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16 février 2011

Accordons nous sur les termes d'Islamophobie et d'anti-musulman, en paralèle avec ceux d'anti-Judaïsme et d'antisémitisme

Hervé-élie Bokobza


Suite à des échanges que j'ai eu avec certains amis Facebook, il m'a paru important de publier cette mise au point, qui nous ouvre à un débat de fond sur l'importance et la prise de conscience de la portée des mots qu'on emploie pour définir ce que l'on pense.

Le terme d'Islamophobie, utilisé généralement pour définir le rejet du musulman, est en effet plus qu'ambiguë. Sur le plan sémantique ce terme renvoie uniquement à la peur de l'Islam ou le rejet de l'Islam en tant que religion, par conséquent il y a erreur sur la marchandise.
 Il faut aussi admettre que nombre de gens de bonne foi tombent dans le panneau, lorsqu'on leur dit ne pas être raciste mais rejeter uniquement l'Islam ! Or, bien que nous accordons sans réserve le droit de rejeter ou de blasphémer les religions, il apparaît souvent que cette "distinction" relève d'une couverture permettant nombre de dérapages insoupçonnés. Aussi, tout est une question de sémantique et d'appropriation de "valeurs" censés être audibles pour tous. C'est pourquoi il convient à mon avis tout d'abord de statuer clairement sur ce que nous entendons par critiques des religions et sur ce que nous définissons par racisme, de sorte d'éviter tous malentendus et toutes sortes de pièges, ainsi on aura pas à se justifier d'incriminer une religion plus qu'une autre !
  
1. Islamophobie et racisme contre le Musulman
 Comme je l'ai dit sur le plan sémantique l'anti-islamisme, qu'on a voulu rendre au terme d'"islamophobie", serait pour l'Islam ce qu'est l'anti-judaïsme pour le Judaïsme. Il n'y a donc rien de grave en soit. Il ne s'agit pas en effet d'un rejet de ceux qui se revendiquent membres de la religion musulmane. Ce qui n'est absolument pas comparable au terme "d'antisémitisme" lequel renvoie à la haine des juifs.
 Le fait d'employer ce terme d'islamophobie comme voulant définir - de bon droit - un rejet du Musulman, constitue un dérapage visant à glisser vers l'idée que  chaque critique de l'Islam serait apparentée à du racisme. Or, comme le disait une amie Facebook très justement : "Critiquer n'est pas phobique, c'est une pratique nécessaire quand elle est constructive. Mais le discours a été muselé, dénoncé soit comme du racisme, soit comme blasphématoire. "Il s'agit en conséquence d'une mascarade et qui n'a rien à voir avec ce que l'on croit dénoncer !"
Pour plus de clarté, il nous faut tout d'abord distinguer le sens des mots que l'on utilise et ensuite tenter de faire des nuances en fonction des catégories dont nous parlons.

2. Racisme et critique ou rejet de la religion
 Le Judaïsme tout comme l'Islam est avant tout une religion ou plus largement une culture, un patrimoine, etc. d'un peuple ou de plusieurs peuples définis. Dès lors que nous admettons tous que le racisme (au sens large du rejet du différent) se situe au niveau des personnes et nullement au niveau du rejet des cultures, nous ne pouvons mettre sur un même plan le rejet d'une culture avec le rejet des membres qui se revendiquent de celle-ci.
 Par conséquent, si le Judaïsme constitue le patrimoine culturel avant tout du peuple juif, (ce qui ne contredit en rien évidement son ouverture à l'universel), être "anti-judaïsme" ne signifie en rien être anti-juif ! Ce glissement est nuisible non seulement à la cause réelle qu'il nous faut combattre mais aussi parce qu'il permet un glissement, voir une dérive, selon laquelle on justifierait au nom du racisme le rejet d'une religion, ce qui est inadmissible.
Ainsi en est-il de l'Islam : rejeter cette religion n'est en rien significatif a priori du rejet du Musulman en tant qu'individu libre et égal en droit avec l'ensemble de l'humanité. Par conséquent, l'on ne peut là encore utiliser le terme d'anti-islamisme, ou d'Islamophobie, pour désigner un quelconque racisme à l'endroit des Musulmans.
 Il est vrai par ailleurs, qu'on a depuis très récemment fabriqué ce mot "d'Islamistes" pour désigner non pas les membres de la communauté musulmane dans leur ensemble, mais les mouvances intégristes et fondamentalistes de l'Islam. Quand bien même ce terme est à mon avis discutable, s'il est utilisé pour définir cette frange "marginale" du monde musulman, alors en effet il vaut mieux pour définir le rejet spécifique du Musulman dans son ensemble, employer le terme "d'anti-musulman" ou de "musulmanophobe". Mais ces termes ne sont pas usités.
 S'il est vrai que le point de vue de l'histoire de l'antisémitisme renvoie à une autre réalité beaucoup plus forte dirions nous que le simple rejet des membres appartenant à un peuple, il ne s'agit donc pas d'un "simple" racisme, et même s'il m'est difficile d'établir une hiérarchie dans le domaine de la haine de l'autre et du racisme - lesquelles relèvent au même titre d'un acte criminel -, il demeure que la haine du Musulman n'est pas identique à l'antisémitisme en tant que ces deux formes de "haine" n'ont pas la même histoire, ni même, naturellement la même portée politique, et souhaitons qu'il en sera toujours ainsi. Il reste, en revanche, que nous parlons de la même nature de rejet du juif d'un côté et du rejet du musulman de l'autre, et la distinction historique ne se situerait que sur le plan quantitatif.

 3. Le terme d'antisémitisme ne trouve pas à ce jour d'équivalence pour définir le rejet du Musulman.
 La réalité c'est qu'il n'existe pas à ce jour de terme équivalent pour définir le rejet du Musulman, en comparaison avec le terme antisémite concernant le juif. S'il est vrai que sur le plan étymologique, l'antisémitisme devrait renvoyer à l'ensemble des sémites [1], il se trouve néanmoins que ce mot a été créé pour désigner la haine du juif. Nous savons que le terme de "Juif" au XIXe siècle était, à tort, perçu comme péjoratif et méprisant à l'égard de ceux qu'ils appelaient jusque très récemment les "Israélites", c'est certainement une des raisons pour laquelle on a préféré utiliser le terme "antisémite" plutôt que celui "d'antijuifite" ! Il en est de même pour tout ce qui touche le rejet spécifique du Musulman : il est plus qu'urgent de nous accorder sur les définitions de sorte de savoir ce que recouvre chaque terme utilisé.
 C'est pourquoi à mon avis ce terme d'Islamophobie prête largement à la confusion, puisqu'il ne renvoie pas au rejet du Musulman mais de la religion Musulmane, ce qui n'a rien à voir. Il faut toutefois noter, ainsi que me l'a fait remarquée une autre amie, qu'on pourrait voir dans l'Islamophobie un rejet viscéral de l'Islam, conçu comme une sorte de bloc homogène, tel qu'exprimé par les nouvelles extrêmes-droites en Europe. Ainsi on pourrait creuser cette définition, et montrer qu'un glissement reste possible vers un rejet des membres de la religion musulmane, perçu comme homogène, sans permettre de nuance. Notion à creuser en tout cas c'est aussi les questions que je me suis posées ailleurs [2], sans rentrer dans la sémantique du mot. Où je montre le glissement vers du racisme antimusulman en donnant à l'Islam comme vision homogène et uniforme celle de l'Islamisme, comme s'il n'existait aucune possibilité d'être Musulman sans être islamiste.

Sujet à approfondir avec beaucoup de discernement afin d'éviter toutes sortes de dérapages sans jamais transiger sur les valeurs que nous sommes censé défendre.

Hervé-élie Bokobza 

[1] Le côté risible de l'affaire c'est que d'un point de vue biblique les descendants d'Esaü à savoir les Occidentaux, ce qui inclut les Chrétiens entre autres, sont eux aussi des Sémites, bizarrement cette donnée a échappé à tout le monde.