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22 janvier 2009

Le plan de la CIA

Introduction :
Mon amie Isabelle-Yaël Rose m’a envoyé de Jérusalem ce nouvel et long article, où elle fait part de ses doutes sur l’efficacité des dispositions sécuritaires convenues entre Israël et les États-Unis, en préalable au retrait de Tsahal de la bande de Gaza. Les fidèles lecteurs connaissent à la fois l’érudition dont elle fait preuve, et l’originalité de ses analyses : difficile, en effet, de la cataloguer « faucon », alors qu’elle trouve que dans le fond Ehud Olmert a été injustement jugé ; ou « colombe », alors qu’elle se réfère à des articles du « Jerusalem Post », pourtant clairement pro-Likoud ! Elle a aussi un peu la dent dure contre Tzipi Livni, position personnelle que je ne partage pas ... mais c’est bien l’originalité de ce blog que de vous donner à lire des opinions différentes : bonne lecture !
J.C

Dans les pays du tiers-monde, le chef d’État est directement installé par les services secrets qui sont la main longue de toute grande puissance. Ceux-ci, engagés dans une féroce concurrence, sont à l'origine des mouvements révolutionnaires et des rébellions dont on a vu en Amérique latine mais surtout en Afrique noire à quel point ils pouvaient être impitoyables et violents. L'histoire récente et vorace en vies humaines du Pakistan et de l'Afghanistan sont également des cas d'école.
Dans les pays plus développés, les services secrets étrangers utilisent des stratégies plus sophistiquées. Ainsi, pendant la période soviétique, les services de contre-espionnage israéliens étaient très occupés par les tentatives d'infiltration du KGB qui visaient, assez traditionnellement, à pénétrer le Mossad - en « retournant » des agents - mais également les plus hautes sphères de l’État. Dans leur livre « Israël ultra-secret », Jacques Derogy et Hesi Carmel [1] reviennent sur cette période rocambolesque de l'histoire des services secrets et montrent ainsi, entre autre, dans leur chapitre « une taupe rouge au Mossad », comment l'homme d'affaires français Flatto Sharon entra à la Knesset grâce à l'appui de personnes douteuses et russophones. Pénétrer à la Knesset, et grâce à elle aux multiples comités qui la composent ; entrer au comité des Affaires étrangères et de la Défense, mieux : au cabinet de sécurité - tel est le rêve de tout service secret étranger. Et tel est le cauchemar du Shin Bet.
Israël Beiténou et les partis religieux sionistes se sont inquiétés, jusqu'à un certain point d'une manière légitime, des tentatives d'infiltration des services étrangers via les députés arabes qui siègent à la Knesset. Penser que tout député arabe est un traître, un membre d'une « cinquième colonne » qui viserait à déstabiliser Israël, serait sans doute paranoïaque, raciste, et déplacé : il se trouve en Israël de nombreux Arabes qui sans soutenir ouvertement Israël lui sont tout à fait fidèles. Cependant, les escapades du député Azmi Bishara à Beyrouth et à Damas en pleine seconde guerre du Liban ; la plate-forme violemment anti-israélienne sinon anti-juive des partis arabes et de certaines de leurs associations dont les financements ne sont pas toujours évidents ; la participation de certains de leurs députés à des rassemblements soutenant des mouvements terroristes - ainsi d'Ahmed Tibi qui s'était déplacé à Amman lors des funérailles de Georges Habash il y a un an ; tout cela a de quoi provoquer des inquiétudes, des doutes et de la suspicion. Il ne s'agit pas de partir dans une folle chasse aux sorcières. Il s'agit juste de ne pas sous-estimer la ruse et les capacités de manipulation psychologique des services secrets. Ainsi que le faisait remarquer lors de sa confession publique l'un des soi-disant espions iraniens au service du Mossad : « on ne sait pas toujours avec qui l'on est vraiment en contact et au service de qui on travaille». Ceci explique peut-être la raison pour laquelle le député et ministre de la culture a été interdit de voyage en Jordanie au commencement de l'opération militaire « plomb durci ».
Mais si les Arabes - et dans une certaine mesure les nouveaux immigrants - attirent immédiatement l'attention du public, il serait faux de penser qu'ils sont les seuls à être des cibles. En fait, les services étrangers préfèrent plutôt les Israéliens de souche, qui n'attirent pas l'attention des services de contre-espionnage et qui occupent des postes plus importants dans les sphères politiques et dans la société. Et leur bras invisible peut remonter très haut. Aussi haut que l'ambition personnelle. Deux articles parus dans le Jérusalem Post de vendredi 16 janvier donnent matière à méditer. Le premier est écrit par le rédacteur en chef du Jérusalem Post, David Horowitz [2]. Le second par la journaliste Caroline Glick [3].

Dans son article, Horowitz revient sur un événement que son journal avait révélé d'une manière inédite et exclusive en décembre 2007 : l'envoi d'une cassette par le ministère de la Défense à l'ambassade israélienne de Washington. On voyait dans cette cassette, filmée par les services de sécurité israéliens, comment les soldats égyptiens postés à la frontière séparant l’Égypte de la bande de Gaza aidaient des membres du Hamas à faire passer des armes. Il ne faudrait pas croire que cela indique une sympathie particulière des Égyptiens pour le Hamas. Pas plus qu'il ne faudrait penser que cette cassette indique une collaboration entre le Hamas et le gouvernement égyptien. En fait, les choses sont beaucoup plus simples : la corruption est un phénomène universel. Le chemin est long qui sépare Al-Arish du Caire. Et le pouvoir central, surtout quand il ne veut pas être embarrassé, n'est pas toujours en mesure de contrôler les filières criminelles et les tribus organisées. Mais la Défense israélienne, lasse de voir le Hamas s'armer sous son nez sans qu'aucune action ne soit entreprise par les autorités égyptiennes - si les choses s'étaient passées dans l'autre direction, il est peu probable que le Caire se serait satisfait d'explications - la Défense décida donc d'alerter l'opinion américaine en envoyant cette cassette. L'ambassade israélienne devait la distribuer aux membres du Congrès américain. Parce que les États-Unis, en conformité avec leurs accords militaires avec l’Égypte, transfèrent une considérable aide financière tous les ans au Caire - laquelle doit être votée par le Congrès - Israël souhaitait attirer l'attention des députés américains sur ce problème à la frontière. Finalement, sur les 1,3 milliards d'aide militaire accordés par les États-Unis, 100 millions furent conditionnés par une action efficace de l’Égypte à Al-Arish et par ses efforts en faveur des droits de l'homme dans son pays.
Mais la cassette ne fut pas distribuée : Horowitz explique que la ministre des Affaires étrangères ordonna à l'ambassade d'Israël de ne pas la publier, préférant la diffuser d'une manière vague et souterraine. Interpellée par le député du Likoud Youval Steinitz lors d'une séance du comité de la Défense et de la sécurité, Livni expliqua qu'elle avait préféré cette méthode, de crainte de risquer une rupture diplomatique avec l’Égypte. Certains officiels nièrent tout simplement la révélation du "Jerusalem Post" et l'existence de cette cassette gênante.
Le Département d’État américain (ministère des Affaires étrangères) fut sans doute soulagé. De la même manière que Livni ne voulait pas embarrasser l’Égypte et s'exposer à des représailles diplomatiques, il est peu probable que la secrétaire d’État américaine se soit réjouie d'une crise ouverte avec un pays arabe central pour les États-Unis. Il est peu probable que Condollezza Rice, embourbée en Irak, ait souhaité se mettre à dos le Caire. Et certainement pas pour Israël : cela aurait donné la fâcheuse impression dans les pays arabes que le « lobby juif » contrôlait effectivement le Congrès - avec l'aide passive du Département d’État. Rice a donc dû apprécier que Livni ordonne à l'ambassade israélienne de Washington d'enterrer la cassette.
Horowitz termine son article en soulignant deux choses : d'abord, cette année, point de cassette, point d'activité de l'ambassade israélienne au Congres [4], et donc point de provision sur le vote de l'aide militaire américaine. C'est une mauvaise chose : cette provision permettait de faire pression sur l’Égypte. C'est d'autant plus une mauvaise chose que l'on voit, avec l'opération militaire en cours dans la bande de Gaza, que la question du trafic d'armes est le sujet crucial sur lequel bute toutes les tentatives d'accord avec l’Égypte. Les États-Unis, qui se posent en médiateur entre l’Égypte et Israël, auraient pu en faire usage. Pour trouver plus rapidement une issue diplomatique à l'opération militaire mangeuse d'hommes. Ensuite, comme le remarque Horowitz, si aucun accord n'est trouvé sur cette question, le Moyen-Orient s'achemine vers une autre confrontation, sans doute encore plus violente que l'actuelle opération : Israël ne pourra jamais coexister avec une bande de Gaza gorgée d'armes envoyées par l'Iran. C'est ce que montre l'exemple du Hezbollah au nord.

Si Horowitz donne des indices et des pistes, c'est Caroline Glick qui donne les clés de l'énigme : citant un article écrit par un ancien membre du Pentagone (ministère de la Défense américain), publié dans le "National Interest", elle revient sur l'ère Bush. Glick explique ainsi que si Georges Bush était effectivement animé par des sentiments amicaux envers Israël, il ne parvint jamais à les traduire politiquement, dans la réalité, parce que ses initiatives étaient bloquées par un écran beaucoup plus puissant que ses idées ou sa volonté. Cet écran, c'était Rice et ... la CIA. La CIA est le service secret étranger des États-Unis. On compte à son actif l'émergence des talibans en Afghanistan - une arme à double tranchant qui fut utilisée contre la Russie - et la nucléarisation du Pakistan. Comme le montre Lawrence Freedman dans son livre "A choice of enemies, America confronts the Middle East" [5], les États-Unis permirent au Pakistan de développer l'arme nucléaire, dans une espèce de contrat tacite, en échange de quoi Islamabad permettait aux États-Unis et aux Talibans d'utiliser son territoire pour lancer des attaques contre la Russie en Afghanistan. C'est la CIA et Rice qui ont insisté, contre l'avis du Shin Bet et du Mossad, pour que des élections soient organisées dans les territoires palestiniens, lesquelles conduisirent à la victoire du Hamas. A croire que les États-Unis voulaient légaliser - via des élections - le Hamas, comme cela a été fait au Liban avec le Hezbollah. Et comme cela sera bientôt fait avec l'Iran. On est donc en droit de se poser deux questions : d'une part, la CIA et le Département d’État sont-ils amicaux? D'autre part, que penser de cette nouvelle initiative de Livni partie en précipitation à Washington signer un accord obscur avec l'administration américaine sortante? [6]
En effet, celle-ci est partie vendredi 16 janvier signer un accord avec Rice dont l'objectif est de stopper l'afflux d'armes iraniennes qui transitent par la Somalie, le Soudan et l'Erytrée vers la bande de Gaza. A priori, c'est une bonne chose. Mais quand on voit que les États-Unis se sont rapprochés de l'Iran ; quand on se rappelle du précédent du Pakistan ; quand on voit que les États-Unis ne parviennent pas à empêcher la contrebande d'armes aux frontières irakiennes ; que le Département d’État s'est opposé à la diffusion de la cassette, et qu'aucune provision conditionnelle n'existe sur la somme qui a été votée par le Congrès. Quand on voit que c'est Livni elle même qui a ordonné à l'ambassade israélienne de ne pas diffuser la cassette et de ne pas intervenir au Congrès. On s'interroge. Pas sur Rice. Pas sur la CIA. Sur la ministre des Affaires étrangères israéliennes.

Livni a commencé à nourrir ses ambitions politiques - démesurées pour une nouvelle arrivée, car elle a débuté sa carrière politique seulement en 1999 - depuis qu'elle est au ministère des Affaires étrangères. Ce sont ses ambitions qui l'ont amené, depuis deux ans, à saboter systématiquement toutes les initiatives du premier ministre Ehoud Olmert, créant une scission dangereuse au sommet de l’État. Elle s'est également systématiquement opposée à toutes les initiatives de la Défense, créant une scission non moins dangereuse entre son ministère et celui de la Défense. En même temps qu'elle s'éloignait d'Olmert, Livni se rapprochait - sans doute trop d'un point de vue diplomatique - de Rice. Et des amis de Rice. Mais heureusement pour elle, Livni est juive, juive et israélienne de souche - pas arabe, ou convertie, ou française.
Dans ces circonstances, l'affaire Talansky, on le remarquera, ne pouvait pas mieux tomber. Disons : un coup final. Tout était mis en place pour abattre le premier ministre d'Israël. Il se trouva même des relais - des ambitieux - pour prêter main forte et faire la basse besogne en Israël. Mais quel fut son tort, au fait, au premier ministre d'Israël ? Le roi Hussein de Jordanie reçut des millions de la CIA comme le rappelle Avi Shlaim dans sa biographie. Même Nasser, le lion du panarabisme, ne dédaigna pas l'argent de la CIA qu'il utilisa avec humour, dans une espèce de pied de nez dont seuls les Arabes ont le secret, pour construire la Tour de Nasser qui surplombe le Nil en plein centre-ville du Caire, histoire d'agacer les pingres soviétiques qui lui refusaient des armes et des blindés. Olmert - et avec quel panache ! - eut le tort de répondre sans doute un peu trop brutalement à Madame Rice quelque chose qui devait fort ressembler à cela : « je suis Juif. Nous autres Juifs sommes un peuple libre. Nous n'avons pas enduré les 2 000 ans d'errance et d'humiliation ; nous n'avons pas traversé deux siècles d'exil et de destruction ; nous ne sommes pas revenus, finalement, sur notre terre, en Israël, pour devenir des pions entre les mains cyniques des agents de la CIA et des États-Unis ». En Afrique, Olmert aurait simplement été assassiné. En Amérique Latine, il aurait été renversé par un mouvement révolutionnaire. En Israël - ô, Israël ! - il suffît de sortir de son placard un escroc juif américain de seconde catégorie empêtré dans son propre pays dans des procès. Bibi se frotta les mains. La presse israélienne s'empara de l'affaire. Et pour Livni ... Comme chantait Aznavour : « j'me voyais déjà ».
Quand les historiens ou les spécialistes des relations internationales écriront leurs livres d'histoire sur la seconde guerre du Liban, il faudra aussi qu'ils prennent en considération tout cela - et tout le reste - s'ils veulent écrire une histoire qui rende justice à la vérité des événements. Des fautes, des erreurs, et même de très graves fautes et de très graves erreurs - il y en eut, certainement. Pour autant, il ne faudrait pas croire que les Israéliens furent les seuls à pécher dans les eaux troubles du Liban ... Le sang des victimes - de toutes les victimes - est sur leur tête. Il ne crie pas : « vengeance ! ». Il crie : « justice ! ». Qu'elle vienne un jour, même si elle est lente. Car avec l'aide de Dieu, justice sera faite aux prisonniers et aux morts - un jour. Quand ?

Isabelle-Yaël Rose,
Jérusalem, le 17 janvier 2009


[1] Editions Robert Laffont, Paris, 1989
[2] "Tunnel vision"
[3] "Bush's parting lesson"
[4] Rappelons en passant que les Israéliens ne sont pas les seuls à faire du lobby au Congrès. Tous les pays arabes envoient des émissaires - officiels ou officieux - qui y défendent leur cause.
[5] Editions Public Affairs, USA, 2008
[6] L'article de Glick est aussi intéressant en ce qu'il jette une nouvelle lumière sur ce qui s'est passé à l'ONU lors du vote au conseil de sécurité. Glick rappelle que l'ambassadrice israélienne à l'ONU a agi sur les ordres de son ministère, et que c'est ainsi que la résolution hostile à Israël est passée grâce à l'abstention « surprise » de Condolezza Rice.