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20 mai 2016

Moshe Ya'alon, ministre israélien: «Le vrai danger n'est pas l'Etat islamique, mais l'Iran»



De passage en Suisse, le ministre israélien de la Défense qualifie la situation de la région, avec la guerre en Syrie, comme «un tremblement de terre géopolitique». Et il se montre pessimiste quant aux pourparlers de paix. Entretien exclusif

Le ministre israélien de la Défense Moshe Ya’alon était mercredi et jeudi en visite officielle en Suisse. Le conseiller fédéral Guy Parmelin, qui a accueilli son homologue à Berne, recevait pour la première fois depuis son entrée en fonction un ministre étranger. A l’agenda de cette rencontre: la coopération militaire entre la Suisse et Israël. Dans un entretien réalisé à l’hôtel Bellevue à Berne, placé pour l’occasion sous haute sécurité, un dispositif réservé normalement pour les chefs d’État importants et menacés, à deux pas du Palais fédéral, Moshe Ya’alon commente la situation du Moyen-Orient. Membre du Likoud de Benyamin Netanyahou, il est issu de l’armée où il a occupé les plus hautes fonctions – chef d’État-major de 2002 à 2005. Il n’est pas considéré comme un faucon, mais ses mots sont féroces lorsqu’il évoque l’Iran.

Le Temps: Le Moyen-Orient est à feu et à sang, y a-t-il un risque pour Israël ?
Moshe Ya’alon: La plus grande menace qui pèse sur mon pays ne vient pas de nos voisins directs mais de l’Iran qui, pourtant, ne partage aucune frontière avec nous. Quand je parle de l’Iran, je ne parle pas du pays ni des Iraniens, mais du régime messianique et apocalyptique au pouvoir, qui prône l’éradication d’Israël. Téhéran exporte, avec succès, je dois malheureusement l’admettre, la terreur et la haine d’Israël. Il utilise des proxy comme le Hezbollah, un mouvement terroriste armé et financé par l’Iran et qui tient en otage le Liban. On le voit: le problème n’est pas Israël mais l’Iran, qui nourrit les dissensions et la guerre dans tout le Moyen-Orient. Au Liban, comme je l’ai mentionné, mais aussi dans la bande de Gaza où le gouvernement iranien arme et finance le Hamas; au Yémen et au Bahrein, c’est encore Téhéran qui agit sous couvert de mouvements nationalistes religieux. Le régime iranien est la principale source de problèmes et d’instabilité dans toute la région.

L’accord sur le nucléaire iranien conclu l’été dernier ne calme-t-il pas le jeu ?
Cette entente avec Téhéran constitue une erreur historique; elle donne au mieux un répit de 15 ans, peut-être moins avant que le pays ne se dote d’une arme nucléaire. Il ne faut pas s’y tromper: Téhéran n’a rien abandonné de ses plans de se doter de l’arme nucléaire. En plus, avec ses recherches sur les missiles à longue portée, l’Iran viole ses engagements internationaux. Qu’on soit clair, il n’y aura de solution à long terme au Moyen-Orient, tant que les mollahs seront au pouvoir à Téhéran.

La guerre en Syrie déborde sur tous les pays de la région, Israël est concerné. Comment voyez-vous les choses ?
C’est un tremblement de terre géopolitique: quatre camps s’affrontent autour de nous dans un abominable chaos. D’abord, l’axe chiite, dans lequel se trouvent, derrière l’Iran, pêle-mêle Bachar el-Assad, le Hezbollah, les houthistes au Yémen. Tous partagent la même hostilité contre nous. Ensuite, le groupe apparenté aux frères musulmans, ils sont menés par la Turquie, il y a le Qatar, le Hamas à Gaza. Eux aussi sont à des degrés divers, inamicaux à l’encontre d’Israël. Troisièmement, le djihad global, avec différents groupes terroristes notamment l’État islamique et al-Qaida, ou Jabhat al-Nosra, ils ont une forte capacité de nuisance. Enfin les Arabes sunnites, dont certains sont nos alliés régionaux : l’Egypte et la Jordanie. On y trouve aussi l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis ainsi que des pays nord africains. Nous avons avec eux un ennemi commun: l’Iran.

Pourtant certaines alliances n’outrepassent-elles ces catégories ? L’Arabie saoudite et ses accointances avec le djihad global par exemple?
Dans le cadre de l’affrontement chiites-sunnites, certains pays ou certaines entités à l’intérieur de ces pays ont choisi de soutenir des groupes considérés comme djihadistes pour contrer l’influence de l’Iran ou en Syrie de Bachar el-Assad. De son côté, l’Iran, pour nuire à Israël, n’hésite pas à aider le Hamas proche des frères musulmans.

Ne minimisez-vous pas la menace que représente l’EI ?
L’EI va être battu sur son terrain, cela parce qu’il y a beaucoup de coalitions différentes et d’Etats qui luttent contre les djihadistes. Notamment la grande coalition derrière les Etats-Unis ou l’Egypte qui s’attaque à l’EI dans le Sinaï. En fait, l’EI ne constitue pas de réel danger pour nous. Evidemment, les djihadistes essaient de s’implanter en Cisjordanie et surtout à Gaza. Mais nous sommes prêts à les contrer. De manière significative, aucune des agressions dont nous avons été la cible sur le plateau du Golan n’a été perpétrée par l’EI, toutes l’ont été par les Gardiens de la révolution iraniens.

Les forces loyales à Bachar el-Assad reprennent du terrain en Syrie. Cela change-t-il la donne pour Israël ?
Nous craignons que les Iraniens s’installent durablement à nos portes. Ils utilisent la peur que suscite l’EI pour s’imposer comme des interlocuteurs incontournables dans les négociations.

Seriez-vous prêts à intervenir pour aider à stabiliser la situation ou faire pencher la balance en faveur d’une partie des belligérants ?
Israël n’a pas vocation à intervenir dans d’autres pays. Mais nous ferons tout pour défendre nos intérêts et pour empêcher des livraisons d’armes à ceux qui nous menacent directement comme le Hezbollah. En ce qui concerne les discussions de paix, je crains qu’elles n’aboutissent pas. On ne peut pas reconstituer les œufs à partir d’une omelette. Les négociations ne peuvent qu’entériner la dislocation du pays en territoires ennemis: la zone alaouite, un territoire sunnite, un Kurdistan ou même un Druzistan, pourquoi pas. Sur le plan humanitaire, Israël aide des blessés sur les hauteurs du Golan, à condition qu’ils ne fassent pas partie de milices armées hostiles.

La Russie est de plus en plus présente en Syrie, cela vous inquiète-t-il?
Dès le début de leur déploiement, nous avons pris directement contact avec eux. Ce n’est plus la guerre froide et nos relations sont plutôt bonnes avec la Russie, bien que nous divergions en ce qui concerne le rôle de l’Iran et leur appui à Bachar el-Assad. Toutefois, nous pouvons nous entendre avec eux et nous coordonner pour éviter les problèmes.
Ils ont déployé à Lattaquié un dangereux système antimissile, le S-400, ainsi que quatre avions SU 35 S, ce qu’ils ont de meilleur en matière de chasseurs-intercepteurs…
Ce n’est pas contre nous. Ils ne nous visent pas.

 «Washington a trop observé et délaissé l'action»
Moshe Ya'alon commente les relations d'Israël avec la Turquie, les Etats-Unis et la Suisse.

Où en sont les négociations pour un rapprochement avec la Turquie?
Je les suis, mais elles bloquent. Les Turcs nous ont fait des appels du pied, mais il reste des divergences. Il faut rappeler que le gouvernement turc porte l’entière responsabilité pour la rupture entre nos deux pays. Depuis l’élection de Recep Tayyip Erdogan en 2002, qui a permis aux frères musulmans d’accéder au pouvoir, nos relations sont houleuses. Ankara n’a cessé de nous provoquer, l’affaire du Mavi Marmara illustre cette politique d’hostilité turque envers nous. Mais depuis quelques mois, les difficultés d’Ankara avec la Russie, ainsi que les problèmes d’approvisionnement énergétique auxquels la Turquie doit faire face, les ont poussés vers nous. Mais l'âge d'or des bonnes relations entre nous est derrière nous. Il ne reviendra pas, car nous ne pouvons pas faire confiance à Recep Tayyip Erdogan ni à ses amis issus de la mouvance des Frères musulmans.

Votre gouvernement a montré sa sympathie pour les Kurdes, est-ce une autre pomme de discorde avec Ankara?
Les Kurdes, en Irak et en Syrie, jouissent déjà d'une large autonomie. L'indépendance dépend d'une reconnaissance internationale. A nos yeux, elle peut être envisagée. Les Kurdes ne sont assurément pas nos ennemis. Au contraire.

Faut-il aider les combattants kurdes pour défaire l'EI ? L'avez-vous fait?
Ils ont subi une défaite face à l'EI à Kobane. Il a fallu que les Américains et les Kurdes d'Irak les arment et leur envoient des renforts pour renverser la situation. Pas de victoire sans des troupes locales au sol, telle est la leçon. Et il aurait fallu armer de même les sunnites modérés, on en serait pas là aujourd'hui.

Est-ce une critique à l'égard des Etats-Unis?
Le monde aura toujours besoin d'un gendarme global. Les Etats-Unis sont la seule superpuissance, elle doit jouer ce rôle-là. Mais Barack Obama y rechigne. Mais si on en use pas, le puissance s'érode. Washington a trop observé et délaissé l'action. C'est pour cela que les Russes sont très présents en Syrie: ils ont occupé le vide laissé par les Américains.

Qu’êtes-vous venu chercher en Suisse?
Les relations entre nos deux pays sont excellentes, basées sur une confiance mutuelle. Nos liens peuvent cependant être resserrés, la coopération militaire densifiée. Israël a, malheureusement, une immense expérience dans le domaine de la guerre, dans le renseignement militaire et dans la production d'armement. Nous voulons partager cette expérience avec la Suisse.

Le Temps (Suisse), le 11 février 2016
Propos recueillis par Boris Mabillard.