Tristesse, lundi dernier, en
apprenant la disparition d’Antoine Sfeir. Il fut l’une des premières
personnalités reçues dans mon émission, alors même qu’il était devenu une
figure connue sur les plateaux de télévision, venant commenter l’actualité
toujours bouillonnante du Proche-Orient et de l’islamisme. La photo retenue
pour illustrer mon modeste hommage a d’ailleurs été prise dans notre studio en
2004, et on nous reconnait en compagnie de mon ami Serge Zerah qui participait,
à l’époque, à notre série.
Tristesse, d’abord, en pensant
à sa disparition prématurée puisqu’il n’avait que 70 ans. Après Malek Chebel,
après Abdelwahab Meddeb c’est une autre figure intellectuelle, issue du monde
arabe et combattant courageux contre l’obscurantisme, qui disparait encore dans
la force de l’âge ; tristesse enfin, en pensant aux autres invités de « Rencontre »
dont il ne reste désormais pour moi que des souvenirs et des enregistrements
(cliquer sur le libellé « in memoriam »).
Antoine Sfeir était une
personnalité attachante, au verbe fleuri et au réel talent de conteur. Le
journal « Le Monde » a consacré un bel article à sa disparition (lire
ici). Les hommages des différentes personnalités politiques que vous y
lirez résument bien l’impression qu’il m’a laissée, au fil des rencontres et
pas seulement à la radio ; j’ai eu ainsi le bonheur de l’écouter, dans des
colloques ou manifestations inter religieuses ou intercommunautaires, comme par
exemple, à l’occasion des 50 ans de la Fraternité d’Abraham. Chrétien maronite
de naissance, libanais devenu français après avoir quitté son pays natal en
pleine guerre civile, il manifestait une ouverture d’esprit le conduisant à côtoyer
les acteurs les plus divers de la société civile. Ainsi, sa revue « Les
Cahiers de l’Orient » avait des contributeurs de toutes les nationalités
et fut un soutien des accords d’Oslo ; il participa un moment à l’aventure,
hélas avortée, de « Proche-Orient.info » dirigé par Elisabeth Schemla ;
il signa en compagnie de personnalités résolument laïques un manifeste intitulé
« Ensemble contre le nouveau totalitarisme », publié par « Charlie
Hebdo » en 2006 (voir
sur ce lien) ; et, alors que, bien avant le Daech et les attentats
chez nous, il était presque mal vu de nommer par son nom le terrorisme
islamiste, il lui consacra un livre prémonitoire (« Les filières
islamistes en Europe ») dont j’ai bien sûr conservé l’enregistrement :
on en trouvera le lien sur
mon blog, en attendant que cette émission soit reprise aussi sur ma chaine
Youtube.
Je l’ai invité cinq fois entre
2001 et 2006, et nous avions parlé des sujets les plus divers : de son
pays, le Liban ; de la menace islamiste ; des Chrétiens d’Orient ;
et du réveil chiite, pour notre dernier entretien. J’avais alors noté une
différence de sensibilité vis-à-vis de l’Iran, différence qui donna lieu huit
ans plus tard à une « confrontation » amicale mais publique lors d’une
soirée des « amis du CRIF » en novembre 2014 : on peut entendre
et voir Antoine Sfeir sur
le site d'Akadem ; et m’écouter réagir à 1h18 de l’enregistrement.
Comment expliquer son refus de
considérer la République Islamique comme un ennemi redoutable, certes pour
Israël, mais aussi pour le monde occidental ? Je regrette de n’avoir
jamais eu le temps d’en discuter plus en profondeur avec lui. Je sais que cette
sensibilité-là, claire vis-à-vis du totalitarisme islamiste dans sa version
sunnite, beaucoup moins pour sa version chiite, est largement partagée au
Liban, et surtout dans la population chrétienne : les massacres du Daech,
la tolérance du régime iranien vis-à-vis de cette minorité expliquent aussi
cela. Mais chez nous aussi, en France, les "gentils
islamistes de Téhéran" ont fait l'objet de beaucoup d'indulgence. Une indulgence qui - espérons le - diminuera un peu, après la mise en cause officielle du renseignement iranien dans un projet d'attentat contre un meeting de l'opposition, à Villepinte il y a quelques semaines.
Antoine Sfeir nous a quittés,
et nous restent d’innombrables autres enregistrements, d’émissions de
télévision, conférences, émissions. J’ai été particulièrement ému de voir cette vidéo, diffusée au
début de l’année et où on voit sur son visage les marques de la grave maladie
qui l’a emporté : j’y ai retrouvé, au travers de son parcours et des
épisodes tragiques qui l’ont marqué – comme son enlèvement par le FPLP en 1973 –
l’homme chaleureux que j’ai eu le bonheur de connaitre.
Jean Corcos