Mohammed Ben Salman
Introduction :
L'actualité va très vite concernant l'affaire Khashoggi : hier samedi, les autorités saoudiennes reconnaissaient la mort du journaliste dans l'enceinte du consulat d'Istanbul, en l'attribuant à un "accident suite à un combat" ; on apprenait aussi que des membres des services secrets, très proches du Prince héritier, avaient été arrêtés. Cette information, bien sûr, n'était pas connue alors que cet article du "Figaro" était publié le 18 octobre ; mais en ce qui concerne les réactions occidentales et les rapports de force avec l'Arabie Saoudienne, tout ce que vous lirez ci-dessous reste d'actualité.
J.C
L'émotion gonfle au fur et à mesure que sont révélés les détails sordides liés à la disparition du journaliste saoudien Jamal Khashoggi. L'onde de choc mondiale qui accompagne la désastreuse affaire saoudienne risque de couler le «Davos du désert», la grande conférence économique organisée par Riyad, qui enregistre des annulations en cascade. Les ministres des Affaires étrangères du G7 se disent troublés. Les chefs des diplomaties occidentales soulignent la «gravité» de l'événement. L'image du prince MBS a été ternie auprès des responsables européens, qui payent, selon la spécialiste du Moyen-Orient Agnès Levallois, « leur absence de fermeté ». « Nous avons fait l'impasse sur tout ce qui nous dérangeait pour ne garder que ce qui nous plaisait au sein du pouvoir saoudien. Comment s'étonner du sentiment d'impunité ressenti par MBS, que tout le monde voyait comme un jeune moderniste. »
L'actualité va très vite concernant l'affaire Khashoggi : hier samedi, les autorités saoudiennes reconnaissaient la mort du journaliste dans l'enceinte du consulat d'Istanbul, en l'attribuant à un "accident suite à un combat" ; on apprenait aussi que des membres des services secrets, très proches du Prince héritier, avaient été arrêtés. Cette information, bien sûr, n'était pas connue alors que cet article du "Figaro" était publié le 18 octobre ; mais en ce qui concerne les réactions occidentales et les rapports de force avec l'Arabie Saoudienne, tout ce que vous lirez ci-dessous reste d'actualité.
J.C
L'émotion gonfle au fur et à mesure que sont révélés les détails sordides liés à la disparition du journaliste saoudien Jamal Khashoggi. L'onde de choc mondiale qui accompagne la désastreuse affaire saoudienne risque de couler le «Davos du désert», la grande conférence économique organisée par Riyad, qui enregistre des annulations en cascade. Les ministres des Affaires étrangères du G7 se disent troublés. Les chefs des diplomaties occidentales soulignent la «gravité» de l'événement. L'image du prince MBS a été ternie auprès des responsables européens, qui payent, selon la spécialiste du Moyen-Orient Agnès Levallois, « leur absence de fermeté ». « Nous avons fait l'impasse sur tout ce qui nous dérangeait pour ne garder que ce qui nous plaisait au sein du pouvoir saoudien. Comment s'étonner du sentiment d'impunité ressenti par MBS, que tout le monde voyait comme un jeune moderniste. »
Mais derrière les protestations officielles, on voit
les larmes de crocodile. « À court terme, l'impact sera fort. Mais dans trois
semaines, ce sera à nouveau “business as usual”. Entre-temps, on aura sans
doute mis l'affaire sur le dos d'exécutants trop zélés », prédit un diplomate
français proche du dossier. Les intérêts financiers priment sur la morale.
Donald Trump l'a rappelé ces derniers jours de manière cynique et caricaturale.
Mais l'Europe fait elle aussi preuve de discrétion. « Nous exigeons d'abord de
connaître les faits. Puis nous verrons si nous irons plus loin. Nous sommes assez
prudents », affirme une source diplomatique française. L'Arabie saoudite est
l'un des rares pays avec lesquels la France enregistre un excédent commercial.
Riyad achète aussi des armes à la France. Avec 18,5 milliards d'euros de
contrats, l'Arabie saoudite est le premier partenaire commercial de Paris dans
le Golfe. « Riyad et l'Arabie saoudite sont des partenaires stratégiques pour
la France. (L'affaire) ne remet pas en cause ce partenariat stratégique », a
affirmé le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, qui a toutefois annulé sa
participation au « Davos du désert ». De son côté, Emmanuel Macron a annoncé
qu'il parlerait prochainement au roi Salman. En attendant, la France « sursoit
à certaines visites politiques en Arabie saoudite ».
La faible réaction européenne vis-à-vis de Riyad n'est
pas nouvelle. Dans la région, les Occidentaux ont toujours fait primer leurs
intérêts commerciaux sur les principes, et fermé les yeux sur les excès de
l'Arabie saoudite, notamment la sale guerre qu'elle mène au Yémen, où elle
bombarde des civils. Les rares pays ayant essayé de s'opposer à Riyad ont dû
faire demi-tour, comme l'Allemagne et l'Espagne, pour conserver leurs contrats
d'armements. En août dernier, un simple tweet de l'ambassade canadienne, qui
s'était dite «gravement préoccupée» par une vague d'arrestations de militants
des droits de l'homme, avait provoqué une crise diplomatique entre Riyad et Ottawa.
À l'époque, les pays européens n'avaient pas réagi. « L'Union européenne
s'accroche à ses contrats. Elle n'a guère d'intérêts géopolitiques dans la
région où elle a été marginalisée sur le dossier syrien et sur le conflit
israélo-palestinien », poursuit Agnès Levallois, la vice-présidente de
l'Institut de recherches et d'étude Méditerranée Moyen-Orient (iReMMO). L'UE
est en outre trop accaparée par ses problèmes internes - Brexit, montée des
populismes, crise migratoire - pour se permettre une rupture économique avec
l'Arabie saoudite.
L'affaire Khashoggi aura-t-elle davantage de
conséquences au Moyen-Orient ? L'Iran, qui s'est pour l'instant gardé de tout
commentaire, pourrait en théorie en être le principal bénéficiaire. Si
Washington prend ses distances avec l'Arabie saoudite, son principal allié dans
la lutte contre l'expansion régionale de l'Iran, le retrait des États-Unis de l'accord sur le nucléaire
pourrait-il être reconsidéré ? L'imposition, le 5 novembre, de nouvelles
sanctions américaines contre l'Iran tombe fort mal à propos. L'émotion
provoquée dans les opinions publiques par l'affaire Khashoggi donnera-t-elle un
poids nouveau aux arguments français, favorisant un sauvetage de l'accord sur
le nucléaire avec Téhéran ?
« MBS a sapé les efforts pour bâtir un consensus
international destiné à faire pression sur l'Iran », écrit l'ancien ambassadeur
américain à Tel-Aviv Daniel Shapiro, dans le journal israélien Haaretz.
Mais les experts, qui insistent sur l'obsession anti-iranienne de Donald Trump
et de Benyamin Nétanyahou, n'y croient guère. « Le facteur décisif sera
l'attitude du président américain », dit l'un d'eux. Or la Maison-Blanche a
besoin de Riyad pour contenir l'Iran, mais aussi pour garder le contrôle
des prix du pétrole et relancer le processus de paix au Proche-Orient. Que vaut
en outre la vie d'un éditorialiste, fût-il du Washington Post, quand
même le fait que 15 des pirates de l'air du 11 Septembre étaient saoudiens n'a
pas changé la politique saoudienne de Washington ?
Et si les changements venaient plutôt de l'intérieur
du régime saoudien? Un règlement de comptes à Riyad pourrait permettre aux
relations commerciales avec l'Occident de reprendre leur rythme habituel.
Conclusion d'un diplomate français : « Tout le monde ménage l'avenir. Dans la
région, l'Iran est passé par pertes et profits et la Turquie est instable. Les
pays du Golfe restent des marchés porteurs. Les Saoudiens le savent. »
Isabelle Lasserre
Le Figaro, 18 octobre 2018