Introduction :
J’avais mis en ligne une série d’articles il y a quelques semaines, suite au scandale des déclarations antisémites du ministre algérien Mohamed Cherif Abbès. Ce « rebond » publié par un journaliste algérien dans le journal « Libération » vient utilement compléter le dossier : en effet, il souligne bien l’instrumentalisation populiste de cette haine par les dirigeants algériens dans le cadre d’un « billard à trois bandes » particulièrement malsain, où les Juifs servent (une nouvelle fois) de bouc émissaire - affaire de séduire une opinion publique en partie favorable aux islamistes.
Bonne lecture !
J.C
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J.C
Les relations entre Alger et Paris semblent persister dans la mauvaise passe où les ont précipitées les déclarations antisémites du ministre algérien des Anciens Combattants, Mohamed Cherif Abbès. Le dernier épisode a vu monter au créneau le chef de l’ONM, la puissante organisation algérienne des moudjahidin, l’apparatchik Saïd Abadou, suite aux déclarations du ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, visant son homologue algérien des Anciens Combattants.
Des voix concordantes, venues des milieux de la famille dite révolutionnaire, se font de plus en plus persistantes pour demander au président Bouteflika d’intervenir et de riposter contre ce qu’Alger considère comme un affront fait à sa souveraineté nationale. Malgré une visite d’Etat de trois jours en Algérie de Nicolas Sarkozy, le torchon continue de brûler entre les deux pays. Le contact direct avec les responsables algériens, glacial selon certains observateurs, et les nombreuses déclarations de bonne volonté de part et d’autre n’ont pas suffi à apaiser les tensions entre les deux capitales. Et si les raisons de la discorde étaient ailleurs que dans l’histoire commune des deux pays ?
Que cache réellement cette vague d’antisémitisme orchestrée par les milieux néonationalistes ? Pourquoi des responsables d’organisations du courant néonationaliste empruntent une rhétorique antisémite au courant islamiste et fondamentaliste pour entretenir un climat de discorde entre les deux nations ? Le rappel, sous des airs de dénonciation quasi-leitmotiv, des origines juives du président français, et le soutien dont aurait bénéficié le candidat Sarkozy de la part de la communauté juive de France, sont une manoeuvre politicienne malsaine de la part des responsables algériens.
Associer cela au refus de repentance du président français pour les crimes commis lors de la guerre d’Algérie est à la fois criminel et préjudiciable à la jeunesse algérienne. Cette guerre d’indépendance, dont la classe politique au pouvoir en Algérie depuis 1962 tire sa légitimité historique, ne suffit plus à galvaniser les masses populaires. Surtout parmi la jeunesse, trop éprouvée par des conditions de vie actuelles très dures, et qu’un taux de chômage à deux chiffres, et le manque de perspectives d’avenir ont rendu insensible au discours nationaliste.
L’occasion aussi de mettre du sang neuf dans le sentiment de haine qui accompagne les maux que rencontrent les tranches sociales les plus vulnérables. Toute cette confusion vise à établir un parallèle entre le conflit israélo-palestinien et la guerre d’Algérie. Le dessein malsain de cette classe politique en perte de vitesse est d’essayer de cloner un conflit passé de mode, la guerre d’Algérie, du moins dans sa version active, avec un conflit contemporain auquel une partie de la jeunesse algérienne s’identifie, à tort ou à raison. Cette polémique, destinée exclusivement à la consommation nationale, tente de remplacer le sentiment antifrançais, qui trouve ses racines dans la guerre d’Algérie, par le sentiment antijuif d’une partie du peuple algérien favorable à la cause palestinienne.
La polémique à propos de la repentance et les relents antisémites visent en fait à enterrer un scandale: celui des faux moudjahidin, estimés à plus de deux millions. A cause du laxisme des responsables chargés du recensement des anciens combattants, le nombre de ces derniers s’est vu multiplié par 150 entre 1962 et 1989. De quelques milliers au lendemain de l’indépendance, ils sont passés à plus de deux millions au début des années 90, causant un préjudice financier énorme aux caisses de l’Etat. Les témoignages qui permettent la reconnaissance du statut d’ancien combattant se monnayaient à plusieurs dizaines de milliers de dinars [100 dinars = 1,05 euro, ndlr]. Des hauts fonctionnaires et des hommes aux postes clefs du pouvoir auraient bénéficié de cette fraude à la légitimité historique. Ce scandale, que les médias ont baptisé «l’affaire des magistrats faussaires», empoisonne les milieux de la famille révolutionnaire. D’où la nécessité d’enterrer ce scandale, du moins à en atténuer les retombées néfastes sur la classe politique. Provoquer une montée de la fièvre nationaliste avec des arguments chers à la mouvance islamiste, c’est s’assurer le soutien d’une large partie de l’opinion.
Dans cette Algérie, quelques dizaines de millimètres de pluie ont provoqué des dégâts matériels et humains considérables, dont une vingtaine de morts sur tout le territoire national. Le taux de chômage effarant, le pouvoir d’achat inexistant, le climat d’insécurité chaque jour grandissant, sont autant de lacunes que les gouvernements successifs n’ont pas su combler. La jeunesse algérienne d’aujourd’hui est partagée entre les attentats kamikazes, les suicides ou l’embarquement à bord de galères pour rejoindre l’Eldorado européen. Faute de projets concrets pour l’avenir d’une population qui compte plus de 60 % de moins de 30 ans, une partie de la classe politique ressasse les démons du passé, après les avoir réactualisés à la sauce antisémite. Face au mécontentement des populations civiles, le pouvoir algérien, à court d’arguments et de solutions, joue sur les fibres nationaliste et religieuse pour demeurer aux commandes. Si ce greffon de la haine prend, les quinze ans de terrorisme islamiste et étatique que vient de vivre l’Algérie ne seront rien comparés aux années à venir.
Zahir Boukhelifa, journaliste
« Libération », 17 décembre 2007
Des voix concordantes, venues des milieux de la famille dite révolutionnaire, se font de plus en plus persistantes pour demander au président Bouteflika d’intervenir et de riposter contre ce qu’Alger considère comme un affront fait à sa souveraineté nationale. Malgré une visite d’Etat de trois jours en Algérie de Nicolas Sarkozy, le torchon continue de brûler entre les deux pays. Le contact direct avec les responsables algériens, glacial selon certains observateurs, et les nombreuses déclarations de bonne volonté de part et d’autre n’ont pas suffi à apaiser les tensions entre les deux capitales. Et si les raisons de la discorde étaient ailleurs que dans l’histoire commune des deux pays ?
Que cache réellement cette vague d’antisémitisme orchestrée par les milieux néonationalistes ? Pourquoi des responsables d’organisations du courant néonationaliste empruntent une rhétorique antisémite au courant islamiste et fondamentaliste pour entretenir un climat de discorde entre les deux nations ? Le rappel, sous des airs de dénonciation quasi-leitmotiv, des origines juives du président français, et le soutien dont aurait bénéficié le candidat Sarkozy de la part de la communauté juive de France, sont une manoeuvre politicienne malsaine de la part des responsables algériens.
Associer cela au refus de repentance du président français pour les crimes commis lors de la guerre d’Algérie est à la fois criminel et préjudiciable à la jeunesse algérienne. Cette guerre d’indépendance, dont la classe politique au pouvoir en Algérie depuis 1962 tire sa légitimité historique, ne suffit plus à galvaniser les masses populaires. Surtout parmi la jeunesse, trop éprouvée par des conditions de vie actuelles très dures, et qu’un taux de chômage à deux chiffres, et le manque de perspectives d’avenir ont rendu insensible au discours nationaliste.
L’occasion aussi de mettre du sang neuf dans le sentiment de haine qui accompagne les maux que rencontrent les tranches sociales les plus vulnérables. Toute cette confusion vise à établir un parallèle entre le conflit israélo-palestinien et la guerre d’Algérie. Le dessein malsain de cette classe politique en perte de vitesse est d’essayer de cloner un conflit passé de mode, la guerre d’Algérie, du moins dans sa version active, avec un conflit contemporain auquel une partie de la jeunesse algérienne s’identifie, à tort ou à raison. Cette polémique, destinée exclusivement à la consommation nationale, tente de remplacer le sentiment antifrançais, qui trouve ses racines dans la guerre d’Algérie, par le sentiment antijuif d’une partie du peuple algérien favorable à la cause palestinienne.
La polémique à propos de la repentance et les relents antisémites visent en fait à enterrer un scandale: celui des faux moudjahidin, estimés à plus de deux millions. A cause du laxisme des responsables chargés du recensement des anciens combattants, le nombre de ces derniers s’est vu multiplié par 150 entre 1962 et 1989. De quelques milliers au lendemain de l’indépendance, ils sont passés à plus de deux millions au début des années 90, causant un préjudice financier énorme aux caisses de l’Etat. Les témoignages qui permettent la reconnaissance du statut d’ancien combattant se monnayaient à plusieurs dizaines de milliers de dinars [100 dinars = 1,05 euro, ndlr]. Des hauts fonctionnaires et des hommes aux postes clefs du pouvoir auraient bénéficié de cette fraude à la légitimité historique. Ce scandale, que les médias ont baptisé «l’affaire des magistrats faussaires», empoisonne les milieux de la famille révolutionnaire. D’où la nécessité d’enterrer ce scandale, du moins à en atténuer les retombées néfastes sur la classe politique. Provoquer une montée de la fièvre nationaliste avec des arguments chers à la mouvance islamiste, c’est s’assurer le soutien d’une large partie de l’opinion.
Dans cette Algérie, quelques dizaines de millimètres de pluie ont provoqué des dégâts matériels et humains considérables, dont une vingtaine de morts sur tout le territoire national. Le taux de chômage effarant, le pouvoir d’achat inexistant, le climat d’insécurité chaque jour grandissant, sont autant de lacunes que les gouvernements successifs n’ont pas su combler. La jeunesse algérienne d’aujourd’hui est partagée entre les attentats kamikazes, les suicides ou l’embarquement à bord de galères pour rejoindre l’Eldorado européen. Faute de projets concrets pour l’avenir d’une population qui compte plus de 60 % de moins de 30 ans, une partie de la classe politique ressasse les démons du passé, après les avoir réactualisés à la sauce antisémite. Face au mécontentement des populations civiles, le pouvoir algérien, à court d’arguments et de solutions, joue sur les fibres nationaliste et religieuse pour demeurer aux commandes. Si ce greffon de la haine prend, les quinze ans de terrorisme islamiste et étatique que vient de vivre l’Algérie ne seront rien comparés aux années à venir.
Zahir Boukhelifa, journaliste
« Libération », 17 décembre 2007