Rechercher dans ce blog

02 janvier 2009

Le voyage de Livni à Paris – ou « Tzipi au pays des merveilles »



Tzipi Livni et Bernard Kouchner,
Quai d'Orsay le 1er janvier 2009
(photo Reuters)

Introduction:

L’actualité galope au Proche Orient, et même si un blog n’est pas un site d’information, je me dois de publier rapidement cette analyse de mon amie Isabelle-Yaël Rose, reçue hier de Jérusalem. Comme à mon habitude, je publie les articles reçus de collaborateurs bénévoles aux sensibilités diverses, même si je ne partage pas toutes leurs évaluations. Ma correspondante juge sévèrement, à la fois l’empressement de Tzipi Livni à venir à Paris, et les initiatives diplomatiques venues du Quai d’Orsay : de mon côté - et les fidèles lecteurs l’ont bien relevé - j’ai un « faible » pour la candidate de Kadima, et je demeure convaincu que Nicolas Sarkozy est un ami sincère d’Israël, même si la diplomatie française a parfois été assez brouillonne - et le directeur de Judaïques FM, Vladimir Spiro, l’a parfaitement démontré à notre antenne tout à l’heure !
A vous de juger !
J.C
 
La ministre des Affaires étrangères israéliennes, Tzipi Livni, présidente du parti Kadima et candidate au poste de premier ministre, a décollé ce matin pour Paris. Le voyage de Livni a été accueilli d'une manière très sceptique par les médias israéliens : les raisons invoquées pour ce voyage sont entourées de confusions, lesquelles ont leur source dans un sentiment largement anti-français dans l'opinion qui ont leur origine dans le ministère des Affaires étrangères lui même, relayé par les journaux. Revenons sur le fil des événements.
Mardi 30 décembre, le ministre des Affaires étrangères français, Bernard Kouchner, a une conversation téléphonique avec le ministre de la Défense Ehoud Barak. Il lance l'idée d'une « trêve humanitaire » de 48 heures avec le Hamas, à laquelle Barak répond dans un premier temps d'une manière négative. Pourtant, dans une seconde conversation téléphonique, Barak se ravise et répond au ministre français qu'il « considère favorablement » son initiative. Livni, informée de la réponse de Barak, annonce immédiatement via son bureau un voyage pour Paris où elle doit rencontrer Kouchner afin de discuter avec lui de cette initiative. Mais le lendemain, coup de théâtre : suite à une réunion entre Barak, Olmert et Livni, le cabinet restreint annonce son rejet catégorique de l'initiative de Paris. Le bureau de Livni déclare alors que celle-ci se rend à Paris pour rencontrer le président français Nicolas Sarkozy, et empêcher celui-ci d'imposer à Israël la « trêve unilatérale » proposée par Paris. Que s'est-il passé dans la tête de Barak ? Dans celle de Livni ? Comment comprendre cet immense cafouillage diplomatique?
Barak a répondu à Kouchner qu'il « considérait favorablement » sa proposition. En hébreu, le mot employé était « lishkol », qui signifie : « examiner », « peser ». Barak a donc répondu à Kouchner qu'il examinait sa proposition, et non pas qu'il la recevait, auquel cas il aurait utilisé le mot « lekabel ». Dit autrement, Barak a agi en diplomate : dans le but de ne pas fermer définitivement la porte au nez des Français, dont les contacts avec le monde arabe - et plus particulièrement Damas - pourraient s'avérer utiles pour la suite des événements, il a répondu d'une manière suffisamment ambiguë pour ne pas les froisser. Sans s'engager. En fait, il s'agissait seulement de gagner du temps et de ne pas placer Israël dans la position de celui qui refuse les médiations. Mais si Barak n'a pas dit non, il n'a certainement pas dit oui. D'une part, une trêve à cette période aurait sans doute été prématurée. D'autre part, la médiation turque semble plus consistante que celle des Français. Enfin, comme l'a déclaré le président Shimon Peres, l'initiative française n'était même pas encore véritablement formulée. En effet, la proposition de Kouchner parlait de trêve « unilatérale » israélienne pour une période de 48 heures. En d'autres mots : toutes les obligations étaient israéliennes, comme si nous avions accepté de nous lier les mains, sans garantie ni contre-partie devant les agressions. D'autre part, à l'issue d'une réunion des ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne à Paris, Kouchner a évoqué une trêve israélienne sans plus faire référence à la période de 48 heures, se mettant ainsi au diapason de la proposition simultanée du Quartet. Bref, comme l'a dit Peres, les Français n'étaient pas encore arrivés à une formulation sérieuse de leur proposition de trêve, ils étaient encore en train de tâtonner. Mais Livni était déjà dans son avion pour parler avec les Français de la trêve. Il est vrai que Bibi était à Paris il y a une semaine où il a reçu les honneurs destinés à un chef d’État.
C'est à ce moment que le premier ministre Ehoud Olmert est entré en action. Et que Barak a du sérieusement se mordre la langue, lui même surpris par la dimension que les événements étaient en train de prendre : alors qu'il avait répondu à Kouchner poliment, et probablement aussi pour « tromper » le Hamas sur ses intentions ; le fait que Livni se déplace à Paris donnait subitement de la réalité à la proposition de la France, à la stupéfaction de tout le monde. Parce que celle-ci avait déclaré la semaine dernière qu'elle « ferait tomber le Hamas à Gaza », multipliant les déclarations agressives contre le mouvement, soutenant pleinement les opérations militaires, sans doute Barak a-t-il été surpris par la décision de Livni de partir brusquement en France discuter d'une proposition de trêve vague, floue, qui n'engageait personne, même pas Paris. Car il faut également resituer l'initiative de la France : elle ressemblait davantage à un ballon d'essai qu'à une initiative sérieuse. Pour preuves : elle émanait non pas de l’Élysée mais du Quai d'Orsay ; elle hésitait entre la mention des « 48 heures » et une formule pour une période indéterminée ; elle parlait de trêve unilatérale - qui engageait seulement Israël - quand on sait que l’Élysée est farouchement opposé à toute « unilatéralité ». Il est possible que Kouchner ait voulu profiter de ses derniers jours de présidence tournante de l'Union européenne pour initier un dernier acte diplomatique qui lui accorde les titres de la presse européenne.
Olmert et Barak ont été pris de court par la précipitation de Livni. C'est pourquoi le bureau du premier ministre s'est empressé de déclarer son opposition à l'initiative de Paris. Olmert avait semblablement été pris de court par Livni pendant la seconde guerre du Liban quand celle-ci avait voulu lancer les médiations diplomatiques dès le quatrième jour des opérations, sans consulter personne. Mais une autre personne a été prise de court : Kouchner. C'est une chose de répondre qu'on « considère favorablement » une proposition. Politiquement, ça ne veut rien dire et ça n'engage personne. Mais c'en est une autre que de venir en France pour discuter. C'est déjà s'engager politiquement. Kouchner ne s'attendait certainement pas à ce que Livni se déplace à Paris en pleine guerre, à la veille d'une probable offensive terrestre, pour discuter d'une initiative qui n'était même pas encore formulée et dont toute la charge pesait sur Israël. Il n'est pas à exclure que Kouchner ait fait cette proposition pour plaire aux amis arabes de la France, de manière à se placer dans une bonne position dans le cadre d'une future fonction de médiation, une fois terminées les opérations militaires. En fait, ce n'est pas à Israël que s'adressait cette proposition : elle s'adressait au Hamas et à Damas. Après les déclarations du président turc, selon lesquelles les attaques d'Israël dans la bande de Gaza sont « comme des attaques contre la Turquie », la France ne pouvait pas faire ou dire moins si elle voulait s'assurer encore une fonction de médiateur diplomatique. Sentant que les événements étaient en train d'échapper à tout contrôle, Sarkozy a donc décidé de les reprendre en main, directement : en effet, c'est seulement après que Livni ait annoncé son voyage à Paris qu'il a confirmé sa visite au Moyen-Orient, profitant d'un voyage programmé au Liban. Sarkozy a donc ainsi sauvé la mise à Livni, lui donnant un prétexte crédible pour son voyage en France : oubliée l'initiative de Paris, Livni vient en France pour préparer la visite de Sarkozy au Moyen-Orient.
Hier, Tsahi Hanegbi, un proche de Livni, a fait le siège de toutes les télévisions israéliennes pour dire tout le mal qu'il pensait de l'initiative de Kouchner. Haïm Ramon passe des heures à la télévision et à la radio à expliquer qu'il faut détruire le Hamas définitivement. Shaul Mofaz a déclaré ce matin que sans la libération de Guilad Shalit, l'opération militaire serait un échec. Kadima ne cesse de faire monter les enchères, transformant l'opération militaire - qui n'est même pas encore commencée ! - en objet de campagne électorale. Tandis que les premières victimes militaires israéliennes n'ont même pas encore été tuées ... Le silence du Likoud - même provisoire - est tout à son honneur et on comprend pour le coup pourquoi Olmert a quitté Netanyahou en bons termes, saluant en lui un chef de l'opposition honnête et responsable. Mais Le bureau de Livni multiplie les déclarations va-t-en guerre contre le Hamas, et déclare que l'objet de la visite de Livni est d'empêcher Paris de contraindre Israël à accepter sa trêve. Pourtant : non seulement Paris n'a jamais cherché à imposer sa trêve mais Paris n'a tout simplement jamais proposé de trêve. Si cela avait été le cas, le message serait venu de l’Élysée et non pas du Quai d'Orsay. Si cela avait été le cas, Paris aurait tout de même pris le soin de proposer des termes qui soient raisonnablement acceptables par Israël. Alors Livni peut bien taper sur la gueule des Français pour cacher son incompétence et sa précipitation - hautement dangereuses en temps de guerre. Si elle parvient à convaincre les Israéliens à peu de frais - ça marche toujours de taper sur les Français en Israël - elle ne parviendra pas en revanche à convaincre les Français. Finalement, en venant à Paris, Livni a donné elle même de la consistance à une initiative brouillonne contraire aux intérêts israéliens ; c'est elle qui a mis en scelle le président Sarkozy qui compte bien tenter d'éclipser les initiatives de la Turquie, pays a priori plus favorable à Israël que les diplomates de Paris [1]

Jérusalem, le 1er janvier 2009
Isabelle-Yaël Rose


[1] La Turquie est engagée depuis des années sur le dossier syrien. Sa position de pays musulman modéré en fait un interlocuteur de qualité, contrairement aux Français chrétiens qui sont perçus par les Arabes du Moyen-Orient comme des « croisés ». Leur ancien statut de pays mandataire en Syrie et au Liban, la colonisation de l'Algérie, de la Tunisie et du Maroc, leur valent également une réputation « d'impérialistes » et de « colons ». En se mettant à leurs côtés ouvertement - en diplomatie, si certains contacts existent, ils doivent rester discrets cependant - Israël donne donc l'illusion de travailler au service de l'impérialisme des chrétiens d'Europe. Cette visite en France produit un dernier effet désastreux : la Turquie est notre principal allié au Moyen-Orient, l'un des seuls parmi les pays musulmans ; or, le conflit entre la Turquie et Sarkozy est très vif depuis que ce dernier s'est opposé à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne. Certains Arabes y ont vu le signe d'une islamophobie, tout à fait injustifiée. En faisant entrer les Français sur la scène moyen-orientale, Livni - Israël - se met donc à dos la Turquie mais aussi les Arabes et les musulmans qui ont été choqués par le rejet de la Turquie de l'Union européenne.