Un attentat a eu lieu dans la rue Jaffa, l'artère principale de Jérusalem, ce matin vers les 11 heures. Un ouvrier arabe, employé sur le chantier de construction du tramway qui doit entrer en fonction fin 2009, et qui traverse la rue Jaffa, a utilisé son tracteur monté sur des chenilles pour détruire tous les véhicules à sa portée. 3 personnes ont été tuées, des dizaine de personnes blessées ont été hospitalisées, tandis que l'homme n'a pu être immobilisé qu'après l'intervention d'un soldat en civil. Le terroriste est mort sur place. L'attentat a eu lieu juste sous le bâtiment qui abrite les agences d'informations étrangères, telles que l'Associated Press, Reuters, et l'AFP, qui ont pu filmer en direct le déroulement des événements.
A ce niveau de Jaffa, la rue se rétrécit, à cause des travaux de construction du nouveau tramway et des couloirs de bus. Elle est habituellement bloquée par des embouteillages. Autant dire que les véhicules poursuivis par le terroriste avaient très peu de chance de s'en sortir, pris au piège entre les bus, les voitures, et les travaux.
L'homme, âgé de 29 ans, est un arabe de Jérusalem Est titulaire de la carte de résidence - la « téoudat chroula » - qui a été délivrée aux habitants de Jérusalem Est depuis qu'elle est sous souveraineté israélienne. Si elle n'offre pas la nationalité israélienne, que la plupart des Arabes de Jérusalem Est ont refusée, elle donne en revanche accès au reste de la ville, à Israël, et aux services sociaux. Le terroriste, père de deux enfants, était un habitant de Zour Baher, un quartier de Jérusalem Est. D'après la télévision israélienne, il s'était marié une première fois avec une femme juive, avant de divorcer et de se remarier avec une femme arabe de laquelle il a eu ses deux enfants. Il ne semblait pas appartenir à une organisation, ni être proche des mosquées ou même pratiquant. Il était employé sur le chantier de construction du tramway, et rien ne semblait indiquer que l'homme se destinait à commettre un attentat aussi violent.
Vers 11h du matin, il est sorti du chantier, au volant d'un gros tracteur monté sur des chenilles. Il a alors foncé sur tous les véhicules se trouvant sur son chemin, détruisant voitures, motos, et renversant un autobus qu'il a tiré sur le trottoir de la rue Jaffa. Les véhicules, bloqués dans cette partie de la rue, n'ont pas pu se protéger. Piétons et passagers se sont retrouvés pris au piège. D'après les images immédiatement diffusées par la télévision, les événements se sont déroulés en deux temps : l'homme a d'abord renversé le bus et écrasé des autos, avant d'être arrêté grâce à l'intervention d'une policière, de deux vigiles, et d'un soldat en civil. Blessé par un tir, il s'est évanoui, et les passants ont commencé à porter secours aux blessés. Un homme aurait alors jeté une pierre contre le terroriste. Le coup l'aurait réveillé et c'est alors qu'il a de nouveau appuyé sur la pédale d'accélération de son tracteur. Les images montrent très bien la pause entre la première partie des événements et la seconde, où l'on voit le tracteur se lancer contre les piétons. C'est un jeune soldat en civil, perché sur la cabine du tracteur, qui a abattu le chauffeur en utilisant l'arme d'un vigile, tandis que celui-ci était bloqué entre les jambes du terroriste, dans une tentative pour l'immobiliser. Le soldat, qui est parvenu à mettre un terme à la course mortelle, est le beau-frère de l'officier de police qui avait abattu le terroriste de la yeshiva du rav Kook, il y a trois mois. Lors de cet attentat, où un terroriste était entré dans une yeshiva de Jérusalem avec une mitraillette, 8 étudiants avaient été assassinés. Dans les deux cas, il s'agissait d'habitants de Jérusalem Est titulaires de la carte de résidence.
L'attentat n'a pas été revendiqué, ni par le Hamas ni par le Jihad islamique.
Cet attentat ne manquera pas de relancer les tensions entre les habitants arabes et les habitants juifs de Jérusalem. Un débat social et juridique, ouvert à la suite de l'attentat de la yeshiva, porte essentiellement sur deux sujets : la destruction de la maison du terroriste, l'annulation des droits sociaux tels que sécurité sociale, allocations familiales, retraite. Eitan Cabel, du parti travailliste, membre de la commission de la défense et de la sécurité de la Knesset, a déclaré sur la chaîne 10 qu'il s'opposait à la seconde mesure car elle s'apparentait à une punition collective, qui punit indistinctement le terroriste et les enfants. Le Premier ministre Ehoud Olmert et le ministre de la Défense Ehoud Barak ont immédiatement adressé une lettre au conseiller juridique du gouvernement Menachem Mazouz, demandant la destruction de la maison du terroriste de la rue Jaffa. Une telle mesure, jusque maintenant de règle en Israël, avait été levée avant d'être de nouveau envisagée suite à l'attentat contre la yeshiva. La Cour suprême, saisie du dossier, n'a pas encore statué sur sa légalité. Le Likoud et les partis religieux demandent depuis trois mois qu'elle soit appliquée.
Quelques minutes après l'attentat, les transports publics étaient de nouveau en fonction à Jérusalem. Des témoins de l'attentat attendaient les bus sur les lieux de l'événement, déclarant avec fatalisme qu'ils étaient « de Jérusalem ». Ils se référaient ainsi à la vague d'attentats perpétrés dans la ville, prenant pour cible des autobus, pendant la seconde Intifada. La rue Jaffa avait connu pendant cette période des dizaines d'attentats et de morts, dont les noms jalonnent la rue sur des plaques commémoratives. Deux d'entre elles sont situées à seulement quelque mètres de l'attentat d'aujourd'hui.
Les forces de sécurité israéliennes ont immédiatement bloqué le quartier d'habitation du terroriste. Le Shin Bet est présent dans la maison pour protéger la famille d'éventuelles représailles. A la suite de l'attentat contre la yeshiva, des militants des partis religieux sionistes s'étaient dirigés contre la maison, et la famille avait reçu des menaces de mort. Les frères du terroriste de la rue Jaffa ont été arrêtés et sont actuellement interrogés. L'homme est connu de la police pour des actes mineurs qu'il a commis par le passé. Mais rien aujourd'hui ne le désignait : aucun lien avec aucune organisation criminelle ou groupe religieux et politique. Au moment où le jeune soldat en civil a pris d'assaut la cabine du tracteur, le chauffeur a crié « Allah Aqbar », avant de mourir de tirs dans la tête. Une femme de sa famille en deuil a crié devant la télévision : « un shahid ! un shahid ! que Dieu prenne pitié de lui ». La famille est en train de monter une tente de deuil, comme le veut la tradition musulmane, qui risque elle aussi de susciter de vives réactions côté israélien : lors de l'attentat de la yeshiva, des voix avaient dénoncé l'usage qui était fait de cette tradition pour vanter l'acte du mort désigné comme modèle. Les partis de droite avaient réclamé que le deuil public soit interdit en cas de terrorisme pour éviter toute apologie.
Que ce soit dans l'attentat d'aujourd'hui ou dans celui qui a eu lieu il y a trois mois, dans les deux cas l'homme n'était pas connu des services de sécurité israéliens et ne s'était pas fait remarquer par un comportement violent ou « militant ». Il menait une vie normale, avec une famille, un travail en règle, qui indiquaient une personne apparemment équilibrée et socialement intégrée. Si aucun lien ne rattache ces deux individus à un mouvement terroriste, il semble donc que leur acte s'explique par des initiatives individuelles lesquelles sont significatives d'une grave crise dans la population de Jérusalem Est. La plupart des Arabes sont tiraillés entre leurs liens professionnels et économiques avec Israël et leur identification avec « la cause palestinienne ».
Parmi les trois victimes de l'attentat, une mère est morte sur place tandis que son bébé est miraculeusement sorti indemne. La plupart des blessés étaient sortis de l'hôpital en début de soirée et la circulation était normale rue Jaffa. Jérusalem est placée en état d'alerte. Les réactions politiques seront vraisemblablement très vives les jours à venir.
Isabelle-Yaël Rose
Jérusalem, 2 Juillet 2008