50% des élèves musulmans à Bruxelles sont antisémites ? Oui, mais… Si la question qui a suivi la publication des résultats de l’étude universitaire « Jong in Brussel » mérite d’être posée, elle se doit pour être analysée avec sérieux d’être accompagnée de quelques explications. Le sociologue Mark Elchardus nous en a livré les détails.
Le 12 mai 2011, la plupart des médias francophones relayaient l’information suivante : « La moitié des élèves musulmans à Bruxelles est antisémite » ! Stupéfaction pour certains, peu d’étonnement pour d’autres, indignation du cote musulman… on le serait à moins. A moins que l’on essaie de comprendre comment ces chiffres ont été obtenus, quelle est leur signification, quel échantillon a été interroge et dans quelles conditions ? De nombreuses questions, nécessaires avant de crier à la manipulation. Ou à une bien triste réalité.
Collaboration universitaire
Subsidiée par le gouvernement flamand, la Plateforme de recherche sur la jeunesse en Flandre est le résultat d’une collaboration entre les départements de criminologie de la KUL (Université de Louvain), de pédagogie sociale de l’Université de Gand et le centre de recherche en sociologie de la VUB (Vrije Universiteit Brussel). Elle a pour objectif de suivre l’évolution de la jeunesse flamande, en tenant l’inventaire des étudesdéjà faites, en les commentant et en les diffusant sur internet, mais aussi en réalisant de nouvelles enquêtes.
Si deux études ont déjà été menées en Région flamande, l’étude « Jong in Brussel » est une première. Son but : livrer l’image la plus fidèle de la jeunesse flamande à Bruxelles. Pour s’adresser directement aux jeunes flamands, minoritaires dans la capitale, les auteurs ont décidé de reprendre les jeunes inscrits dans l’enseignement flamand (sept. 2010) et de passer par les écoles pour soumettre leur questionnaire : quelque 2.800 jeunes issus de 32 écoles secondaires flamandes, sur les 42 recensées à Bruxelles, ont ainsi participé à l’enquête.
« Nous avons aussi voulutenir compte de plusieurs spécificités liées à la grande ville qui peuvent influer le comportement des jeunes », précise le professeur Mark Elchardus (VUB), co-auteur de l’étude. « Sur base de nos questionnaires précédents, nous avons donc ajoutéou développédes chapitres, tels que la diversité culturelle, l’usage de drogue et d’alcool, l’attitude des jeunes envers les autres cultures, les contacts entre jeunes, la violence, la délinquance et l’antisémitisme ».
Antisémitisme religieux
Comment établir l’antisémitisme de quelqu’un, et pourquoi avoir choisi cet indicateur pour évaluer la jeunesse flamande ? La réponse de Mark Elchardus comme les résultats obtenus ne manquent pas d’intérêt : « Nous avons soumis aux interrogés quatre thèses correspondant aux clichés antisémites les plus répandus », explique-t-il,« avec des réponses de 1 à 5 (de “pas d’accord du tout”à“tout à fait d’accord”) ». On ne pourra contester que marquer son accord à « la plupart des Juifs pensent être meilleurs que les autres », « la plupart des Juifs incitent à la guerre et reportent la faute sur les autres », « la plupart des Juifs veulent tout dominer », ou « quand on fait des affaires avec les Juifs, il faut veiller à ne pas se faire rouler »… donne une bonne idée du degré d’antisémitisme de la personne sondée. « Le choix de l’antisémitisme comme indicateur permet de rendre compte du sentiment des allochtones envers les autochtones, ce qui n’avait encore jamais été étudié, beaucoup d’études portant uniquement sur le racisme des Belges », souligne le sociologue.
Reste à savoir comment interpréter les chiffres : de 8% des jeunes acceptant l’idée que les Juifs incitent à la guerre, à 13% qu’il faut se méfier des Juifs en affaires… « Quand on sait que 9% des jeunes flamands se déclarent racistes, une moyenne de 10% n’est pas un chiffre très alarmant », assure Mark Elchardus, qui nuance : « Si on tient compte en revanche de la religion des jeunes interrogés, on constate que 47% des musulmans (croyants plus ou moins stricts) approuvent quand on leur dit que les Juifs pensent être meilleurs que les autres et 57% pensent réellement qu’ils veulent tout dominer. C’est cette différence entre les non-musulmans et les musulmans qui est intéressante. Même si j’ai été très surpris personnellement, au vu de la sécularisation du catholicisme en Europe, de constater que chez les catholiques pratiquants, on obtient tout de même un chiffre de 38% *, qui ne peut être justifié par des facteurs sociaux ».
De façon générale, les études indiquent que les préjugés ethniques, dont l’antisémitisme, sont plus répandus chez les garçons, et chez les jeunes qui se sentent menacés ou en insécurité. « Mais la différence entre musulmans et non-musulmans reste inexpliquée », analyse Mark Elchardus.« Une partie pourrait être due à un antisémitisme théologique, puisque les chrétiens pratiquants sont aussi plus antisémites que les non-pratiquants. Le rôle du conflit israélo-palestinien n’est probablement pas non plus à négliger, et on voit que les écoles qui ont la plus forte concentration de musulmans ont aussi le taux d’antisémitisme le plus élevé… ».
Oui, mais… la proportion de jeunes musulmans interrogés est-elle représentative ? « Les écoles flamandes bruxelloises comptent 46,4% d’élèves musulmans », note Mark Elchardus. Il conclut : « Notre objectif n’est bien sûr pas de raviver les tensions, mais de rappeler que les écoles flamandes ont pour mission de combattre les préjugés et de stimuler la tolérance. Elles doivent pour y arriver tenir compte de la composition de leur population. On n’agit pas à Bruxelles comme on le ferait à Roulers. Une chose essentielle pour combattre l’antisémitisme serait de redéfinir le sionisme et de faire la distinction entre la position qu’on peut avoir par rapport à la politique d’un pays et celle qu’on peut avoir par rapport à un groupe ethnico-religieux ».*
*A titre comparatif, on obtient entre 30 et 32% chez les libres penseurs, non-croyants et croyants non pratiquants.
Le 12 mai 2011, la plupart des médias francophones relayaient l’information suivante : « La moitié des élèves musulmans à Bruxelles est antisémite » ! Stupéfaction pour certains, peu d’étonnement pour d’autres, indignation du cote musulman… on le serait à moins. A moins que l’on essaie de comprendre comment ces chiffres ont été obtenus, quelle est leur signification, quel échantillon a été interroge et dans quelles conditions ? De nombreuses questions, nécessaires avant de crier à la manipulation. Ou à une bien triste réalité.
Collaboration universitaire
Subsidiée par le gouvernement flamand, la Plateforme de recherche sur la jeunesse en Flandre est le résultat d’une collaboration entre les départements de criminologie de la KUL (Université de Louvain), de pédagogie sociale de l’Université de Gand et le centre de recherche en sociologie de la VUB (Vrije Universiteit Brussel). Elle a pour objectif de suivre l’évolution de la jeunesse flamande, en tenant l’inventaire des étudesdéjà faites, en les commentant et en les diffusant sur internet, mais aussi en réalisant de nouvelles enquêtes.
Si deux études ont déjà été menées en Région flamande, l’étude « Jong in Brussel » est une première. Son but : livrer l’image la plus fidèle de la jeunesse flamande à Bruxelles. Pour s’adresser directement aux jeunes flamands, minoritaires dans la capitale, les auteurs ont décidé de reprendre les jeunes inscrits dans l’enseignement flamand (sept. 2010) et de passer par les écoles pour soumettre leur questionnaire : quelque 2.800 jeunes issus de 32 écoles secondaires flamandes, sur les 42 recensées à Bruxelles, ont ainsi participé à l’enquête.
« Nous avons aussi voulutenir compte de plusieurs spécificités liées à la grande ville qui peuvent influer le comportement des jeunes », précise le professeur Mark Elchardus (VUB), co-auteur de l’étude. « Sur base de nos questionnaires précédents, nous avons donc ajoutéou développédes chapitres, tels que la diversité culturelle, l’usage de drogue et d’alcool, l’attitude des jeunes envers les autres cultures, les contacts entre jeunes, la violence, la délinquance et l’antisémitisme ».
Antisémitisme religieux
Comment établir l’antisémitisme de quelqu’un, et pourquoi avoir choisi cet indicateur pour évaluer la jeunesse flamande ? La réponse de Mark Elchardus comme les résultats obtenus ne manquent pas d’intérêt : « Nous avons soumis aux interrogés quatre thèses correspondant aux clichés antisémites les plus répandus », explique-t-il,« avec des réponses de 1 à 5 (de “pas d’accord du tout”à“tout à fait d’accord”) ». On ne pourra contester que marquer son accord à « la plupart des Juifs pensent être meilleurs que les autres », « la plupart des Juifs incitent à la guerre et reportent la faute sur les autres », « la plupart des Juifs veulent tout dominer », ou « quand on fait des affaires avec les Juifs, il faut veiller à ne pas se faire rouler »… donne une bonne idée du degré d’antisémitisme de la personne sondée. « Le choix de l’antisémitisme comme indicateur permet de rendre compte du sentiment des allochtones envers les autochtones, ce qui n’avait encore jamais été étudié, beaucoup d’études portant uniquement sur le racisme des Belges », souligne le sociologue.
Reste à savoir comment interpréter les chiffres : de 8% des jeunes acceptant l’idée que les Juifs incitent à la guerre, à 13% qu’il faut se méfier des Juifs en affaires… « Quand on sait que 9% des jeunes flamands se déclarent racistes, une moyenne de 10% n’est pas un chiffre très alarmant », assure Mark Elchardus, qui nuance : « Si on tient compte en revanche de la religion des jeunes interrogés, on constate que 47% des musulmans (croyants plus ou moins stricts) approuvent quand on leur dit que les Juifs pensent être meilleurs que les autres et 57% pensent réellement qu’ils veulent tout dominer. C’est cette différence entre les non-musulmans et les musulmans qui est intéressante. Même si j’ai été très surpris personnellement, au vu de la sécularisation du catholicisme en Europe, de constater que chez les catholiques pratiquants, on obtient tout de même un chiffre de 38% *, qui ne peut être justifié par des facteurs sociaux ».
De façon générale, les études indiquent que les préjugés ethniques, dont l’antisémitisme, sont plus répandus chez les garçons, et chez les jeunes qui se sentent menacés ou en insécurité. « Mais la différence entre musulmans et non-musulmans reste inexpliquée », analyse Mark Elchardus.« Une partie pourrait être due à un antisémitisme théologique, puisque les chrétiens pratiquants sont aussi plus antisémites que les non-pratiquants. Le rôle du conflit israélo-palestinien n’est probablement pas non plus à négliger, et on voit que les écoles qui ont la plus forte concentration de musulmans ont aussi le taux d’antisémitisme le plus élevé… ».
Oui, mais… la proportion de jeunes musulmans interrogés est-elle représentative ? « Les écoles flamandes bruxelloises comptent 46,4% d’élèves musulmans », note Mark Elchardus. Il conclut : « Notre objectif n’est bien sûr pas de raviver les tensions, mais de rappeler que les écoles flamandes ont pour mission de combattre les préjugés et de stimuler la tolérance. Elles doivent pour y arriver tenir compte de la composition de leur population. On n’agit pas à Bruxelles comme on le ferait à Roulers. Une chose essentielle pour combattre l’antisémitisme serait de redéfinir le sionisme et de faire la distinction entre la position qu’on peut avoir par rapport à la politique d’un pays et celle qu’on peut avoir par rapport à un groupe ethnico-religieux ».*
*A titre comparatif, on obtient entre 30 et 32% chez les libres penseurs, non-croyants et croyants non pratiquants.