Manifestants dans la ville de Deraa le 22 mars
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"Est-ce que la Syrie est en train d'atteindre le point de non retour ?", s'interroge Avi Issacharoff, l'excellent chroniqueur du "Haaretz" - lire sur ce lien .
Le fait est que, en quelques jours, une révolution semble réellement commencer dans le pays sans doutes le plus fermé du monde arabe. Alors que, bien entendu, la presse étrangère ne peut se déplacer librement et que les médias nationaux sont complètement "aux ordres", les mêmes moyens qui ont permis les révolutions tunisienne puis égyptienne permettent d'avoir des images des émeutes : films pris au moyen de téléphones portables ; envoi à travers le monde par la magie d'Internet ; et les révoltés anti-Assad arrivent à leur tour à faire douter le monde extérieur de la solidité d'un régime que l'on croyait éternel !
Pour ceux qui lisent l'anglais, l'article du "Haaretz" semblera bien prudent : il note qu'il n'y a eu, pour le moment, que des centaines de manifestants dans les grandes villes syriennes comme Damas, Homs ou Lattaquié, alors qu'ils étaient des milliers dans la ville de Deraa - où les tirs de l'armée auraient fait plus de 150 tués d'après des sites d'opposition ; mais il note aussi que - comme cela s'est passé avant dans d'autres pays arabes - le "mur de la peur" semble être tombé. Face à cette révolution, écrit Issacharoff, Bashar al - Assad utilise les mêmes réponses qui n'ont pas permis à Ben Ali puis à Moubarak de se maintenir au pouvoir : dénonciation d'un "complot de l'étranger" ; annonce de timides réformes ; et surtout, utilisation contre-productive de la force - chaque enterrement de victimes rallumant l'incendie ...
Mais essayons d'aller un peu plus loin à propos de ces évènements, en énonçant quelques commentaires personnels.
1. Le dictateur syrien suit bien sûr avec inquiétude ce qui se passe en Libye, qui représente un double précédent dans le monde arabe : une révolte armée contre un dictateur féroce, puis une intervention militaire internationale pour aider les rebelles. Il peut en tirer deux conclusions opposées : l'une qui consisterait à mater totalement dans le sang la révolution alors que les Occidentaux sont enlisés dans un nouveau conflit, en se disant qu'il ne risque rien ; l'autre qui l'inciterait à la prudence, par crainte de subir le sort de Kadhafi.
2. Au moment de la chute de Moubarak, Bashar al -Assad avait imprudemment avancé l'idée que son régime restait populaire en raison de son hostilité résolue à Israël : on voit que la suite des évènements lui a donné complètement tort, et que - comme l'avaient souligné les commentateurs de bonne foi - le conflit israélo-arabe est complètement évacué de cette vague révolutionnaire.
3. Mais cette nouvelle révolution donne aussi complètement tort à la plupart des commentateurs des sites et blogs juifs, qui se sont relayés pour nous expliquer que ces révolutions, qui touchaient des pays pro-occidentaux, faisaient l'affaire de l'Iran - donc, en poussant un peu le bouchon, étaient le résultat d'un "complot islamiste" : mais alors quid pour la Syrie, alliée fidèle de l'Iran ? Cette explication ne tient plus.
4. Dans la même veine, on a pu lire que Al-Jazeera - qui avait de vieux comptes à solder avec leurs régimes - avait mis de l'huile sur le feu en Tunisie puis en Egypte ; et on ajoutait que cette chaîne, propriété de l'Emir du Qatar, reflétait les intérêts de l'Emirat de plus en plus dans l'orbite iranienne ... Or les choses ne sont pas simples. On pourra ainsi, en visitant cette page Internet de la télé satellitaire - voir sur ce lien -, constater combien la révolution syrienne est à l'honneur, et découvrir au passage des films inédits qui font bien plaisir à visionner !
5. Au final, et si un régime aussi infect que celui des Assad tombe pour être remplacé par un gouvernement si ce n'est totalement démocratique, mais a minima plus proche de l'Occident et éloigné de l'Iran, ce serait toute la géopolitique du Moyen-Orient qui serait bouleversée : la Syrie a joué ces dernières années un rôle essentiel dans l'encerclement d'Israël par les forces de l'Islam radical - Hezbollah au Nord, Hamas au Sud ; et si ces milices terroristes perdaient leur refuge de Damas, beaucoup de choses changeraient ... en bien !