Introduction :
Voici un nouvel article de ma « correspondante » à Jérusalem dont je vous recommande particulièrement la lecture ! Assez long, il va à l’essentiel en expliquant toutes les raisons (à la fois éthiques et pragmatiques) de ne pas négocier avec le Hamas. Au-delà de la critique d’un « expert » israélien - l’ancien chef du Mossad Ephraïm Halevy -, il pose parfaitement les enjeux : à lire et à diffuser à vos amis !
J.C
Lors de l'émission "London et Kirchembaum" diffusée lundi 19 janvier sur la chaîne 10 de la télévision israélienne, l'ancien chef du Mossad et ambassadeur d'Israël auprès de l'Union européenne, Efraïm Halevy, a exposé, accompagné du directeur-général du ministère des Affaires étrangères, les points principaux de sa doctrine. Pour les Israéliens francophones ne parlant pas l'hébreu, et pour les Juifs français qui n'ont pas accès à la télévision israélienne, il est intéressant de revenir sur les trois principes autour desquels s'articule la pensée d'Halevy : d'abord, Halevy a expliqué qu'Israël devait ouvrir des négociations officielles avec le mouvement islamiste ; ensuite, qu'il ne devait pas chercher à intervenir sur son idéologie ; enfin, qu'Israël ne devait pas s'ingérer dans les affaires palestiniennes, partant du principe que tous les pays arabes étaient favorables à une réconciliation entre les deux factions principales que sont le Hamas et le Fatah.
Pour le premier point, Halevy pense donc qu'Israël doit parler directement avec le Hamas et le reconnaître comme un interlocuteur politique officiel. Pour justifier sa position, celui-ci a affirmé qu'Israël négociait de toutes façons déjà avec le mouvement et qu'il fallait mettre fin à ce qu'il a appelé une « fiction diplomatique ». La fiction diplomatique désignait le fait que le gouvernement israélien ne reconnaît pas publiquement le mouvement - qu'il continue à qualifier de terroriste - comme il continue à agir au niveau des institutions internationales pour qu'elles fassent deux choses : qu'elles ne reconnaissent pas ses délégués, qu'elles interdisent toutes transactions financières. Sur ce sujet, Halevy a également expliqué qu'il s'agissait encore d'une fiction dans la mesure où l'argent qui arrive à l'Autorité palestinienne - seul représentant légitime et officiel du peuple palestinien - est redistribué, même indirectement, au Hamas. La position d'Halevy est d'autant plus surprenante qu'il est le conseiller de la ministre des Affaires étrangères Tzipi Livni, et que celle-ci s'est opposée au premier ministre Ehoud Olmert précisément autour de cette question au moment de l'opération militaire « plomb durci ». A titre de rappel : alors qu'Olmert ne voulait pas mettre un terme à l'opération militaire tant qu'un mécanisme n'était pas mis en place permettant le contrôle des mouvements d'armes à la frontière avec l’Égypte - Olmert ne voulait pas interrompre l'opération sans accord contraignant pour l’Égypte - Livni, dès la fin de la première semaine, était favorable à un retrait des troupes militaires sans accord. Selon elle, un accord aurait légitimé le Hamas. On comprend alors mal comment Israël pourrait s'engager dans des négociations officielles avec le Hamas sans légitimer le mouvement. On comprend encore plus mal comment il pourrait discuter avec le Hamas quand Livni a déclaré juste avant l'opération qu'il fallait détruire le mouvement et le chasser de Gaza. Mais il y a plus.
La diplomatie - et le monde politique en général - est en effet un monde fait de fictions. Mais ces fictions sont porteuses de sens et indiquent une direction. Une direction politique, mais aussi une direction morale - et la seconde n'est pas moins importante que la première à moins de vouloir couper la politique de toute orientation. Halevy a tort de dire qu'Israël est déjà engagé dans un dialogue avec le Hamas. Israël est engagée dans un dialogue soutenu et difficile avec l’Égypte qui a pris sur elle la tâche ardue de servir d'intermédiaire. Cette fiction est capitale : par elle, Israël montre qu'il ne parle qu'avec les autorités qui le reconnaissent comme État. Mieux : cette médiation égyptienne indique qu'Israël ne négocie qu'avec les pays liés à lui par un accord de paix. Si Israël se mettait donc à parler directement avec le Hamas, comme le préconise Halevy, cela aurait de terribles conséquences stratégiques : d'abord, faire perdre toute signification aux accords diplomatiques ; ensuite, encourager le terrorisme ; enfin, supprimer toutes les règles qui doivent gouverner le dialogue politique. Les Arabes, plus encore que les Européens, sont sensibles aux symboles. On le voit par exemple dans l'insistance avec laquelle le président syrien Bacher Assad a sans cesse rappelé que son pays n'était pas engagé dans des discussions directes avec Israël mais seulement dans des discussions indirectes, via la Turquie. Cette insistance indiquait que la Syrie n'avait pas encore fait le pas de reconnaître officiellement l’État d'Israël. Damas ne parlait qu'avec la Turquie, avec laquelle elle est liée par des accords politiques. La fiction peut alors sembler à Halevy inutile. Pourtant, elle est la trame symbolique et nécessaire qui tisse la réalité politique. Cette notion a fortement été thématisée d'abord par le philosophe anglais Thomas Hobbes puis, dans sa lignée intellectuelle, par le philosophe américain David Roth. Renoncer aux fictions, c'est alors renoncer à ce autour de quoi se constituent la vie politique et son expression la plus ultime : un état de guerre ou un état de paix. Nous sommes toujours en guerre avec la Syrie. Même si les armes se sont tues. Comme nous sommes toujours en guerre contre le Hamas. C'est ce que disent la politique et la diplomatie - ce monde constitué de fictions. Si Halevy préconise des accords directs avec le Hamas, il n'y a alors plus aucune raison pour refuser des accords directs avec le Hezbollah et l'Iran.
Mais il y a plus grave encore. Halevy a expliqué aux journalistes London et Kirchenbaum qu'Israël ne devait pas chercher à influencer l'idéologie du Hamas. Il a affirmé : « il faut les laisser régler leurs problèmes idéologiques eux mêmes, il faut les laisser faire ». Telle est précisément l'erreur qu'Israël avait faite avec l'OLP : Israël, dans sa naïveté, ou peut-être à cause de sa trop bonne volonté, ou peut-être encore parce que les États-Unis ne lui avaient pas laissé le choix, avait entamé des discussions avec l'OLP - Yasser Arafat - sans que celui-ci revienne sur la charte de l'OLP qui stipulait l'anéantissement d'Israël. Carter avait pensé que si Israël parlait directement avec l'OLP, l'OLP finirait par reconnaître Israël. C'est exactement le contraire qui s'est passé : en s'engageant dans des discussions avec l'OLP, Israël a provoqué sa reconnaissance internationale ; en provoquant sa reconnaissance internationale, il a non seulement permis à l'Europe et aux USA de financer l'OLP, mais il a encore perdu tout pouvoir de pression sur lui. Parce qu'il recevait maintenant l'argent des Européens et des États-Unis en même temps qu'il était reconnu comme interlocuteur politique légitime, Yasser Arafat n'avait plus aucune raison de revenir sur son idéologie. C'est ainsi que l'antisémitisme et l'anti-sionisme se sont durablement installés dans la société palestinienne. C'est ainsi qu'ils se sont diffusés en Europe et aux États-Unis dans un second temps, dans une espèce de vague de contamination irrésistible et universelle. C'est ainsi que les attentats kamikazes se sont multipliés, Arafat n'ayant aucune raison objective de les arrêter. Quand Halevy dit qu'il faut parler avec le Hamas et le laisser faire ses progrès idéologiques tout seul, Halevy prône en fait la même chose : renoncer à tout moyen de pression sur un Hamas qui ne fera certainement pas sa révolution idéologique sauf s'il y est contraint. Par la force. Quand on voit la haine que le Hamas voue à l'Autorité palestinienne - et ce sont des Arabes, des Palestiniens, pas des Juifs ; quand on voit la haine que les Islamistes vouent à la démocratie, il serait sans doute dangereux de s'en remettre à leur bonne volonté. Les terroristes ne sont pas animés par des bonnes intentions. Les Islamistes ne sont pas des hommes de bonne volonté. Ils ne connaissent qu'une seule raison d'être et ils ne comprennent qu'un seul langage. On aurait pu s'attendre à ce qu'un ancien chef du Mossad le sache. Et qu'il passe le message au ministère des Affaires étrangères. Si Israël reconnaissait le Hamas avant même qu'il ait entamé sa révolution idéologique - en clair : reconnaissance de l’État juif et renoncement au terrorisme - le Hamas n'aura alors aucune raison de faire sa révolution idéologique. Le message envoyé en Égypte et en Jordanie serait catastrophique. A quoi bon les accords de paix ? Pourquoi un gouvernement arabe devrait-il prendre le risque d'aller à contre-sens de son opinion si le Hamas est reconnu par Israël ? Quels arguments pour contrer les tendances antisémites et anti-sionistes dans les pays arabes ou en Turquie comme cela vient d'être le cas au moment de l'opération militaire à Gaza ? Pour contrer les opinions anti-israéliennes aux États-Unis, en Europe, dans les sociétés occidentales en général ? Et puis pourquoi alors Halevy reste-il aussi fermement hostile à un pays comme la Syrie ? Si Halevy est capable de parler avec Khaled Meschaal, il ne devrait pas faire tant de manières avec Assad. Après tout, Meschaal est en Syrie.
Ce qui nous amène au dernier point : l'argent. Israël a lutté pendant des années pour que le Hamas soit reconnu comme mouvement terroriste. Sous la présidence de Jacques Chirac, la France a résisté au sein de l'Union européenne pour que le Hamas ne figure pas sur la liste des mouvements terroristes. Mais grâce à la pugnacité de l'ancien ambassadeur d'Israël en France - Nissim Zvili - la France a finalement cédé et avec elle l'Union Européenne. Ce n'était pas seulement une question de nom, de qualification. Quand un mouvement est reconnu terroriste, il ne peut plus être financé et ses mouvements humains et financiers sont traqués. C'est parce que l'Iran était considéré comme un pays terroriste que les États-Unis ont pu mettre sur pied tout un arsenal juridique. Au niveau européen, la même chose a été faite pour le Hamas - et Israël se bat pour qu'il en soit de même avec le Hezbollah. Car sans argent, pas d'armes. Et sans argent, pas d'hommes. Les terroristes ne sont pas des philosophes : ce sont des tueurs à gage, des mercenaires - pas des philanthropes qui se nourrissent d'idées. Halevy explique que de toutes façons, l'argent arrive au Hamas par l'intermédiaire de l'Autorité palestinienne. Mais ce point est précisément d'une très grande importance : parce que le premier ministre Salaam Fayad contrôle l'argent, cela lui donne un moyen de pression sur le Hamas. Un moyen de pression restreint, puisque l'on sait que celui-ci reçoit de l'argent par l'Iran. Mais le fait que ce soit l'Autorité palestinienne qui contrôle l'argent en provenance de l'Europe et des États-Unis est capital : d'abord, comme nous l'avons dit, d'un point de vue moral, politique, et symbolique. Mais aussi d'un point de vue simplement stratégique.
Dans un article paru dans le "Jerusalem Post" du 16 janvier, le journaliste spécialiste des affaires palestiniennes Khaled Abou Toameh montre en détail comment l'Autorité palestinienne, pendant l'opération militaire qu'Israël menait dans la bande de Gaza, a lancé des actions coup de poing contre le Hamas en Cisjordanie : arrestations, fermetures d'associations, interdictions de manifestations de soutien au Hamas, etc. Selon Abou Toameh, si certaines actions ont été coordonnées avec les forces de sécurité israéliennes, l'immense majorité a été conduite d'une manière tout à fait autonome par les forces de sécurité palestiniennes. D'après l'article, par les troupes qui ont été entraînées en Jordanie. L’Égypte, la Jordanie, et la Syrie sont parvenues à se stabiliser quand elles ont été en mesure de mettre sur pied leur propre appareil sécuritaire. Et les services de sécurité jordaniens, égyptiens ou syriens ne sont pas réputés pour leur douceur. Il faut dire qu'on ne chasse pas les mouches avec du miel. Le fait que l'Autorité palestinienne, qui a subi un revers important dans la bande de Gaza en juin 2007, soit parvenue à développer des services de sécurité efficaces est très certainement un progrès non-négligeable qui rajoute à son efficacité et donc à sa crédibilité. Quand Halevy déclare candidement que les Arabes sont favorables à une réconciliation entre le Fatah et le Hamas, soit il ne lit pas les journaux, soit il parle à la place des Arabes, soit il délire. Soit autre chose. D'abord, si réconciliation il y a, il faudra prendre en considération deux choses : la scission du Hamas entre sa direction syrienne et sa direction égyptienne. Le fait que la réconciliation ne pourra se faire que par la force. C'est pourquoi l'Autorité palestinienne met la pression. C'est pourquoi elle bloque l'argent. Elle ne laisse pas le Hamas faire sa petite révolution idéologique en attendant gentiment qu'il ait une révélation. Si l'Autorité palestinienne et l’Égypte posent leurs conditions, Israël aurait donc tort de ne pas le faire avant de s'engager plus avant. Les dernières déclarations de la nouvelle secrétaire d’État américaine Hillary Clinton - qui contrastent singulièrement avec les positions de Condolezza Rice - sont, de ce point de vue là, encourageantes. Clinton l'a dit très fermement : « pas de discussions avec le Hamas tant qu'il ne reconnaît pas Israël et tant qu'il ne renonce pas aux tirs de roquettes ». Clinton, lors de son investiture par le Sénat, n'a pas parlé d'un vague renoncement à la violence. Elle a mentionné les tirs de roquettes, concrètement.
Pour finir : il n'est pas sûr, comme l'affirme Halevy, que tous les pays arabes soient favorables à une réconciliation entre le Hamas et le Fatah. A l'intérieur du Hamas, il n'y a pas d'unanimité. Les pays arabes sont sortis divisés du sommet arabe organisé par le Qatar vendredi dernier : alors que la Syrie, l'Iran et Khaled Mechaal ont fait le déplacement à Doha, l’Égypte, l'Arabie-Saoudite, la Jordanie, la Tunisie et l'Autorité palestinienne étaient absentes. Le sommet a montré très clairement la ligne de fracture qui divise le monde arabe : cette ligne de fracture, c'est l'Iran. Israël aurait tort de s'ingérer dans les affaires arabes, cela est évident. C'est pourquoi il n'est pas dans son intérêt de courtiser l'Iran. Même en fiction.
Efraïm Halevy participe mercredi 21 janvier à un symposium organisé par le Centre de recherches sur l'antisémitisme Vidal Sassoon à l'Université hébraïque de Jérusalem. Le thème du symposium, en anglais, sera : « Israël, les Juifs et le conflit sunni-chiite ». Il sera très intéressant d'entendre comment Halevy envisage le rôle de la diplomatie israélienne - et de Tzipi Livni, qui brigue le poste de premier ministre - dans ce conflit.
Isabelle-Yaël Rose
Jérusalem, le 19 janvier 2009
Voici un nouvel article de ma « correspondante » à Jérusalem dont je vous recommande particulièrement la lecture ! Assez long, il va à l’essentiel en expliquant toutes les raisons (à la fois éthiques et pragmatiques) de ne pas négocier avec le Hamas. Au-delà de la critique d’un « expert » israélien - l’ancien chef du Mossad Ephraïm Halevy -, il pose parfaitement les enjeux : à lire et à diffuser à vos amis !
J.C
Lors de l'émission "London et Kirchembaum" diffusée lundi 19 janvier sur la chaîne 10 de la télévision israélienne, l'ancien chef du Mossad et ambassadeur d'Israël auprès de l'Union européenne, Efraïm Halevy, a exposé, accompagné du directeur-général du ministère des Affaires étrangères, les points principaux de sa doctrine. Pour les Israéliens francophones ne parlant pas l'hébreu, et pour les Juifs français qui n'ont pas accès à la télévision israélienne, il est intéressant de revenir sur les trois principes autour desquels s'articule la pensée d'Halevy : d'abord, Halevy a expliqué qu'Israël devait ouvrir des négociations officielles avec le mouvement islamiste ; ensuite, qu'il ne devait pas chercher à intervenir sur son idéologie ; enfin, qu'Israël ne devait pas s'ingérer dans les affaires palestiniennes, partant du principe que tous les pays arabes étaient favorables à une réconciliation entre les deux factions principales que sont le Hamas et le Fatah.
Pour le premier point, Halevy pense donc qu'Israël doit parler directement avec le Hamas et le reconnaître comme un interlocuteur politique officiel. Pour justifier sa position, celui-ci a affirmé qu'Israël négociait de toutes façons déjà avec le mouvement et qu'il fallait mettre fin à ce qu'il a appelé une « fiction diplomatique ». La fiction diplomatique désignait le fait que le gouvernement israélien ne reconnaît pas publiquement le mouvement - qu'il continue à qualifier de terroriste - comme il continue à agir au niveau des institutions internationales pour qu'elles fassent deux choses : qu'elles ne reconnaissent pas ses délégués, qu'elles interdisent toutes transactions financières. Sur ce sujet, Halevy a également expliqué qu'il s'agissait encore d'une fiction dans la mesure où l'argent qui arrive à l'Autorité palestinienne - seul représentant légitime et officiel du peuple palestinien - est redistribué, même indirectement, au Hamas. La position d'Halevy est d'autant plus surprenante qu'il est le conseiller de la ministre des Affaires étrangères Tzipi Livni, et que celle-ci s'est opposée au premier ministre Ehoud Olmert précisément autour de cette question au moment de l'opération militaire « plomb durci ». A titre de rappel : alors qu'Olmert ne voulait pas mettre un terme à l'opération militaire tant qu'un mécanisme n'était pas mis en place permettant le contrôle des mouvements d'armes à la frontière avec l’Égypte - Olmert ne voulait pas interrompre l'opération sans accord contraignant pour l’Égypte - Livni, dès la fin de la première semaine, était favorable à un retrait des troupes militaires sans accord. Selon elle, un accord aurait légitimé le Hamas. On comprend alors mal comment Israël pourrait s'engager dans des négociations officielles avec le Hamas sans légitimer le mouvement. On comprend encore plus mal comment il pourrait discuter avec le Hamas quand Livni a déclaré juste avant l'opération qu'il fallait détruire le mouvement et le chasser de Gaza. Mais il y a plus.
La diplomatie - et le monde politique en général - est en effet un monde fait de fictions. Mais ces fictions sont porteuses de sens et indiquent une direction. Une direction politique, mais aussi une direction morale - et la seconde n'est pas moins importante que la première à moins de vouloir couper la politique de toute orientation. Halevy a tort de dire qu'Israël est déjà engagé dans un dialogue avec le Hamas. Israël est engagée dans un dialogue soutenu et difficile avec l’Égypte qui a pris sur elle la tâche ardue de servir d'intermédiaire. Cette fiction est capitale : par elle, Israël montre qu'il ne parle qu'avec les autorités qui le reconnaissent comme État. Mieux : cette médiation égyptienne indique qu'Israël ne négocie qu'avec les pays liés à lui par un accord de paix. Si Israël se mettait donc à parler directement avec le Hamas, comme le préconise Halevy, cela aurait de terribles conséquences stratégiques : d'abord, faire perdre toute signification aux accords diplomatiques ; ensuite, encourager le terrorisme ; enfin, supprimer toutes les règles qui doivent gouverner le dialogue politique. Les Arabes, plus encore que les Européens, sont sensibles aux symboles. On le voit par exemple dans l'insistance avec laquelle le président syrien Bacher Assad a sans cesse rappelé que son pays n'était pas engagé dans des discussions directes avec Israël mais seulement dans des discussions indirectes, via la Turquie. Cette insistance indiquait que la Syrie n'avait pas encore fait le pas de reconnaître officiellement l’État d'Israël. Damas ne parlait qu'avec la Turquie, avec laquelle elle est liée par des accords politiques. La fiction peut alors sembler à Halevy inutile. Pourtant, elle est la trame symbolique et nécessaire qui tisse la réalité politique. Cette notion a fortement été thématisée d'abord par le philosophe anglais Thomas Hobbes puis, dans sa lignée intellectuelle, par le philosophe américain David Roth. Renoncer aux fictions, c'est alors renoncer à ce autour de quoi se constituent la vie politique et son expression la plus ultime : un état de guerre ou un état de paix. Nous sommes toujours en guerre avec la Syrie. Même si les armes se sont tues. Comme nous sommes toujours en guerre contre le Hamas. C'est ce que disent la politique et la diplomatie - ce monde constitué de fictions. Si Halevy préconise des accords directs avec le Hamas, il n'y a alors plus aucune raison pour refuser des accords directs avec le Hezbollah et l'Iran.
Mais il y a plus grave encore. Halevy a expliqué aux journalistes London et Kirchenbaum qu'Israël ne devait pas chercher à influencer l'idéologie du Hamas. Il a affirmé : « il faut les laisser régler leurs problèmes idéologiques eux mêmes, il faut les laisser faire ». Telle est précisément l'erreur qu'Israël avait faite avec l'OLP : Israël, dans sa naïveté, ou peut-être à cause de sa trop bonne volonté, ou peut-être encore parce que les États-Unis ne lui avaient pas laissé le choix, avait entamé des discussions avec l'OLP - Yasser Arafat - sans que celui-ci revienne sur la charte de l'OLP qui stipulait l'anéantissement d'Israël. Carter avait pensé que si Israël parlait directement avec l'OLP, l'OLP finirait par reconnaître Israël. C'est exactement le contraire qui s'est passé : en s'engageant dans des discussions avec l'OLP, Israël a provoqué sa reconnaissance internationale ; en provoquant sa reconnaissance internationale, il a non seulement permis à l'Europe et aux USA de financer l'OLP, mais il a encore perdu tout pouvoir de pression sur lui. Parce qu'il recevait maintenant l'argent des Européens et des États-Unis en même temps qu'il était reconnu comme interlocuteur politique légitime, Yasser Arafat n'avait plus aucune raison de revenir sur son idéologie. C'est ainsi que l'antisémitisme et l'anti-sionisme se sont durablement installés dans la société palestinienne. C'est ainsi qu'ils se sont diffusés en Europe et aux États-Unis dans un second temps, dans une espèce de vague de contamination irrésistible et universelle. C'est ainsi que les attentats kamikazes se sont multipliés, Arafat n'ayant aucune raison objective de les arrêter. Quand Halevy dit qu'il faut parler avec le Hamas et le laisser faire ses progrès idéologiques tout seul, Halevy prône en fait la même chose : renoncer à tout moyen de pression sur un Hamas qui ne fera certainement pas sa révolution idéologique sauf s'il y est contraint. Par la force. Quand on voit la haine que le Hamas voue à l'Autorité palestinienne - et ce sont des Arabes, des Palestiniens, pas des Juifs ; quand on voit la haine que les Islamistes vouent à la démocratie, il serait sans doute dangereux de s'en remettre à leur bonne volonté. Les terroristes ne sont pas animés par des bonnes intentions. Les Islamistes ne sont pas des hommes de bonne volonté. Ils ne connaissent qu'une seule raison d'être et ils ne comprennent qu'un seul langage. On aurait pu s'attendre à ce qu'un ancien chef du Mossad le sache. Et qu'il passe le message au ministère des Affaires étrangères. Si Israël reconnaissait le Hamas avant même qu'il ait entamé sa révolution idéologique - en clair : reconnaissance de l’État juif et renoncement au terrorisme - le Hamas n'aura alors aucune raison de faire sa révolution idéologique. Le message envoyé en Égypte et en Jordanie serait catastrophique. A quoi bon les accords de paix ? Pourquoi un gouvernement arabe devrait-il prendre le risque d'aller à contre-sens de son opinion si le Hamas est reconnu par Israël ? Quels arguments pour contrer les tendances antisémites et anti-sionistes dans les pays arabes ou en Turquie comme cela vient d'être le cas au moment de l'opération militaire à Gaza ? Pour contrer les opinions anti-israéliennes aux États-Unis, en Europe, dans les sociétés occidentales en général ? Et puis pourquoi alors Halevy reste-il aussi fermement hostile à un pays comme la Syrie ? Si Halevy est capable de parler avec Khaled Meschaal, il ne devrait pas faire tant de manières avec Assad. Après tout, Meschaal est en Syrie.
Ce qui nous amène au dernier point : l'argent. Israël a lutté pendant des années pour que le Hamas soit reconnu comme mouvement terroriste. Sous la présidence de Jacques Chirac, la France a résisté au sein de l'Union européenne pour que le Hamas ne figure pas sur la liste des mouvements terroristes. Mais grâce à la pugnacité de l'ancien ambassadeur d'Israël en France - Nissim Zvili - la France a finalement cédé et avec elle l'Union Européenne. Ce n'était pas seulement une question de nom, de qualification. Quand un mouvement est reconnu terroriste, il ne peut plus être financé et ses mouvements humains et financiers sont traqués. C'est parce que l'Iran était considéré comme un pays terroriste que les États-Unis ont pu mettre sur pied tout un arsenal juridique. Au niveau européen, la même chose a été faite pour le Hamas - et Israël se bat pour qu'il en soit de même avec le Hezbollah. Car sans argent, pas d'armes. Et sans argent, pas d'hommes. Les terroristes ne sont pas des philosophes : ce sont des tueurs à gage, des mercenaires - pas des philanthropes qui se nourrissent d'idées. Halevy explique que de toutes façons, l'argent arrive au Hamas par l'intermédiaire de l'Autorité palestinienne. Mais ce point est précisément d'une très grande importance : parce que le premier ministre Salaam Fayad contrôle l'argent, cela lui donne un moyen de pression sur le Hamas. Un moyen de pression restreint, puisque l'on sait que celui-ci reçoit de l'argent par l'Iran. Mais le fait que ce soit l'Autorité palestinienne qui contrôle l'argent en provenance de l'Europe et des États-Unis est capital : d'abord, comme nous l'avons dit, d'un point de vue moral, politique, et symbolique. Mais aussi d'un point de vue simplement stratégique.
Dans un article paru dans le "Jerusalem Post" du 16 janvier, le journaliste spécialiste des affaires palestiniennes Khaled Abou Toameh montre en détail comment l'Autorité palestinienne, pendant l'opération militaire qu'Israël menait dans la bande de Gaza, a lancé des actions coup de poing contre le Hamas en Cisjordanie : arrestations, fermetures d'associations, interdictions de manifestations de soutien au Hamas, etc. Selon Abou Toameh, si certaines actions ont été coordonnées avec les forces de sécurité israéliennes, l'immense majorité a été conduite d'une manière tout à fait autonome par les forces de sécurité palestiniennes. D'après l'article, par les troupes qui ont été entraînées en Jordanie. L’Égypte, la Jordanie, et la Syrie sont parvenues à se stabiliser quand elles ont été en mesure de mettre sur pied leur propre appareil sécuritaire. Et les services de sécurité jordaniens, égyptiens ou syriens ne sont pas réputés pour leur douceur. Il faut dire qu'on ne chasse pas les mouches avec du miel. Le fait que l'Autorité palestinienne, qui a subi un revers important dans la bande de Gaza en juin 2007, soit parvenue à développer des services de sécurité efficaces est très certainement un progrès non-négligeable qui rajoute à son efficacité et donc à sa crédibilité. Quand Halevy déclare candidement que les Arabes sont favorables à une réconciliation entre le Fatah et le Hamas, soit il ne lit pas les journaux, soit il parle à la place des Arabes, soit il délire. Soit autre chose. D'abord, si réconciliation il y a, il faudra prendre en considération deux choses : la scission du Hamas entre sa direction syrienne et sa direction égyptienne. Le fait que la réconciliation ne pourra se faire que par la force. C'est pourquoi l'Autorité palestinienne met la pression. C'est pourquoi elle bloque l'argent. Elle ne laisse pas le Hamas faire sa petite révolution idéologique en attendant gentiment qu'il ait une révélation. Si l'Autorité palestinienne et l’Égypte posent leurs conditions, Israël aurait donc tort de ne pas le faire avant de s'engager plus avant. Les dernières déclarations de la nouvelle secrétaire d’État américaine Hillary Clinton - qui contrastent singulièrement avec les positions de Condolezza Rice - sont, de ce point de vue là, encourageantes. Clinton l'a dit très fermement : « pas de discussions avec le Hamas tant qu'il ne reconnaît pas Israël et tant qu'il ne renonce pas aux tirs de roquettes ». Clinton, lors de son investiture par le Sénat, n'a pas parlé d'un vague renoncement à la violence. Elle a mentionné les tirs de roquettes, concrètement.
Pour finir : il n'est pas sûr, comme l'affirme Halevy, que tous les pays arabes soient favorables à une réconciliation entre le Hamas et le Fatah. A l'intérieur du Hamas, il n'y a pas d'unanimité. Les pays arabes sont sortis divisés du sommet arabe organisé par le Qatar vendredi dernier : alors que la Syrie, l'Iran et Khaled Mechaal ont fait le déplacement à Doha, l’Égypte, l'Arabie-Saoudite, la Jordanie, la Tunisie et l'Autorité palestinienne étaient absentes. Le sommet a montré très clairement la ligne de fracture qui divise le monde arabe : cette ligne de fracture, c'est l'Iran. Israël aurait tort de s'ingérer dans les affaires arabes, cela est évident. C'est pourquoi il n'est pas dans son intérêt de courtiser l'Iran. Même en fiction.
Efraïm Halevy participe mercredi 21 janvier à un symposium organisé par le Centre de recherches sur l'antisémitisme Vidal Sassoon à l'Université hébraïque de Jérusalem. Le thème du symposium, en anglais, sera : « Israël, les Juifs et le conflit sunni-chiite ». Il sera très intéressant d'entendre comment Halevy envisage le rôle de la diplomatie israélienne - et de Tzipi Livni, qui brigue le poste de premier ministre - dans ce conflit.
Isabelle-Yaël Rose
Jérusalem, le 19 janvier 2009