation mené
par l’ONU doit reprendre les 5 et 6 décembre à Genève, en présence de la
Mauritanie et de l’Algérie. « La question politique doit être réglée
par les Nations unies […], le développement de la région ne peut être
lié », assure Rokia Derham.
Sur la même ligne, le forum a éludé les aspects
politiques pendant deux jours. « Une entreprise internationale
s’installe là ou il y a des besoins », souligne Maha Hmeid, la
directrice de l’antenne marocaine de la firme Weber, filiale du groupe
Saint-Gobain, qui envisage d’ouvrir une unité à Laayoune, après Casablanca et
Agadir. Philippe-Edern Klein, le président de la Chambre française du commerce
et d’industrie au Maroc (CFCIM), co-organisatrice du forum, « ne veut
pas parler politique ». « On est là pour faire des
affaires », dit-il, plaidant pour « le développement du Sahara
occidental ».
« Personne n’est dupe, tout le monde sait que
ceux qui sont présents donnent un signal : il y a un enjeu
politique », affirme
toutefois Khadija Gamraoui, une élue locale française de droite (Les
Républicains) venue avec une association franco-marocaine. « Les
investissements, ça légitime », souligne-t-elle, se disant « impressionnée »
par les chantiers déjà menés.
« Ici, c’est zéro impôt »
Avec son immense bibliothèque, sa piscine olympique,
son théâtre, ses terrains de sport dernier cri et ses esplanades ornées de
fontaines et de palmiers, Laayoune se veut la vitrine des investissements
colossaux déversés ces dernières années par Rabat – avec notamment plus de
49 milliards de dirhams (4,5 milliards d’euros) prévus d’ici à 2021
pour le seul plan de développement régional. L’usine de traitement de phosphate
exploitée par le géant marocain OCP – qui assure faire plus d’investissements
que de profits dans la région – et le grand port de pêche voisin ont joué un
rôle moteur.
Pour convaincre les entrepreneurs étrangers, Khalid Hatim,
conseiller du président de la région, fait valoir que Las Palmas, la capitale
des îles Canaries (Espagne), est « à quarante-cinq minutes
d’avion » : « C’est facile de s’y installer en famille et
de faire la navette. » Autre argument de taille : « Ici,
c’est zéro fiscalité, zéro impôt », du fait du statut particulier du
territoire.
Pour développer la ville de Dakhla, plus au sud, les
autorités marocaines misent sur le tourisme, avec de grands événements comme
l’étape annuelle du championnat du monde de kitesurf ou le prochain festival
international de la mode africaine. Les autorités locales organisent aussi des
conférences internationales avec des invités de marque – l’ancien président
français Nicolas Sarkozy est venu en mars – et des matchs de gala avec des anciennes
stars du football comme Maradona ou Ronaldinho.
Décidé à contrer le développement piloté par le Maroc,
qu’il accuse de « colonisation » et « pillage »,
le Polisario a lancé l’offensive sur le terrain juridique et judiciaire. Le
mouvement indépendantiste conteste les accords de pêche et d’agriculture signés
avec l’Union européenne et a déposé des plaintes contre des entités françaises
opérant localement, comme les banques BNP Paribas, Société générale et
Crédit agricole, l’assureur Axa ou la compagnie low cost Transavia, filiale
d’Air France, qui compte un vol Paris-Dakhla. Ceci n’a pas dissuadé les trois
banques françaises de participer au forum de Laâyoune via leurs filiales
marocaines.
Le Monde, 8 novembre 2018