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07 février 2017

Gentils islamistes de Téhéran

Le Président iranien Hassan Rouhani

Tout lecteur de la rubrique « International » dans les médias, aura noté une évolution sensible dans la façon de rapporter l’actualité concernant l’Arabie Saoudite.
Alors que, à la belle époque de la « politique arabe » de la France, il n’était pas de bon ton de décrire ce pays pour ce qu’il était – et reste toujours -, à savoir une monarchie de type féodal, couplée à une théocratie où le Coran sert de Constitution et où les Droits de l’Homme n’existent pas, on en parle maintenant de plus en plus ouvertement critique.
Pas encore aux 20 heures des journaux télévisés, où les affaires internationales représentent toujours la portion congrue. Mais de manière de plus en plus récurrente dans les émissions réservées à un public plus averti, en particulier sur les chaînes d’information en continu où des experts du Moyen-Orient viennent partager leurs analyses.
Et là, le portrait donné est sévère : un pays fragile qui risque de se décomposer ; une puissance agressive qui bombarde le Yémen voisin ; et, surtout, le centre idéologique de l’islamisme radical, et le parrain plus ou moins direct d’Al-Qaïda et de son rejeton, l’État islamique, avec qui nous sommes en guerre.
Or à côté de cela, dans un contraste saisissant, l’Iran semble étrangement ménagé. Si on prend par exemple le fil sur ce pays publié ces derniers mois dans un journal réputé sérieux comme Le Monde, on note une majorité d’articles traitant de son dynamisme économique retrouvé, de l’ouverture supposée de sa société, ou invitant à visiter un « pays fascinant » : comment l’expliquer ? Les raisons sont multiples, et je vais essayer de vous les résumer.
  1. L’Iran est rentré dans le concert international suite à l’accord sur le nucléaire
On le sait, cet accord signé en juillet 2015 a permis la levée des sanctions économiques, en échange de certains engagements de Téhéran, et d’un contrôle de l’AIEA censé garantir un gel de son programme militaire.
Depuis début 2016, tous les embargos commerciaux ont été levés, et des dizaines de sociétés pétrolières se disputent des méga contrats, tout comme les géants de l’industrie aéronautique ; on sait, déjà, que plus d’une centaine d’Airbus ont été vendus, et que Boeing suivra.
On se retrouve donc avec Téhéran avec la même fascination – mi intéressée, mi partagée de façon purement grégaire -, que l’on a eu dans le passé pour l’Arabie ou pour l’Irak sous Saddam Hussein.
  1. Téhéran n’a plus qu’une cible officielle, Israël, et cela ne dérange personne
Officiellement, les discours de la République Islamique d’Iran vis à vis du monde extérieur apparaissent fort raisonnables par rapport aux provocations de la période Ahmadinejad.
Pourtant, elle n’a jamais varié dans son approche d’Israël, toujours présenté dans les discours officiels comme un corps étranger, le bourreau des Palestiniens et une menace pour à la fois la région, l’islam et le monde entier. La fin de l’État juif est tantôt annoncée, tantôt brandie comme une menace à chaque défilé militaire où l’on entend le slogan « Mort à Israël ».
Mais, personne n’en fait le reproche à la théocratie de Téhéran. Et on peut à cela proposer deux explications : soit ces menaces ne sont pas prises au sérieux ; soit on ne dit rien, justement parce que la disparition d’Israël ne serait pas un drame pour beaucoup de journalistes ou d’experts.
  1. C’est l’Etat Islamique et non l’Iran qui nous a déclaré la guerre
Il s’agit de la raison la plus aveuglante, et contre laquelle il est difficile de convaincre le grand public : les djihadistes qui ont semé la mort et la désolation, en France comme en Europe, au Moyen-Orient ou en Afrique, sont des Sunnites totalement étrangers à l’Iran, et qui même le considèrent comme un ennemi car c’est une puissance chiite, hérésie non musulmane pour ces fanatiques.
D’où les propos de plusieurs candidats à l’élection présidentielle, François Fillon en tête, nous invitant par exemple à nous rapprocher de l’Iran pour contrer cette menace.
C’est oublier, un peu vite, l’agenda propre de Téhéran, puissance montante et qui pousse ses pions partout dans le monde arabe : mais pour le Français moyen, le tueur qui risque de l’assassiner demain a plus d’importance que cette géopolitique complexe, et on peut le comprendre.
  1. Un discours pacifique hypocrite mais efficace
Qu’on le lise sur les réseaux sociaux ou au détour d’un débat sur un plateau télévisé, le discours de l’Iran semble imparable : « notre pays n’a jamais attaqué personne, et nous ne développons notre armée que pour défendre notre indépendance ».
En terme de guerre ouverte, c’est vrai, l’horrible première guerre du Golfe et son million de morts avait résulté d’une agression de Saddam Hussein.
Sauf que c’est par milices interposées que la République Islamique est intervenue, en Irak pour mater les Sunnites ; à Beyrouth, où le Hezbollah à force d’intimidation détient maintenant le pouvoir politique et militaire ; en Syrie, où des contingents iraniens ont aidé à écraser la rébellion ; et au Yémen, où les tribus Houthis ont failli contrôler le pays ; cela fait beaucoup pour un pays pacifique, qui s’est en outre doté de missiles à longue portée pouvant atteindre l’Europe !
  1. Khomeiny a libéré le diable islamiste de sa bouteille, mais tout le monde l’a oublié
On n’en parle pratiquement plus, mais l’Iran a été à le premier pays où une idéologie islamiste radicale a pris le pouvoir en 1979.
Même si par la suite le courant « réaliste » a freiné ceux qui voulaient « exporter » tout de suite la révolution, même si les Frères Musulmans égyptiens avaient semé quelques décennies avant les graines de ce nouveau totalitarisme, l’impact en fut immense dans le monde musulman.
Le régime iranien a été le premier à utiliser le terrorisme contre les Occidentaux, assassinant à Paris ses opposants en fuite comme Chapour Bakhtiar, ou massacrant les soldats américains et français à Beyrouth, par Hezbollah interposé.
Mais cela, c’était il y a 30 ans, tout le monde l’a oublié et les nouvelles générations n’ont pas grandi en intégrant les réalités de l’époque.
  1. Une pseudo démocratie qui aveugle les gogos
Lors de l’élection de l’Ayatollah Hassan Rouhani, en août 2013, on aura lu et entendu que c’était les « réformateurs » qui avaient gagné les élections contre les « conservateurs ».
Or on avait dit exactement pareil 16 ans avant, en 1997, au moment de l’élection de Mohammad Khatami : mais avait-on à l’époque constaté la moindre évolution en termes de libertés intérieures ou de politique étrangère ? Absolument pas, et sous Rouhani, non plus.
Le vrai « patron » de l’Iran n’est pas le président élu, mais l’Ayatollah Ali Khameneï, « Guide suprême de la Révolution islamique » depuis 1989.
C’est lui qui incarne la ligne idéologique du régime, en digne successeur de Khomeiny. Mais, même si la constitution iranienne est particulièrement tordue avec le contrôle omniprésent par des institutions non élues, il est vrai « qu’il n’y a pas photo » avec l’Arabie Saoudite, monarchie absolue où il n’y aucun parlement.
  1. Une meilleure image que l’Arabie Saoudite, mais ce n’est pas difficile
On a lu, surtout depuis l’apparition de l’État Islamique et la diffusion sur Internet de ses pratiques barbares, que son vrai modèle était en fait l’Arabie, où effectivement on décapite au sabre, où l’on coupe la main des voleurs et où la lapidation punit les Femmes adultères.
Certes, la République Islamique d’Iran a une meilleure image, notamment pour la condition féminine : là bas, aller à l’Université, conduire une voiture, ou sortir seules ou en groupes y est accepté, contrairement au Royaume Saoudien.
Mais c’est oublier un peu vite qu’en matière de peine de mort, l’Iran détient un record mondial rapporté à sa population ; que le voile est imposé aux Femmes, qu’elles demeurent inégales en matières de droits individuels ; que l’on y coupe aussi la main aux voleurs, et que l’on y lapide également !
  1. Un islamisme jugé non exportable
Alors que l’islam fait les couvertures des journaux et que l’on s’inquiète de l’entrisme des Frères Musulmans, d’une part, et des recrutements des Salafistes, d’autre part, journalistes et experts évoquent une menace spécifiquement sunnite : flux financiers impressionnants en provenance du Golfe dans le but d’exporter un wahabbisme incompatible avec les Lois de la République ; formation en Arabie Saoudite d’imams salafistes ; tout cela fait peur, et on le comprend.
Mais il suffirait que nos journalistes lisent de façon à peu plus approfondie la littérature complotiste et antisémite – sous couvert « d’antisionisme » – pour découvrir une autre propagande, efficace, fortement diffusée par les réseaux sociaux et relayant des médias russes ou iraniens : une large proportion des jeunes, musulmans ou non, voient à présent en l’Iran et en la Russie de Poutine les héros de la résistance à la « mondialisation » et à « l’ordre américano-sioniste » ; et cela est aussi très déstabilisant pour nos sociétés.
  1. « Iran tolérant », la vitrine des minorités
C’est en apparence l’argument le moins important, mais il a certainement son influence dans la bonne côte de l’Iran face à une Arabie de plus en plus détestée.
Oui, il demeure des minorités qui subsistent au sein de la République islamique, juifs (les trois quart ont fui le pays), chrétiens (surtout arméniens). Oui, ils ont le droit de pratiquer leur culte, même s’ils ont le statut de « dhimmis ».
En contraste, il est interdit, dans le Royaume Saoudien, de pratiquer une autre religion que l’islam. Et il est vrai, aussi, que les chrétiens de Syrie et d’Irak ont été massacrés dans les zones contrôlées par les djihadistes, et se sont donc ralliés naturellement aux régimes en place, donc à leurs protecteurs iraniens.
Les Français d’origine libanaise ou arménienne sont certainement sensibles à ces éléments là, et cela contribue aussi à la propagande de Téhéran.

Jean Corcos

Nota :

Cet article a déjà été publié le 24 janvier dans le cadre du blog que je tiens régulièrement sur l'excellent "Times of Israël". Pour le retrouver dans sa présentation originale,