Maryam Namazi
ENTRETIEN. Cette Iranienne militante
de la laïcité défend des apostats menacés de mort dans 13 pays et
appelle son camp – la gauche – à ne pas les trahir.
Née à Téhéran en 1966, Maryam Namazie a quitté l'Iran après
l'avènement de la République islamique en 1979. Cette femme de gauche,
militante des droits de l'homme et des réfugiés, est devenue une passionaria de
la laïcité et une farouche opposante au relativisme culturel. En 2007, elle
fonde en Grande-Bretagne le Conseil des ex-musulmans, pour porter l'attention
sur la situation des apostats, menacés de mort dans les États où s'applique la
charia, et encore trop souvent obligés à la discrétion dans nos pays
occidentaux. En juillet dernier, à Londres, Maryam Namazie a organisé une
conférence sur la « liberté de conscience et d'expression », le plus
grand rassemblement d'ex-musulmans de l'histoire. Entretien avec une
combattante qui, depuis de longues années, déplore que son camp politique – les
progressistes – fasse alliance avec des théocrates rétrogrades, bafouant ainsi
la liberté d'expression au nom de « l'islamophobie », tout en
trahissant les victimes de l'islamisme qui ne rêvent, eux, que d'universalisation
de la laïcité.
Le Point : Vous avez grandi à Téhéran. Comment êtes-vous
devenue athée ?
Maryam Namazie : Je suis devenue athée peu à peu. On
peut arriver à l'athéisme par plusieurs chemins. Pour moi, cela a été la
conséquence naturelle du fait de vivre dans une théocratie. Si Dieu me déteste
à ce point, pourquoi croirais-je en lui ? La révolution iranienne était de
gauche et il y avait beaucoup d'athées dans ce pays. Mais dans les
années 1980 – la décennie sanglante –, beaucoup d'entre eux ont été
exécutés après des procès sommaires. On leur demandait « croyez-vous en
Dieu », et quand ils répondaient « non », on les sortait et on
les abattait. Parfois, des centaines par jour. À titre personnel, je ne me suis
jamais sentie ostracisée ou exclue du fait de mon athéisme. À vrai dire, c'est
quand j'ai fondé le Conseil des ex-musulmans de Grande-Bretagne
en 2007 que j'ai pour la première fois rencontré des personnes qui
étaient effrayées de se dire athées, et beaucoup d'entre elles étaient nées sur
le sol britannique. En Iran, il y a une réaction anti-islamique, et la critique
ou les moqueries contre la religion sont plus normalisées qu'ici, en
Grande-Bretagne. C'est évidemment ironique, sachant que l'apostasie, le
blasphème et l'hérésie sont tous des délits passibles de la mort sous le régime
islamique iranien.
Cela veut-il dire que même dans un pays comme la
Grande-Bretagne, il est toujours difficile de quitter une religion comme
l'islam ?
Cela n'est pas difficile pour tout le monde. Certains
ont le soutien de leur famille, comme cela a été mon cas. Mais pour d'autres,
cela reste toujours compliqué d'être considéré comme un apostat. On voit
notamment beaucoup de jeunes qui doivent faire face à la violence, l'ostracisme
et des menaces, tout cela parce qu'ils ne veulent plus être musulmans. Nous
avons ainsi des membres qui portent toujours le voile et vont à la mosquée, des
ex-musulmans qui vivent dans « le placard ». D'autres souffrent de
dépression et de tentations suicidaires. Et puis, bien sûr, beaucoup choisissent
de vivre librement en dépit des menaces et risques que cela implique.
Quelle est la situation actuelle des apostats dans les
pays de culture musulmane ?
Les apostats sont en grand danger dans les pays sous
la loi islamique. Dans treize États, ils sont menacés de mort. Dans bien
d'autres, ils peuvent être tués par des mouvements de foule ou par les familles
au nom de « l'honneur ». Et même dans les pays où légalement ils ne
risquent pas la peine de mort comme en Egypte, ils peuvent toujours perdre
leurs droits civiques et risquent d'être assassinés par les islamistes. Alors
qu'ici, en Occident, les critiques de l'islam sont traités
d'« islamophobes », ce qui est de fait une interdiction du droit au
blasphème, les lois dans les pays islamiques servent à condamner beaucoup de
personnes – même les croyants – pour blasphème et apostasie, que ce soient des
minorités religieuses, des dissidents ou des libres-penseurs.
Vous êtes une femme de gauche très critique envers
l'islam. Qu'est-ce qui vous distingue de ceux qui, comme Eric Zemmour ou
Douglas Murray, critiquent cette religion de l'autre côté de l'échiquier
politique ?
Alors qu'ils se détestent entre eux, il y a pourtant
beaucoup de choses qui relient les pro-islamistes de gauche et l'extrême
droite. Les deux déshumanisent les musulmans en en faisant une masse homogène
et en les plaçant dans une case. Les pro-islamistes le font en voyant dans les
musulmans une communauté à défendre. Mais ils oublient ainsi qu'ils ne
défendent pas des valeurs de gauche et progressistes, mais ce que les
islamistes définissent comme une culture et religion « authentique ».
L'extrême droite, elle aussi, ne voit qu'une masse homogène envahissant
l'Occident. Ils oublient que beaucoup de ceux qui viennent ici – comme moi –
veulent justement fuir le mouvement islamique, que nous sommes contre le
totalitarisme et que comme n'importe qui nous voulons la liberté et des droits
qui ne sont pas occidentaux, mais universels.
Après la publication des caricatures de Mahomet , vous
aviez, en compagnie de Salman Rushdie ou Ayaan Hirsi Ali, signé le
« Manifeste des douze contre le nouveau totalitarisme », publié par Charlie
Hebdo en 2006. Comment jugez-vous des écrivains comme Joyce Carol Oates ou Russel
Banks, qui, en 2015, alors que ce journal a été décimé par des djihadistes, se
sont opposés à ce qu'on lui remette un PEN Award ?
Quelle trahison ! Quand un écrivain considère les
islamistes comme des représentants du « disempowerment » (baisse du pouvoir
masculin, NDLR) et voit en Charlie Hebdo de « l'arrogance
culturelle », c'est que notre monde est mis sens dessus dessous. Ils
considèrent Charlie à travers le regard de nos oppresseurs. Alors que
pour moi, ce journal représente ceux, nombreux, qui osent s'exprimer contre la
religion et les conservateurs religieux, et se retrouvent en retour accusés de
blasphème et d'apostasie, ou doivent fuir pour sauver leurs vies. Dire qu'on
« soutient la liberté d'expression, mais pas quand cela offense des personnes »
comme l'ont fait les signataires de cette pétition contre Charlie, ce
n'est pas défendre cette liberté d'expression ; c'est au contraire une
défense de la censure.
Êtes-vous optimiste pour les athées dans le monde
islamique ?
Ce n'est pas le « monde islamique », tout
comme l'Occident n'est pas le « monde chrétien ». Il y a tellement de
croyances et d'opinions au Moyen-Orient, en Afrique du Nord ou dans l'Asie du
Sud... Il y a beaucoup d'athées et de laïcs, y compris chez des croyants. Le
fait de le qualifier de « monde islamique » fait partie de cette
offensive pour en faire justement des contrées uniformément islamiques. Mais en
réponse à cela, il y a un tsunami d'athéisme, et on le voit clairement à
travers les réseaux sociaux et Internet qui sont en train de faire à l'islam ce
que l'imprimerie a fait au christianisme.
Comment analysez-vous la contestation dans votre pays
natal, l'Iran, contre un régime dirigé par le « réformiste »
Rohani ?
Ces manifestations sont différentes des précédents
mouvements de révolte. Les gens ne veulent plus faire marche arrière, ils n'ont
plus aucune illusion sur la faction « réformiste » de ce régime, et
ils veulent en finir avec les lois théocratiques. Les slogans sont contre la
pauvreté, la corruption, mais aussi contre la répression. Ciblant notamment le
cléricalisme, ces protestations ont eu lieu dans 60 villes à travers
l'Iran, y compris la « ville sainte » de Qom. Et l'une des
caractéristiques de ce mouvement est qu'il est féministe, comme l'a symbolisé
la photo de cette femme brandissant son voile au bout d'un bâton. C'est pour
cela que cette contestation doit être soutenue par les féministes et laïcs du
monde entier.
Propos
recueillis par Thomas Mahler
4 janvier
2018, Le Point