(source : site expositions.bnf.fr)
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Nous avons souvent tendance a négliger l'importance - et l'influence - des Arabes chrétiens au Moyen-Orient : si l'on s'en tient aux chiffres, douze millions de personnes peuvent paraître quantité négligeable. En fait, nous ne parlons des chrétiens du Moyen-Orient que lorsqu'ils sont menacés dans leur existence - comme ce fut le cas en Irak au début de la guerre - ou lorsqu'ils peuvent devenir une carte politique maîtresse : ainsi de la présence des Maronites au Liban. Mais pour ce qui est de leur contribution a l'histoire de la région, pour ce qui est de leur influence dans la société, de leurs rapports avec les musulmans, nous en restons souvent aux stéréotypes : tantôt brandis en victimes de leurs frères arabes musulmans, tantôt accusés de complaisance.
Nous avons souvent tendance a négliger l'importance - et l'influence - des Arabes chrétiens au Moyen-Orient : si l'on s'en tient aux chiffres, douze millions de personnes peuvent paraître quantité négligeable. En fait, nous ne parlons des chrétiens du Moyen-Orient que lorsqu'ils sont menacés dans leur existence - comme ce fut le cas en Irak au début de la guerre - ou lorsqu'ils peuvent devenir une carte politique maîtresse : ainsi de la présence des Maronites au Liban. Mais pour ce qui est de leur contribution a l'histoire de la région, pour ce qui est de leur influence dans la société, de leurs rapports avec les musulmans, nous en restons souvent aux stéréotypes : tantôt brandis en victimes de leurs frères arabes musulmans, tantôt accusés de complaisance.
En fait, à cette quasi-ignorance, il se trouve bien des raisons : d'abord, leur statut de minorité qui a conditionné certains réflexes. L'hégémonie byzantine appartient définitivement au passé. Ensuite, des rapports de force - toujours si l'on s'en tient au nombre - qui peuvent effectivement obliger à une certaine prudence. Quoiqu'en Jordanie, les chrétiens ne sont point obligés au marranisme, et loin s'en faut : ils sont une minorité très active, sans doute parce que très instruite, de la population. Enfin, et peut être est-ce la raison principale, la multiplicité des Églises et des institutions a de quoi dérouter la personne qui essaye de comprendre la réalité de la présence des chrétiens au Moyen Orient : si l'on s'en tient à la Jordanie, et aux Églises membres du Concile des Églises du Moyen Orient, on peut compter jusqu'à dix cultes différents (Orthodoxes grecs, Catholiques Romains, Catholiques grecs, Syriens catholiques, Syriens orthodoxes, Coptes orthodoxes, Maronites, Orthodoxes arméniens, Anglicans, Luthériens). Sans compter les chrétiens d'Irak, les Baptistes et les Évangélistes. Quand on sait que la population chrétienne représente entre 2,6 et 3,4 pour cent de la population, il y a effectivement de quoi être dérouté par cette profusion. Retenons juste que les orthodoxes et les catholiques sont les plus nombreux en Jordanie : trente cinq mille catholiques, cent mille orthodoxes. Les orthodoxes de Jordanie et de Palestine étant placés sous l'autorité du Patriarcat orthodoxe de Jérusalem, tandis que ceux d'Irak, d'Iran, du Liban, du Golfe, de la Syrie, et de la Diaspora arabe dépendent de celui d'Antioche, en Syrie, qui fait figure de "grande sœur" (d'où une certaine concurrence avec le Patriarcat d'Istanbul et de Russie).
Si la Jordanie est un pays musulman, ou l'Islam est religion d’État, la constitution du Royaume Hachémite garantit néanmoins aux chrétiens certains droits. Certes, le pourcentage des chrétiens dans la population totale a sérieusement chuté : une étude menée en 2001 par Clarisse Tchatchou pour le Centre d’Études Œcuméniques d'Amman indique qu'en 1952, pour une population de 580.000 habitants, les chrétiens représentaient entre 10 et 12 pour cent, quand ils ne représentent plus aujourd'hui que 3,4 pour cent au maximum (population totale d'environ ... six millions). Cette chute s'explique de multiples façons : les chrétiens, plus favorisés socialement et financièrement, ont eu la possibilité d'émigrer pendant les périodes de guerre et de crise économique sévère. Ce mouvement de départ fut doublé d'un mouvement inverse d'immigration qui conduisit en Jordanie des populations musulmanes qui fuyaient pareillement la guerre et la pauvreté (principalement Palestine et Irak, quoique tous les réfugiés ne se soient pas non plus installés ; certains Palestiniens continuèrent leur route vers le Liban, tandis que les Irakiens fortunés changèrent carrément de continent ; car il serait faux de croire que tous les immigrés étaient pauvres : il se trouvait aussi de riches immigrés à être arrives en Jordanie pour chercher la paix et la possibilité de continuer, à partir de la Jordanie, une vie normale et leurs affaires). Enfin, une dernière raison vient compléter les autres, qui est simplement à chercher dans les mathématiques : les familles musulmanes font davantage d'enfants que les chrétiennes. On en revient toujours la : les nombres !
Il se trouve à peu près mille coptes égyptiens en Jordanie. Leur Église, située en face de la grande Mosquée bleue construite pour rendre hommage au Roi Abdallah (le premier, grand père de feu le Roi Hussein), se situe tout près de l’Église catholique. Car une chose frappe la vue lorsque l'on arrive - ou lorsque l'on se promène - dans la ville : Amman compte de nombreuses Églises. Ce n'est pas seulement que les bâtiments se partagent l'espace urbain, ou l'on peut voir une Croix à coté d'un Croissant, les chrétiens et les musulmans se partagent également la tonalité de la ville, dans ce qui est peut être aussi une compétition : les cloches des Églises répondent aux appels du Muezzin - et inversement. Et si compétition il y a, il est remarquable qu'elle puisse avoir lieu : on ne peut pas en dire autant partout dans le monde.
L’Église copte est en rénovation. Des hommes travaillent à reconstruire les murs intérieurs du bâtiment. Seule une immense chaire, et une grande fresque recouverte d'un plastique, sont visibles pour le passant. La fresque représente classiquement une Cène, entourée par le visage des douze apôtres. Cependant, si la représentation est classique, et sans doute d'une fabrication assez récente, la mise en scène est tout a fait surprenante : il manque tout bonnement ... un apôtre ! Au lieu des douze disciples qui accompagnent le Christ dans son dernier repas, le repas qui fonde le sacrement fondateur de l’Église - l'Eucharistie - le peintre n'a représenté que onze apôtres. Jean est tout a fait reconnaissable, à la gauche du Christ. A sa droite, Judas nous sembla t-il, est assis, tandis que deux apôtres debout désignent du doigt celui qui va trahir pour un peu d'argent. Onze. Onze apôtres. Six fois nous recomptons. On n'imagine dans aucune Église un peintre qui aurait pris tellement de libertés avec le Canon. Quand nous demandâmes au prêtre le nombre des apôtres, il nous sourit, amusé de notre étonnement : sans doute cette question lui avait-elle été déjà posée. Avec le même étonnement. Mais sa réponse, loin de nous éclairer, devait tout au contraire nous plonger dans une encore plus profonde perplexité : il n'y avait que onze apôtres, parce que Judas, le traître, n'était tout simplement pas représenté - au moment du repas, il n'était pas la ! Notre Yehuda s'était donc envolé ...
Nous demandâmes à plusieurs chrétiens les raisons de cette absence. Tout le monde nous regarda comme si nous étions une démente: une Cène sans Judas, impensable, impossible, incohérent. Judas avait bien assisté au dernier repas du Christ. L'artiste avait-il tout simplement oublié un apôtre ? Le prêtre avait-il décrété - contrairement a ce que semblait indiquer la représentation et le geste accusatoire des deux hommes - que cet apôtre ne pouvait être que Judas ? Et comment interpréter son interprétation? Fallait-il s'en réjouir ? S'en scandaliser ? Parce que finalement, les intentions de l'artiste, par défaut de renseignements sur son identité et la période de la composition, ne pourraient qu'être laissées à la spéculation. Seules restaient les intentions du prêtre et son interprétation.
En Occident, si l'on regarde avec attention les Cènes les plus célèbres, on remarquera que Judas est finalement le personnage le plus important : alors que le Christ est toujours représenté de la même manière, Judas admet plusieurs versions. Il est le personnage qui permet à l'artiste de s'exprimer, d'interpréter en fonction de sa personnalité et de ses convictions le traître et le moment qui précède la trahison. Sans Judas, et aussi bien d'un point de vue artistique que d'un point de vue théologique, il n'y a pas d'histoire, ni de tableau : Judas est la clé. Cette importance du personnage, qui devait devenir le prototype du juif, la Synagogue aveugle en face de l’Église, conduisit l'Europe vers ce que l'on sait : d'abord, la déformation historique, qui tendait à faire de Judas le juif, et des apôtres des chrétiens dépouillés de leur judéité. Avec tous les contresens qui en découleraient. Ensuite, cette centralisation sur Judas devait se transformer en une obsession contre les juifs qu'il représenterait dans tous leurs vices, jusqu’à finir par le thème du complot des juifs contre la chrétienté. La réponse du prêtre pouvait alors être lue de deux manières : soit il tendait tout bonnement à liquider physiquement le traître, ce qui révélait une impossibilité psychologique à comprendre la présence du traître au moment de la fondation du sacrement central de l’Église. Hérésie au regard du Canon. On peut supposer également que Judas étant le prototype du juif, c'était alors toute l'origine juive du christianisme qui était niée parce que inadmissible d'un point de vue culturel, psychologique. Soit, sa réponse témoignait de ce que pour lui, le traître n'était pas le centre de l'histoire, pas plus que la trahison. Le motif principal, c'était la Cène, le Christ, le sacrement, et les apôtres [1].
Nous ne saurons jamais ce que le copte pensait quand il nous répondit. Pas plus que le sens de son sourire énigmatique. Nous ne saurons pas plus pourquoi l'artiste n'a représenté que onze apôtres. Reste ce phénomène peut être unique dans l'histoire du christianisme : une Cène à onze apôtres - lequel manque ? - est exposée dans l’Église copte d'Amman. C'est quand même quelque chose !
Amman, le onze janvier deux mille sept
Isabelle-Yaël Rose
[1] Les Occidentaux font souvent un parallèle entre d'un coté les persécutions dont les juifs ont été l'objet en Europe, de la part des chrétiens ; et de l'autre, le statut de dhimmi des non musulmans en terre d'Islam. Si cette comparaison peut être commode, en ce qu'elle établit une équivalence entre les chrétiens et les musulmans ("eux aussi l'ont fait, nous ne sommes donc plus tout à fait coupables"), elle nous semble cependant fausse : les juifs étaient persécutés en Europe parce qu'ils étaient juifs ; en revanche, quand ils ont été persécutés en terre musulmane, c'est parce qu'ils n'étaient pas musulmans. La distinction peut sembler indifférente, elle a pourtant une très grande importance : en Europe, c'était l'identité juive en tant que telle qui était insupportable et qui devait être éradiquée. C'est pourquoi une entreprise comme celle d'Hitler et son idéologie toute entière, est née en Europe et n'était possible qu'en Europe chrétienne : l'antisémitisme était ontologique et systématisé. Chez les musulmans, on ne reprochait pas au juif d'être juif, on reprochait au juif de ne pas être musulman : ce n'était pas l'identité qui était visée, mais le manque, le fait de "ne pas être". D'où une coexistence mieux réussie, jusqu'à ce que la forme occidentale de l'antisémitisme ne vienne contaminer les musulmans exactement au moment ou, par la colonisation, ils rencontraient la culture européenne. Ce nouvel antisémitisme se diffusa alors, dans sa forme ontologique, obsessionnelle, en Orient.
Si la Jordanie est un pays musulman, ou l'Islam est religion d’État, la constitution du Royaume Hachémite garantit néanmoins aux chrétiens certains droits. Certes, le pourcentage des chrétiens dans la population totale a sérieusement chuté : une étude menée en 2001 par Clarisse Tchatchou pour le Centre d’Études Œcuméniques d'Amman indique qu'en 1952, pour une population de 580.000 habitants, les chrétiens représentaient entre 10 et 12 pour cent, quand ils ne représentent plus aujourd'hui que 3,4 pour cent au maximum (population totale d'environ ... six millions). Cette chute s'explique de multiples façons : les chrétiens, plus favorisés socialement et financièrement, ont eu la possibilité d'émigrer pendant les périodes de guerre et de crise économique sévère. Ce mouvement de départ fut doublé d'un mouvement inverse d'immigration qui conduisit en Jordanie des populations musulmanes qui fuyaient pareillement la guerre et la pauvreté (principalement Palestine et Irak, quoique tous les réfugiés ne se soient pas non plus installés ; certains Palestiniens continuèrent leur route vers le Liban, tandis que les Irakiens fortunés changèrent carrément de continent ; car il serait faux de croire que tous les immigrés étaient pauvres : il se trouvait aussi de riches immigrés à être arrives en Jordanie pour chercher la paix et la possibilité de continuer, à partir de la Jordanie, une vie normale et leurs affaires). Enfin, une dernière raison vient compléter les autres, qui est simplement à chercher dans les mathématiques : les familles musulmanes font davantage d'enfants que les chrétiennes. On en revient toujours la : les nombres !
Il se trouve à peu près mille coptes égyptiens en Jordanie. Leur Église, située en face de la grande Mosquée bleue construite pour rendre hommage au Roi Abdallah (le premier, grand père de feu le Roi Hussein), se situe tout près de l’Église catholique. Car une chose frappe la vue lorsque l'on arrive - ou lorsque l'on se promène - dans la ville : Amman compte de nombreuses Églises. Ce n'est pas seulement que les bâtiments se partagent l'espace urbain, ou l'on peut voir une Croix à coté d'un Croissant, les chrétiens et les musulmans se partagent également la tonalité de la ville, dans ce qui est peut être aussi une compétition : les cloches des Églises répondent aux appels du Muezzin - et inversement. Et si compétition il y a, il est remarquable qu'elle puisse avoir lieu : on ne peut pas en dire autant partout dans le monde.
L’Église copte est en rénovation. Des hommes travaillent à reconstruire les murs intérieurs du bâtiment. Seule une immense chaire, et une grande fresque recouverte d'un plastique, sont visibles pour le passant. La fresque représente classiquement une Cène, entourée par le visage des douze apôtres. Cependant, si la représentation est classique, et sans doute d'une fabrication assez récente, la mise en scène est tout a fait surprenante : il manque tout bonnement ... un apôtre ! Au lieu des douze disciples qui accompagnent le Christ dans son dernier repas, le repas qui fonde le sacrement fondateur de l’Église - l'Eucharistie - le peintre n'a représenté que onze apôtres. Jean est tout a fait reconnaissable, à la gauche du Christ. A sa droite, Judas nous sembla t-il, est assis, tandis que deux apôtres debout désignent du doigt celui qui va trahir pour un peu d'argent. Onze. Onze apôtres. Six fois nous recomptons. On n'imagine dans aucune Église un peintre qui aurait pris tellement de libertés avec le Canon. Quand nous demandâmes au prêtre le nombre des apôtres, il nous sourit, amusé de notre étonnement : sans doute cette question lui avait-elle été déjà posée. Avec le même étonnement. Mais sa réponse, loin de nous éclairer, devait tout au contraire nous plonger dans une encore plus profonde perplexité : il n'y avait que onze apôtres, parce que Judas, le traître, n'était tout simplement pas représenté - au moment du repas, il n'était pas la ! Notre Yehuda s'était donc envolé ...
Nous demandâmes à plusieurs chrétiens les raisons de cette absence. Tout le monde nous regarda comme si nous étions une démente: une Cène sans Judas, impensable, impossible, incohérent. Judas avait bien assisté au dernier repas du Christ. L'artiste avait-il tout simplement oublié un apôtre ? Le prêtre avait-il décrété - contrairement a ce que semblait indiquer la représentation et le geste accusatoire des deux hommes - que cet apôtre ne pouvait être que Judas ? Et comment interpréter son interprétation? Fallait-il s'en réjouir ? S'en scandaliser ? Parce que finalement, les intentions de l'artiste, par défaut de renseignements sur son identité et la période de la composition, ne pourraient qu'être laissées à la spéculation. Seules restaient les intentions du prêtre et son interprétation.
En Occident, si l'on regarde avec attention les Cènes les plus célèbres, on remarquera que Judas est finalement le personnage le plus important : alors que le Christ est toujours représenté de la même manière, Judas admet plusieurs versions. Il est le personnage qui permet à l'artiste de s'exprimer, d'interpréter en fonction de sa personnalité et de ses convictions le traître et le moment qui précède la trahison. Sans Judas, et aussi bien d'un point de vue artistique que d'un point de vue théologique, il n'y a pas d'histoire, ni de tableau : Judas est la clé. Cette importance du personnage, qui devait devenir le prototype du juif, la Synagogue aveugle en face de l’Église, conduisit l'Europe vers ce que l'on sait : d'abord, la déformation historique, qui tendait à faire de Judas le juif, et des apôtres des chrétiens dépouillés de leur judéité. Avec tous les contresens qui en découleraient. Ensuite, cette centralisation sur Judas devait se transformer en une obsession contre les juifs qu'il représenterait dans tous leurs vices, jusqu’à finir par le thème du complot des juifs contre la chrétienté. La réponse du prêtre pouvait alors être lue de deux manières : soit il tendait tout bonnement à liquider physiquement le traître, ce qui révélait une impossibilité psychologique à comprendre la présence du traître au moment de la fondation du sacrement central de l’Église. Hérésie au regard du Canon. On peut supposer également que Judas étant le prototype du juif, c'était alors toute l'origine juive du christianisme qui était niée parce que inadmissible d'un point de vue culturel, psychologique. Soit, sa réponse témoignait de ce que pour lui, le traître n'était pas le centre de l'histoire, pas plus que la trahison. Le motif principal, c'était la Cène, le Christ, le sacrement, et les apôtres [1].
Nous ne saurons jamais ce que le copte pensait quand il nous répondit. Pas plus que le sens de son sourire énigmatique. Nous ne saurons pas plus pourquoi l'artiste n'a représenté que onze apôtres. Reste ce phénomène peut être unique dans l'histoire du christianisme : une Cène à onze apôtres - lequel manque ? - est exposée dans l’Église copte d'Amman. C'est quand même quelque chose !
Amman, le onze janvier deux mille sept
Isabelle-Yaël Rose
[1] Les Occidentaux font souvent un parallèle entre d'un coté les persécutions dont les juifs ont été l'objet en Europe, de la part des chrétiens ; et de l'autre, le statut de dhimmi des non musulmans en terre d'Islam. Si cette comparaison peut être commode, en ce qu'elle établit une équivalence entre les chrétiens et les musulmans ("eux aussi l'ont fait, nous ne sommes donc plus tout à fait coupables"), elle nous semble cependant fausse : les juifs étaient persécutés en Europe parce qu'ils étaient juifs ; en revanche, quand ils ont été persécutés en terre musulmane, c'est parce qu'ils n'étaient pas musulmans. La distinction peut sembler indifférente, elle a pourtant une très grande importance : en Europe, c'était l'identité juive en tant que telle qui était insupportable et qui devait être éradiquée. C'est pourquoi une entreprise comme celle d'Hitler et son idéologie toute entière, est née en Europe et n'était possible qu'en Europe chrétienne : l'antisémitisme était ontologique et systématisé. Chez les musulmans, on ne reprochait pas au juif d'être juif, on reprochait au juif de ne pas être musulman : ce n'était pas l'identité qui était visée, mais le manque, le fait de "ne pas être". D'où une coexistence mieux réussie, jusqu'à ce que la forme occidentale de l'antisémitisme ne vienne contaminer les musulmans exactement au moment ou, par la colonisation, ils rencontraient la culture européenne. Ce nouvel antisémitisme se diffusa alors, dans sa forme ontologique, obsessionnelle, en Orient.